Libye: BHL se prend les pieds dans sa «guerre juste»


Libye: BHL se prend les pieds dans sa «guerre juste»

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« BHL à l’IHEDN : vous n’avez pas honte ? » C’est ainsi que le blog Mars attaque spécialisé dans les questions de défense avait accueilli l’annonce de la conférence que le philosophe a tenue lundi soir à l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale Française, le temple de la réflexion stratégique française.

L’invitation avait de quoi surprendre dans cette institution placée sous la tutelle du Premier ministre. Fallait-il même l’interpréter ? En viendrait-on simplement à succomber aux mondanités dans les si austères milieux de défense ou, plus grave, de conseiller occulte, l’intéressé en viendrait-il à porter une parole quasi-officielle ? Toujours est-il que ce soir-là, de façon très inhabituelle, le sans-frontiériste BHL a prononcé un discours étonnamment patriote, s’adaptant sans doute à son auditoire.

Le directeur de l’institut, le général Bernard de Courrèges d’Ustou, s’est contenté, pour sa part, d’éteindre la polémique en notant que l’invité du jour suscitait la controverse. La « mise en scène » de l’événement ne se prêtant guère à la contradiction, BHL a décliné ses vérités, endossant ses différentes casquettes : un peu philosophe, stratège parfois, conseiller des princes, diplomate à ses heures perdues, simple citoyen, quand ça l’arrange. De l’intitulé de départ « la France face aux défis du XXIème siècle », il n’aura que peu été question.

Sans surprise, très vite le « cours magistral» a dérivé sur l’engagement personnel de BHL dans les conflits contemporains, l’invité tentant de justifier ses engagements divers, en Bosnie, ou en Libye par la notion chrétienne de « guerre juste » attribuée à Thomas d’Aquin puis l’école de Salamanque avant de préciser sa pensée : « une guerre est juste lorsque la cause est juste, quand l’intention est droite, quand on a de bonnes raisons de penser que le mal que l’on fera sera moins grand que le mal que l’on évitera, lorsque cette guerre peut se placer sous un mandat politique qui entre en conformité avec la légalité internationale et quand elle n’est pas fondée sur un ou des mensonges ».

Une définition en tous points conforme à celle développée par le philosophe français Yves Roucaute, fer de lance des néoconservateurs français, lui-même à l’origine de la notion de « guerre juste offensive » reprise par les partisans du droit d’ingérence humanitaire tel Bernard Kouchner.

C’est donc sans trembler que l’intervenant a, une nouvelle fois, soutenu qu’en Libye « l’intention était droite », faisant peu de cas des échanges de mails dévoilés récemment par la commission d’enquête du Sénat américain sur l’attentat contre le consulat américain de Benghazi en septembre 2012. Ces mémos, publiés depuis par Médiapart, et échangés entre Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat, et Sidney Blumenthal, un proche conseiller des Clinton ont pourtant donné de sérieuses raisons de douter de l’engagement des nations occidentales en Syrie.

Lui-même informé par des vétérans de la CIA, Sidney Blumenthal indiquera dans un mail que Nicolas Sarkozy voulait aller en Libye « pour des raisons militaires et économiques », y voyant notamment « une opportunité pour la France de se réaffirmer en tant que puissance militaire ». Pas grand-chose à voir avec les nobles intentions d’un BHL qui, encore aujourd’hui, assure ses auditeurs qu’il n’était là que question d’extraire les civils de Benghazi des griffes de Kadhafi.

Quant au rôle du philosophe français, il est encore plus trouble. Nicolas Sarkozy, craignant l’influence croissante des islamistes aurait ainsi « mandaté » Bernard-Henri Lévy pour prendre le pouls sur le terrain. « Il a demandé au sociologue (sicBernard-Henri Lévy, qui a de vieux liens avec Israël, la Syrie et d’autres pays du Moyen-Orient, d’utiliser ses contacts pour déterminer le niveau d’influence d’AQMI et des autres groupes terroristes au sein du CNT », explique Blumenthal dans un mail.

Dans un mémo du 5 mai 2011, la source de Blumenthal fait même état des doutes des services de renseignement français quant au travail du philosophe :

« Des sources ayant un excellent accès à la DGSE indiquent que Lévy utilise son statut de journaliste comme couverture pour ses activités. En fait, il travaille directement sous les ordres de Sarkozy. La DGSE et les militaires français impliqués dans la rébellion libyenne se plaignent du statut d’“amateur talentueux” de Lévy, mais admettent qu’il est très efficace pour négocier avec les rebelles, tout en ayant la confiance complète de Sarkozy. »

Dans une autre note datée du 5 mai 2011, il apparaît également que les vols humanitaires organisés par la France vers Benghazi à partir du 13 avril 2011 servaient de couvertures pour transporter des responsables de Total, de Vinci et d’EADS.

Alors BHL, un VRP pour les multinationales françaises en zones de guerre ?

Bernard-Henri Lévy n’a pas, selon la note, assisté à la signature proprement dite de contrats, mais il a clairement fait savoir aux responsables du CNT qu’ils «avaient une dette envers la France au vu de son soutien précoce et que Sarkozy avait besoin de quelque chose de tangible à présenter aux leaders politiques et économiques français».

Largement de quoi douter de la « droiture » de l’intervention en Libye. Mais pas pour BHL qui continue d’affirmer aujourd’hui « qu’il n’y avait pas de mensonge » et n’a évidemment pas fait une allusion à ces informations se contentant de vendre ses « buts de guerre » et de dérouler froidement son argumentaire : « qu’est-ce qu’il se serait passé si nous n’étions pas intervenus ? La Libye d’aujourd’hui ressemblerait à la Syrie d’aujourd’hui. On a deux « laboratoires » si j’ose dire. Bilan de l’intervention en Libye : désordre, chaos, islamisme radical dans deux villes à Syrte et Derna et une guerre civile de basse intensité depuis quatre ans et demi. En Syrie : le même chaos, l’islamisme radical dans la moitié du pays et 250.000 morts depuis le début de la guerre. Même en termes très froids, le bilan de la non intervention est infiniment plus lourd que le bilan de l’intervention » allant jusqu’à oser conclure qu’à « aucun titre, la situation de la Libye n’est pire aujourd’hui que ce qu’elle était au temps de Kadhafi. Et il est encore temps de construire un état ».

BHL oubliera de préciser que jamais rien n’avait été prévu, ni par Sarkozy, ni par Blair, à l’époque, pour préparer l’après-Kadhafi. De même qu’il choisira le pire exemple pour illustrer son propos : celui des migrants, dénonçant avec justesse le chantage de Kadhafi qui négociait chaque année à la hausse avec les européens le montant des subventions pour surveiller ses frontières. Il n’empêche. Entre 2008 et 2011, le flux des immigrés vers l’Europe a chuté après la signature d’un traité entre Rome et Tripoli. Depuis, cette Libye sans Etat que l’intéressé a contribué à installer, est redevenue la plaque tournante du trafic de migrants africains et la question des réfugiés l’un des principaux défis européens. Dommage que Bernard-Henri Lévy se contente d’assurer le service après-vente d’une « guerre juste » (sic) avec pour seul objectif de bâtir sa propre légende.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00624734_000016.



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