Liberté, égalité, fiscalité


Liberté, égalité, fiscalité

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« Il n’y a rien que la sagesse et la prudence doivent plus régler, que cette portion que l’on ôte, et cette portion qu’on laisse aux sujets. Ce n’est point à ce que le peuple peut donner, qu’il faut mesurer les revenus publics ; mais à ce qu’il doit donner. »  écrivait Montesquieu dans L’esprit des Lois (Livre XIII, chapitre premier).

L’impôt a ceci de commun avec le sexe que ce sont ceux qui ne le pratiquent pas qui en parlent le mieux. L’ex-ministre Thomas Thévenoud avait donné de cette maxime une éclatante illustration en s’emportant contre un Jérôme Cahuzac osant soustraire au fisc français une part de son helvétique butin. Mais, à tout seigneur tout honneur, c’est bien le premier ministre Manuel Valls qui vient de planter dans le cercueil du consentement des Français à l’impôt un clou des plus solides, lui dont le « social-libéralisme », bien que dénoncé par les Thierry la Fronde de tout poil, semble de plus en plus hémiplégique. A l’heure où l’incapacité française à mettre de l’ordre dans ses finances publiques est la risée tragi-comique du reste du monde, alléger encore l’impôt de ceux qui n’en paient déjà, le plus souvent, qu’une somme symbolique eu égard aux services et transferts publics dont ils bénéficient, tient de la provocation.

En proposant de supprimer la première tranche de l’impôt sur le revenu, Manuel Valls a commis une faute qui va bien au-delà de l’irresponsabilité fiscale – laisser filer les déficits et endetter l’Etat constituant apparemment l’un des principes fondateurs de la nouvelle motion de synthèse du groupe parlementaire socialiste. Une telle mesure constitue aussi et surtout une régression démocratique, une remise en cause des fondements essentiels du pacte républicain, et une négation de la solidarité nationale.

Sur les 37 millions de foyers fiscaux que compte notre pays, plus de la moitié (51,5%) ne s’acquittera pas cette année du moindre centime d’euro d’impôt sur le revenu des personnes physiques au titre des revenus de 2013. Pire encore, environ 1% des foyers fiscaux, soit 400 000 d’entre eux, supportent depuis plusieurs années près de 40% de la charge de l’IRPP, et 10% des foyers (moins de 4 millions) en paient près des trois quarts. A l’heure où le thème des inégalités obnubile chercheurs et politiciens, il semble de bon ton de rappeler l’un des fondements essentiels de notre pacte social : le principe d’égalité devant l’impôt. Que la progressivité de l’impôt en implique une inégale répartition est raisonnable ; qu’elle en concentre le poids exclusivement sur une minorité de classes moyennes supérieures exaspérées est dangereux.

Point n’est besoin de remonter jusqu’au fantasme classique libertarien d’Ayn Rand, Atlas Shrugged, pour dépeindre le découragement de ces 10% sur les épaules desquels repose le poids de l’impôt direct et des cotisations sociales. On comprend aisément la frustration de ces femmes et ces hommes, qui regardent en haut et voient danser sur leurs têtes les héritiers et les nantis, qui échappent à l’impôt à grands coups d’évasion et d’honoraires d’avocats ; on imagine leur agacement, quand, regardant en bas, ils découvrent les ravages du populisme fiscal, qui exonère de la moindre contribution directe près de la moitié de la population, pourtant premiers bénéficiaires des transferts et dépenses publiques.

Mais les conséquences de la proposition Valls vont au-delà de ses effets délétères sur l’incitation à produire de la richesse en France, au-delà du nouveau coup porté à la crédibilité de la France dans sa stratégie de réduction des déficits publics. Cette mesure, si elle passe les fourches caudines du Conseil constitutionnel, exonérera de l’effort collectif (on n’ose même plus parler d’austérité) six millions de foyers supplémentaires, et par là-même achèvera de délégitimer la notion même de contribution fiscale dans notre pays.

Le terme, galvaudé et banalisé, de « contribuable », qu’un numéro fiscal commode déshumanise aux yeux des monstres froids de l’administration, doit être réhabilité. Contribuer, cum-tribuo, c’est donner ensemble, pour signaler son engagement de faire partie intégrante de la tribu, de la collectivité nationale. Etre un contribuable, c’est accepter de renoncer à une part, même symbolique, des fruits de son travail ou de son épargne, pour participer à hauteur de ses moyens au financement des dépenses que nous choisissons, collectivement, et démocratiquement, d’assumer. Etre un contribuable, c’est, pour chacun, renouveler, chaque année, physiquement, concrètement, son acte d’adhésion à la société, son consentement à l’interdépendance qui nous lie et nous oblige.

Vouloir, comme Manuel Valls, exonérer d’une telle contribution une part toujours plus grande de la population, est peut-être à court terme un savant calcul pour sa popularité et celle du président de la République. Mais c’est troquer quelques points dans les sondages contre une profonde entaille dans le pacte républicain. Ne plus payer l’impôt, c’est, dans le même geste, répudier sa signature au bas de notre contrat social, se réduire à n’être plus qu’un membre passif de l’effort chaque jour renouvelé pour créer les conditions du vivre en commun.

*Photo: JAUBERT/SIPA.00543518_000002



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est étudiant à l'Ecole Normale Supérieure et à HEC

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