« Un droit que l’on n’exerce pas est un droit qui meurt. Une liberté dont on oublie le prix est une liberté en péril » Benoîte Groult (Ainsi soit-elle)
Il y a une aggravation des atteintes à la liberté d’expression. Un homme s’est élevé contre une exposition humainement controversée au musée du Jeu de Paume. Il y téléphone puis envoie un mail pour manifester sa désapprobation. Dès le lendemain, il est convoqué par la police criminelle, mis en garde à vue, son appartement est perquisitionné ! La garde à vue, devant l’absence de dossier, est levée dans la journée.
Donc envoyer un mail de réprobation serait devenu un délit. Que le musée porte plainte lorsqu’il est menacé est normal mais qu’il alerte les forces de l’ordre pour délit d’opinion, cela s’appelait autrefois dénonciation calomnieuse. D’autant que le mail incriminé ne semble comporter aucune menace physique. Dès lors, comment la police fut-elle avertie ? Il n’y a que deux solutions : soit les autorités françaises agissent comme l’administration américaine et pirate tout le monde, soit le musée fait de la délation. La garde à vue ayant été rapidement levée, j’ai la faiblesse de croire que la police a été instrumentalisée par l’apparence de sérieux d’un musée, et n’a pas analysé les pièces car elle n’a pas pu même imaginer cette dérive. Il reste à espérer qu’elle a porté l’affaire devant le parquet et que celui-ci ne la glissera pas sous ses plinthes…
Bien sûr, il y a la question controversée de la partie « death » de l’exposition présentant en résistants des membres d’organisations paramilitaires violentes qui s’étaient fait exploser au milieu de passants anonymes dans des bus, des restaurants, des lieux publics. Qu’il y a-t-il de commun avec ces attitudes meurtrières et la guerre de Jean Moulin et les résistants qui, eux, n’avaient pour objectifs que les objectifs militaires d’un ordre assassin prédateur de la liberté d’expression ? Et voilà qu’une philosophe de l’art veut à tout prix cautionner cette assimilation et, ignorant le sort les victimes, couvre le terrorisme à défaut d’en faire l’apologie. Pas d’interrogation pour les foyers des victimes. Finalement, il se trouve que la liberté d’expression n’est pas ici, mais vient de là où ces photos ont été faites, là où les visiteurs de l’exposition savent qui sont les sinistres personnages vedettes de cette artiste arabe israélienne… Une consigne ministérielle enjoignant à apporter l’information manquante n’a pas été respectée. Jeu de paume, jeu de vilain : tout juste y trouve-t-on une note précisant que les légendes sont de l’artiste… une belle façon de se dégager de toute responsabilité.
À Paris, on n’inquiète pas les néo-apologistes irrespectueux des circulaires étatiques, on met en garde à vue les indignés… pardon, ceux qui manifestent leur désapprobation. Le seul martyr mort en opération est la liberté d’expression assassinée au nom d’une prétendue liberté d’expression. Les oignons pleurent-ils aussi quand on les coupe ?
Ceci intervient dans un climat pour le moins curieux autour de la liberté d’expression et de la défense des valeurs de la démocratie. Et le phénomène n’est pas nouveau. En matière de valeurs abandonnées : les Darfouris laissés aux fureurs d’un président poursuivi par la Cour Pénale Internationale, les Tibétains oubliés, les Syriens progressivement englués dans une situation de peste ou de choléra par les tergiversations occidentales, les Touaregs démocrates du MNLA sacrifiés au dogme de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme, colonialisme qu’au demeurant nous haïssons, etc… Le monde est plein du silence brisé par les cris des suppliciés. Laissons en paix les tyrans et les massacreurs, commerçons.
Pour la liberté d’expression, les affaires deviennent nombreuses. Impossible de défendre la laïcité de la crèche Baby Loup installée dans « les quartiers », la justice ayant annulé le licenciement d’une employée qui décide de porter le voile. Un jeune manifestant, Nicolas, pour lequel je n’ai pas de sympathie particulière et parce qu’il se lève contre un projet gouvernemental et refuse, sans violence, la dispersion et un prélèvement ADN, est arrêté puis condamné à deux mois ferme! Des manifestations non autorisées sont légion, des casseurs ne sont pas appréhendés ou condamnés avec sursis voire relaxés. En Tunisie, les Femen sont libérées, en France Nicolas est enfermé.
Sur la contestation d’un reportage pour le moins douteux d’événements qui auraient aboutis à la mort du jeune Al-Dura au carrefour de Netzarim, au terme d’un incroyable marathon judiciaire de treize ans, la Cour de cassation, contre l’avis de son avocat général, « annule la relaxe de Karsenty au motif que la cour d’appel n’avait pas à demander les rushs du reportage, car il appartient au prévenu d’apporter les preuves de sa bonne foi en vertu de ce qu’il savait au moment des accusations proférées ». On ne peut donc demander à ce que la justice s’éclaire… Mais on dit que le cabinet conseil de France Télévisions est celui du compagnon de la Garde des Sceaux, cela fait désordre.
Un nouveau jugement condamne donc Philippe Karsenty pour diffamation à l’encontre de France Télévisions et son reporter (qui n’avait pas plus de preuves dans son reportage puisqu’absent des lieux). La condamnation n’infirme en rien les propos de Karsenty : la télévision publique allemande ARD en 2002 et 2009 affirmait la manipulation, des journalistes indiscutables à la vision des fameux rushs n’ont vu ni agonie insupportable de l’enfant ni marque de sang… les quinze balles alléguées dans le corps devaient être cautérisantes, hémostatiques.
Et il y a l’affaire du « mur des cons » (photos de personnalités politiques, intellectuelles ou journalistiques dites de droite) découvert par hasard et révélée par un journaliste d’abord anonyme. Au Syndicat de la magistrature (SM), on juge avant de juger. L’information est publiée et immédiatement le Syndicat national des journalistes (SNJ) apporte son soutien syndicaliste au SM sans se soucier ni du devoir ni de la liberté d’information… Les faits devraient être très tus. La présidente du SM, Françoise Martres, évoque une action de potaches. Notre liberté dépend donc des jeux de membres potaches d’un syndicat qui avait appelé à voter Hollande au second tour. Mais le scandale est là, la Garde des Sceaux (toujours la même) saisit le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui se déclare incompétent… Evidemment. Il renvoie les uns et les autres à leurs responsabilités. Que croyez-vous qu’il arriva devant ce dévoiement ? Le SNJ-CGT obtient de la direction de France 3 que Clément Weill-Raynal soit entendu par une commission de discipline. Pourtant, aucun des représentants siégeant au sein de ce tribunal d’exception n’a voté pour une mise à pied. La chaîne a interdit de travail celui qui accomplit sa mission d’informer. De fait, celui-là était fondé à diffuser discrètement l’information hors son employeur qui fut le dernier média à la révéler… Il n’y eut à l’annonce de la sanction aucune indignation, le SM a discrètement fait disparaitre son « mur des cons ». Circulez, il n’y a rien à voir et rien à dire.
Dans ces conditions, rien d’étonnant qu’une manifestation contre l’exposition au Jeu de Paume soit, pour « cause de menaces », reportée du 16 au 30 juin.
Il n’est pas pensable que nos responsables élus et ministres aient une tentation despotique, ils ont juste la certitude de détenir la vérité. Mais toutes les tyrannies ont eu cette certitude. La crainte du risque d’un subreptice glissement à la pensée unique par défaut de valeurs et de volonté, par l’abandon du raisonnable est saine, le doute est un courage.
*Photo : brianjmatis.
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