Dans son nouvel essai Libres propos d’un inclassable, publié à La Nouvelle Librairie, le chroniqueur bien connu de nos lecteurs et ancien avocat général à la cour d’assises Philippe Bilger, propose quelques réjouissantes pensées. Elles sont tantôt tendres, grinçantes ou détachées, mais toujours sincères et savoureuses… Extrait.
Je me suis toujours qualifié de réactionnaire.
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On peut toujours, avec du courage, restaurer dans le présent des moments forts et nécessaires du passé. Le conservateur aspire à ce que rien ne bouge. Le réactionnaire, seulement à ce qu’il conviendrait de faire revenir. Je suis réactionnaire parce que je n’ai pas la qualité ou le défaut de l’indifférence et que je crois possible, souhaitable, nécessaire de faire revenir dans le présent des trésors singuliers ou collectifs du passé. Le conservateur, lui, ne veut jamais rien bouger ni changer. Il est assis sur le réel et n’en décampe jamais.
Je rêve d’un anarchisme de droite qui détesterait les privilèges indus et ne serait l’ennemi de personne. On a tellement dit à la droite qu’elle était morte qu’elle a failli le croire. Des bons apôtres se tenaient déjà à son chevet pour lui extorquer son ultime soupir. La gauche a pu être une espérance puis elle est devenue une illusion pour finir, au mieux, en nostalgie. La droite écoute tellement la réalité qu’elle risque d’être étouffée par elle. La gauche la met tellement entre parenthèses que les paradis qu’elle nous promet sont totalement artificiels. La droite et la gauche existent toujours, plus que jamais. Moins une question de politique qu’une certaine manière de s’appréhender, de concevoir sa vie et de se mouvoir dans le monde.
Je préférerai, contre vents et marées, le risque du singulier au confort du pluriel, ma voix modeste au verbe collectif qui emporte en nous faisant disparaître.
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Il y a des politiques tellement fiers de leur étiquette de droite ou de gauche qu’ils oublient de nous démontrer pourquoi c’est bien. Le politiquement correct de gauche m’a longtemps insupporté. Jusqu’au jour où il n’était plus seul mais accompagné par le politiquement correct de droite. Deux ronrons. On juge le communisme sur ce qu’il aurait voulu faire et le fascisme sur ce qu’il a fait. Dans la réalité, qui est le plus coupable et meurtrier ? Le Parti communiste est aux antipodes de ce que je sens et suis. Il n’empêche qu’entendre Fabien Roussel, son sympathique et honnête secrétaire général, n’est jamais une souffrance. Son empathie pour le peuple des salariés est sincère et il n’est pas étonnant qu’il participe à une manifestation des policiers. Ce n’est pas l’un de ces bobos crachant sans cesse sur la police ou la tournant en dérision sauf quand ils ont besoin d’elle !
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La dénonciation morale, dans le débat public, offre l’avantage de dispenser de la contradiction politique. Le RN est méchant, un point c’est tout. Et la masse qui vote pour lui, mal intentionnée !
Un jour la démocratie mourra d’être si médiocrement cultivée.
Un jour, le Rassemblement national menace la République, le lendemain des élections régionales il est au fond du trou. L’inanité de ces commentaires et analyses politiques qui croient décrire le réel mais nous exposent le leur.
Heureusement que le Rassemblement national existe : sinon les médias auraient trop d’indignation rentrée ! C’est l’exutoire, la démonstration qu’ils seraient pugnaces, combatifs, à « l’américaine ». Mais ils ne le sont qu’avec l’extrême droite. Un Mélenchon et ils regagnent la niche !
Une lâcheté dont je ne me remets pas. J’en ai eu tellement assez un jour d’être étiqueté d’extrême droite que j’ai éprouvé le besoin, sur mon blog, de répondre en niant toute accointance avec le FN puis avec le RN. J’ai eu doublement tort. J’ai cédé sous une pression lamentable ! Et les imbéciles et les obtus ont continué comme si je n’avais rien dit. (…)
Libres propos d’un inclassable, La Nouvelle Librairie, septembre 2021
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