François-Xavier Freland, nous plonge dans la vie passionnée du romancier Henry Miller, où nous rencontrons les artistes d’un Paris bouillonnant d’entre-deux-guerres.
« Le destin astrologique » de cette biographie haletante est digne de celui que « Conrad Moricand, poète des astres à moitié fou » trace en 1937 pour Henry Miller et que celui-ci prend au sérieux, confiant dans la protection de Jupiter contre tous les malheurs qui le guettent et qui s’abattent parfois sur lui. Comme Miller passant à travers une verrière dans une chute qui aurait pu lui être fatale, la première version du manuscrit a été engloutie dans un ordinateur, agonisant dans le verre renversé par une frivole amie de François-Xavier Freland.
Mais c’est pour mieux renaitre dans une nouvelle mouture plus alerte et convaincante, produite à marche forcée pour une éditrice qui s’impatiente, peste et tempête. Et puis qui subitement en ajourne sine die la publication. Une fois encore Miller est « sous le coup de la censure moraliste » : pas assez féministe évidemment, du moins comme on l’entend aujourd’hui, et pas assez « engagé contre le fascisme », d’ailleurs n’apprécie-t-il pas Céline ? A notre époque où on réécrit l’histoire et où ne comptent que les postures, un écrivain qui ne prend pas Hitler au sérieux et qui « profite jusqu’au bout du printemps 1939 dans ce Paris bouillonnant qui fait une dernière valse », ne peut qu’être relégué à l’enfer des bibliothèques. Bannies les fulgurances des Tropiques du Cancer et du Capricorne, répudiés avec elles leur auteur et l’écrivain d’aujourd’hui qui nous parle de son double sulfureux.
Pourtant Éros aura raison de Thanatos. L’aventure parisienne de cet « homme amoureux de la vie, et qui n’a aucune autre religion que la vie » va nous être finalement transmise aux éditions Magellan, dans un petit livre à cœur battant et à la couverture caressante qu’on aura autant de plaisir à lire qu’à prendre en main, à retourner, à conserver.
Lorsque François-Xavier Freland nous parle d’Henry Miller, c’est un peu comme s’il nous racontait sa propre vie imaginée dans son style à lui, poétique et cinglant, précis et séduisant. Les mots sont justes, les images saisissantes, les phrases courtes, scandées au rythme de la marche. De Montmartre aux rues du 14ème arrondissement, la ville des années 30, 40, 50 se mêle à celle d’aujourd’hui, sur les traces évanescentes de cet « Américain à Paris ».
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Grand voyageur et écrivain comme Blaise Cendras, François-Xavier Freland aurait pu lui aussi être l’ami d’Henri Miller. Il l’aurait passionné et amusé de ses récits africains et latino-américains, alternant analyses rigoureuses et anecdotes savoureuses. De la rue des Abbesses à la rue de l’Ambre, il lui aurait fait découvrir restaurants et petits bars, maisons closes également sans doute. Et surtout ils auraient déambulé ensemble des heures durant dans ces quartiers de Paris qu’ils sillonnent en toutes saisons, en échangeant sur leurs lectures. Car « ils partagent tous les deux « l’amour de la rue » ».
L’amitié a tenu une place majeure dans la vie de bohème de Miller et encore lorsque la célébrité viendra, sur le tard. Dès sa première installation à Paris en 1930, Alfred Perlès le prend sous son aile et le remet « sur la bonne route comme un bateau démâté ». Car écrit François-Xavier Freland, « la vie de Miller alors ressemble à une toile d’Egon Schiele, corps décharnés, âmes passées au scalpel ». Mais si la littérature le tenaille, tout intéresse Henry Miller, la peinture, la photographie. Un autre grand ami, le photographe Brassaï, lui présentera une foule de personnages, artistes, banquiers, éditeurs dont il a réalisé les portraits : « Picasso, Dalí, Matisse, Giacometti ; et certains des écrivains majeurs de l’époque : Jean Genet, Paul Morand, Henri Michaux ». C’est toute l’intelligentsia de son temps que Miller va ainsi côtoyer.
Les femmes aussi sont importantes dans la vie d’Henry Miller. Il aura cinq épouses mais ce sera la seconde, June Mansfield, et son amante Anaïs Nin qui seront les plus décisives pour son devenir d’écrivain, par leur soutien à la fois financier et intellectuel et par le partage de leur entregent. Si June, fut « le déclic », « La rencontre » qui libérera le jeune Henry de sa famille médiocre et étouffante, et la compagne de la découverte de Paris en 1928, son aura bénéfique ou maléfique le suivra longtemps, toujours peut-être. Elle est pourtant inconnue du grand public français. En revanche, Anaïs Nin, « la reine de Louveciennes », est sans doute davantage connue aujourd’hui en France que son amant ombrageux, parfois confondu avec son homonyme Arthur Miller, lui aussi souvent éclipsé par un mariage pourtant éphémère avec Marilyn Monroe.
Mais Henry Miller ne tient pas en place et comme les femmes passent, les paysages défilent. Il aime Paris mais il veut découvrir la France : la région dijonnaise, la Dordogne, la Côte d’Azur. Et puis en 1938, c’est le voyage en Grèce, « dernier interlude avant le déluge ». Là encore, François-Xavier Freland rejoint son auteur fétiche d’île en île. Comme lui, l’auteur d’Un été à Anafi, « chapeau de paille sur la tête, se prélasse au soleil, et se refait une santé lors de longues promenades dans les montagnes, et de bains de mer qui durent une éternité ».
Comme Miller dont il est le contemporain virtuel, François-Xavier Freland a en effet quelque chose d’intemporel, le talent peut-être ? Et ce charme indicible des esprits libres et des écrivains inclassables. Ce qu’on déteste le plus aujourd’hui, en somme.
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