Accueil Politique Libye : Juppé première victime de la guerre ?

Libye : Juppé première victime de la guerre ?


Il était le sauveur de Sarkozy, le vice-président voire le véritable chef de l’exécutif. Il y a trois semaines, l’ensemble de la presse et de la classe politique célébrait dans l’euphorie le retour d’Alain Juppé au Quai d’Orsay. Le triomphe – modeste – du ministre prodigue aura été de courte durée : à la mi-mars, celui qui, fin février, imposait ses conditions à un président de la République aux abois, a perdu la plupart de ses cartes.

Autant le dire d’emblée, je ne dispose pas de la moindre information confidentielle. Qu’Alain Juppé ait ou non failli démissionner, comme l’affirme Anna Cabana du Point, il est certain que c’est que par une dépêche d’agence que le patron de la diplomatie française a appris que Nicolas Sarkozy avait décidé de reconnaître le Conseil national de transition libyen, et autorisé ses leaders à l’annoncer au monde sur le perron de l’Élysée. On n’a pas besoin d’avoir une « gorge profonde » à l’Elysée pour comprendre que Nicolas Sarkozy a choisi de ne pas prévenir Juppé et que ce dernier ne pouvait rien faire. L’imagine-t-on démissionner en plein crise libyenne, prenant le risque d’être le responsable de la chute de Benghazi et d’une victoire de Kadhafi ? Impossible. Juppé était coincé. Nicolas Sarkozy le savait.

La guerre en Libye est loin d’être gagnée – on peut même dire que les ennuis commencent, et avec eux les polémiques. Mais, à défaut du scalp de Kadhafi, le président de la République a déjà conquis un premier trophée : en reconnaissant les rebelles libyens et plaçant son ministre des Affaires étrangères devant le fait accompli, Nicolas Sarkozy a regagné le terrain qu’il lui avait cédé pour clore l’affaire MAM. On sait en effet que Juppé s’était déjà vu proposer le Quai d’Orsay lors du remaniement de novembre. Il avait posé ses conditions : la première d’entre elles était la clarification, en matière de diplomatie, des relations entre le ministre et le président, mais aussi entre l’administration du Quai et la machine élyséenne. En clair, Juppé exigeait d’être pleinement associé à l’élaboration de la politique étrangère française, domaine traditionnellement réservé du chef de l’Etat. En novembre, encore sûr de lui, Sarkozy avait refusé. Trois mois plus tard, affaibli par l’affaire MAM et les échecs de sa diplomatie dans le monde arabe, il cédait. En échange de ce ralliement, Sarkozy offrait à Juppé la tête de Guéant sur un plateau, l’âme damnée du chef de l’Etat étant alors « promu » mais surtout éloigné place Beauvau.

Et voilà que trois semaines après avoir été obligé de capituler devant « le meilleur d’entre nous », Sarkozy a repris les rênes de la politique étrangère de la France. Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle en soi. Sauf qu’il n’est pas certain que le panache de BHL soit meilleur conseiller que la prudence de techno de Guéant.

Il est vrai que si l’opération libyenne ne s’avère pas, au bout du compte, aussi bonne pour la France que ne le laissaient penser les drapeaux tricolores agités par la « rue arabe » au lendemain du vote de l’ONU, elle ne peut être que gagnante pour le président. N’en doutons pas, ce sont les sentiments les plus nobles qui ont poussé Sarkozy à prendre la tête du camp anti-Kadhafi. Mais on ne peut pas ne pas voir qu’il était le leader occidental qui avait le moins à perdre et le plus à gagner. Troisième dans les sondages pour le premier tour de l’élection présidentielle, tenu responsable du naufrage de la diplomatie française face aux révolutions arabes, il a trouvé, avec la crise libyenne une excellente occasion de retourner la situation. La petite victoire remportée sur Juppé n’est qu’un petit avantage en nature récupéré dans l’opération.

On ne sait pas et on ne saura peut-être jamais si Kadhafi a contribué à la campagne de Sarkozy en 2007. Ce qui est certain, c’est qu’il a déjà fait beaucoup pour celle de 2012.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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