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Limitation à 80 km/h: un coup de panneau dans l’eau?

Très critiquée, la nouvelle mesure de l'Etat risque de manquer d'efficacité


Limitation à 80 km/h: un coup de panneau dans l’eau?
La vitesse est limitée à 80 km/h depuis le 1er juillet sur certaines routes secondaires. SIPA. 00865912_000004

Doubler sur les routes de France est devenu encore plus compliqué. Depuis le début du mois, la vitesse sur certaines routes secondaires est limitée à 80 km/h. De quoi agacer les automobilistes. D’autant plus que la mesure pourrait ne servir à rien…


Depuis le 1er juillet, 400 000 km de routes sont officiellement limitées à 80 km/h contre leur 90 habituels. Désormais, c’est pour tout le monde pareil: les automobilistes expérimentés devront rouler à la même vitesse que les jeunes conducteurs (ceux qui ont moins de trois ans d’expérience) et les poids lourds. Cette nouvelle mesure du gouvernement s’accompagne de sondages et d’estimations en tout genre. Marianne nous apprend que 74% des Français sont contre cette réforme de « la France d’en haut » tandis que Ouest France, dans le même sens, nous dit que 79% pensent la mesure « inefficace ». Au total, ce sont 11 000 panneaux qui ont été remplacés pour un coût estimé entre 6 et 12 millions d’euros. Le but étant de sauver de 350 à 400 vies par an. Vous aussi, ces chiffres vous donnent mal à la tête ?

« Ils vont ramasser 400 millions supplémentaires avec la mesure du ‘80’ »

Le gouvernement a promis que l’expérience se jouerait jusqu’en 2020 seulement. Emmanuel Macron a même assuré : « Si ça ne marche pas, on ne continuera pas ». Mais on imagine mal Emmanuel Macron et Edouard Philippe retrousser leurs manches pour démonter de si précieux panneaux. S’il y a une question qui vient d’abord à l’esprit, c’est en effet celle de l’argent. Comment financer l’installation de ces indicateurs de vitesse ? Si c’est bien l’État qui se propose d’investir, la question du « qui » va rembourser turlupine les Français. A peu près tous sauf un : Michel Raison. Le sénateur LR de la Haute Saône fait partie d’un groupe de travail sur le sujet. Et pour lui, le coût des panneaux n’est « qu’une goutte d’eau dans le budget de l’État ». Il explique : « Les PV, en 2017, c’est 2 milliards d’euros récoltés. Et ils vont ramasser 400 millions supplémentaires avec la mesure du ‘80’. L’État renforce les radars, tout en sachant que plus on descend la limite de vitesse, moins on la respecte. Le financement des panneaux, c’est un faux problème. La vraie problématique, c’est que sur tout cet argent récolté, seulement 30 000 euros sont utilisés pour faire de la prévention routière, alors que les surplus sont investis dans les hôpitaux. C’est pourtant ça dont on a besoin. » Le dicton « mieux vaut prévenir que guérir » n’aura jamais autant fait sens…

Ce n’est pas la première fois que des actions sont entreprises pour limiter la vitesse sur ces routes. En 2015, le gouvernement Cazeneuve avait commencé à tester l’impact du « 80 » sur trois tronçons accidentogènes des routes nationales 7, 57 et 151. Trois ans d’expérimentation qui avaient pour but de révéler l’efficacité de la mesure… Michel Raison s’attendait donc à ce que les résultats soient publiés avant de décider, ou non, de rendre la réforme effective. La question est posée au Sénat, puis à l’Assemblée nationale en décembre 2017 : sans réponse. Ce n’est qu’en mars 2018 que le gouvernement a rendu publique les rapports de ce test à « 80 ». Verdict : deux ans d’expérimentation ne suffisent pas, en termes scientifiques, pour prouver quoi que ce soit. Edouard Philippe décide donc de poursuivre l’expérience – en l’élargissant à toute la France – pour prouver l’utilité de la mesure.

« Aujourd’hui déjà, les limitations ne sont pas respectées, elles ne le seront pas plus demain »

Ce passage en force n’est pas sans déplaire à l’opposition. « Le gouvernement ne sait pas ce que c’est de rouler dans nos campagnes », déplorait Michel Raison auprès de nos confrères de FranceInfo. Il est soutenu par Vincent Descoeur, membre de la Commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire : « Demain, nous serons dans l’impossibilité de dépasser un camion, sauf à commettre une infraction. Je prétends qu’on va retrouver des temps de trajet des années 1980, ce qui est inacceptable à l’heure où tout le monde parle de mobilité. » Lors du discours de Christophe Castaner sur les questions d’actualités au gouvernement, en décembre 2017 au Sénat, les protestations fusaient déjà. « On peut décider d’avoir du courage politique pour sauver des vies », opposait le délégué général de La République en marche. Vouloir sauver des vies c’est bien mais le faire comprendre c’est mieux. Michel Raison s’inquiète de l’effectivité de la mesure : « C’est une question de pédagogie. Il ne sert à rien de faire passer une réforme si les Français ne comprennent pas son utilité. Aujourd’hui déjà, les limitations ne sont pas respectées, elles ne le seront pas plus demain s’il n’y a pas, a minima, des résultats probants sur son efficacité. »

« 1% de vitesse en moins équivaut à 4% de morts en moins ». Cette formule scientifique résulte, entre autres, du cerveau et des études de Rune Elvik.

Mais le professeur le reconnaît lui-même : la difficulté, c’est qu’on ne sait pas exactement à quoi est liée la réduction du nombre des morts sur la route. Il évoque « une meilleure technologie » dans les véhicules, mais on peut aussi penser à la prévention routière, aux taux d’alcoolémie tolérés… Pour faire bref, la corrélation entre la vitesse et les tués sur les routes existe bel et bien, mais la causalité n’est, elle, pas précisément déterminable.

L’opposition accélère

Dans son bras de fer avec l’opposition, le gouvernement s’est montré intransigeant. Pour toute réponse à la lettre ouverte d’un groupe de sénateurs, l’État leur a reproché de « faiblir dans la lutte contre la délinquance routière ».

Pour Michel Raison, « cette façon de […] répondre en nous infantilisant est méprisante. Nous sommes tout autant responsables qu’eux, et tout aussi au courant de ce qu’est un accident de voiture, un traumatisme crânien, la mort d’un proche… Nous ne prenons pas à la légère les accidents de la route, mais ils nous traitent comme si tel était le cas ! »

En attendant, et en signe de protestation teintée d’une ironie certaine, Jean-Marie Bernard, président LR du conseil départemental des Hautes-Alpes, a fait passer un arrêté qui ne sera pas au goût du gouvernement : supprimer les zones à 70 km/h de certaines routes. Désormais, « les limitations à 70 km/h n’ont plus de sens. L’idée, c’est de clarifier le réseau. »



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