Accueil Édition Abonné Le wokisme n’existe pas. Enfin, ça dépend des jours…

Le wokisme n’existe pas. Enfin, ça dépend des jours…

Et pour la théorie du genre, c’est à peu près la même chose


Le wokisme n’existe pas. Enfin, ça dépend des jours…
Le sociologue français Eric Fassin © BALTEL/SIPA

Le wokisme, selon Libération ou France inter, c’est un peu comme un coloc trop engagé qui vous reproche de respirer parce que « ça prend de l’air aux autres ». D’un côté, Luc Le Vaillant crie au scandale liberticide, de l’autre, Clémence Mary lui rétorque qu’il est juste coincé dans le siècle dernier. Pendant ce temps, dans les écoles, d’affreux réactionnaires s’offusquent qu’on apprenne aux élèves à débattre de leurs pronoms avant même de savoir conjuguer un verbe.


Pour une surprise, c’est une surprise. Le 19 novembre, paraissait dans les colonnes de Libération un article de Luc Le Vaillant intitulé “Lettre au wokisme qui existe bel et bien”. S’adressant directement à ce « cher wokisme », l’auteur écrivait : « Tu prétends éveiller les consciences aux discriminations diverses et aux stigmatisations endémiques. Selon toi, celles-ci prospèrent en une viralité apocalyptique, quand je continue à penser que nos contrées n’ont jamais été aussi civilisées »[1]. Et de dénoncer certains de ses effets concrets et délétères: l’invention des « sensitivity readers » dans les maisons d’édition et des « coordinateurs d’intimité » dans le cinéma ; la surveillance liberticide dans les milieux médiatiques, artistiques et universitaires ; la censure d’anciens artistes au nom d’une nouvelle morale inquisitoriale ; ainsi qu’un compagnonnage « parfois exagérément inclusif avec les barbus les plus fondamentalistes ». « Cher wokisme, je ne serai jamais ton meilleur pote », écrivait alors Luc Le Vaillant en s’étonnant que ses serviteurs les plus zélés prétendent qu’il n’existe pas. Bien sûr, assurait-il, certaines luttes progressistes sont légitimes et verser dans un anti-wokisme primaire ferait le jeu de qui vous savez. Toutefois, concluait-il, il serait souhaitable que le wokisme « évite de reproduire à sa manière les aberrations de Saint-Just ». Il paraît qu’à la lecture de ce papier, Thomas Legrand, chroniqueur politique de Libé, est tombé de sa chaise.

Clémence Mary se perd quai de Conti

Trois jours plus tard, la journaliste de Libération Clémence Mary rectifie le tir et présente le wokisme sous un tout autre jour[2], celui qui plaît tant à Thomas Legrand et nimbe cette idéologie de couleurs radieuses. Mme Mary signale avec amertume que, si l’Académie française a fait entrer les mots « woke » et « wokisme » dans son dernier Dictionnaire récemment paru, le mot « féminicide » n’y figure toujours pas. Elle ignore visiblement le fonctionnement de la mise à jour des définitions, apparitions ou retraits des mots dans ledit Dictionnaire : le premier tome de cette 9e édition a été publié en… 1992, et concernait les mots de A à E. Les mots commençant par la lettre F ont été étudiés dans le tome 2, élaboré entre 2000 et 2011, à un moment où le mot « féminicide » restait d’un usage extrêmement confidentiel en France. Le quatrième et dernier tome (de R à Z), commencé en 2012, vient de paraître et inclut, en plus de « wokisme », des mots comme… « télétravail » ou « vegan ». « La 9e édition du Dictionnaire propose plus de 53 000 entrées, dont 21 000 entrées nouvelles par rapport à la 8e édition, ce qui représente un quasi doublement du volume de son contenu », est-il précisé sur le site de l’Académie française.

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Plutôt que de se renseigner sur l’élaboration du Dictionnaire de l’Académie française, la journaliste de Libé préfère nous donner un cours dérisoire sur « l’apport universitaire (sic) des gender studies et des études post-coloniales » puis sur la disqualification de ces « études » qui ne peut venir, selon elle, que de l’extrême droite. Mme Mary n’a apparemment pas connaissance de l’existence d’intellectuels classés plutôt à gauche et ne goûtant guère ces « études » idéologiques et militantes à mille lieues de la véritable recherche universitaire  – à moins que, suivant un processus mental très en vogue dans les milieux dits progressistes, elle ait décidé que toute personne critiquant ces bidules-studies est fasciste, raciste, réac, homophobe, transphobe, bidulophobe, bref… d’extrême droite. Pour conforter son point de vue, elle se tourne vers une pointure de Paris VIII, un agrégé d’anglais auto-proclamé sociologue, soi-disant « spécialiste des études de genre », représentant officiel en France de la firme Judith Butler, j’ai nommé Éric Fassin. Le propos, simplissime, pastiche celui de la journaliste de Libé : « Actuellement, le danger vient de l’extrême droite, pas du supposé wokisme. Rendre les revendications minoritaires responsables de la haine des minorités est une victoire idéologique du trumpisme et de l’extrême droite. » M. Fassin vient d’écrire un essai dans lequel il a jeté toutes ses modestes forces intellectuelles pour dénoncer ce qu’il appelle la Misère de l’anti-intellectualisme : Du procès en wokisme à celui en antisémitisme. Ce militant « intersectionnel » aimerait bien passer pour un intellectuel universitaire de haut vol – malheureusement, ses rares et faméliques écrits, ses besogneux travaux sur le genre (resucée indigeste de la soupe butlérienne indigente) et ses discours répétitifs et insignifiants sur les sempiternels sujets « sociétaux » ne jouent pas en sa faveur. « Le militantisme académique attire en priorité les plus médiocres (qui sont souvent aussi des apparatchiks, à la production plus que mince), ne connaissant guère que le morne confort de la langue de bois mais pas la joie pure de la découverte », rappelle justement la sociologue Nathalie Heinich[3]. Dans unentretien donné à l’inénarrable Pascal Boniface, le fascinant Fassin ose affirmer: « Au nom de la lutte contre le wokisme et l’antisémitisme, la droite radicalisée s’en prend à la liberté d’expression et de manifestation. On exclut du débat public les figures qui tiennent un discours dissonant, dès lors qu’il vient de la gauche ; en revanche, la radicalité droitière a antenne ouverte dans les médias. On a voulu nous faire croire que la culture de l’annulation, c’était la gauche ; or c’est la droite. Et que la censure, ce seraient les minorités ; pourtant, ce sont elles que l’on interdit de parole »[4]. Cette phrase hallucinante, de bout en bout mensongère, inverse tout simplement la réalité.

Patrick Cohen tombe dans les pièges sémantiques du wokisme

2 décembre 2024. Théorie du genre, encore. C’était prévisible : le journaliste Patrick Cohen n’a pas suivi mon conseil – se documenter sur le wokisme avant que d’en parler (voir mon article du 15 novembre) – et s’est par conséquent livré, sur France Inter, à un nouvel exercice de dénonciation systématique de « l’extrême droite » pour dissimuler son ignorance. Le motif de ce courroux facilité par une profonde méconnaissance du sujet abordé ? La détermination du ministre délégué à l’Éducation nationale, Alexandre Portier, qui a déclaré vouloir revoir entièrement le projet, « inacceptable en l’état », de programme d’éducation sexuelle à l’école. Parmi ses critiques : la manière d’aborder le sujet, en particulier chez les enfants dès la maternelle ; les ruses sémantiques pour laisser pénétrer dans l’école une théorie du genre qui, d’après Patrick Cohen & Co, n’existe pas, mais dont les termes et les notions apparaissent pourtant à de nombreuses reprises dans le projet en question ; les « ressources pédagogiques » étrangement orientées de l’Éducation nationale et d’associations militantes, dont le Planning familial et les associations LGBT les plus furieusement activistes – OUTrans, par exemple, s’était fait remarquer à l’École alsacienne en traitant de « transphobe »tout élève refusant de croire qu’un homme peut être «enceint » et en encourageant fortement chaque collégien à faire sa « transition », c’est-à-dire à « façonner son corps et son identité comme iel l’entend, c’est-à-dire avec ou sans modifications corporelles », expliquait-on sur le site de l’association.

Furieux, l’éditorialiste france-intérien s’époumone : « Il s’est trouvé un ministre délégué pour promettre de faire barrage à la “théorie du genre”, épouvantail des réactionnaires, qui n’a pas plus de réalité qu’il y a 10 ans. » La théorie du genre n’existe pas ; pourtant M. Cohen se réjouit de ce que « la question du genre » sera abordée à partir du collège. Le journaliste ne perçoit par ailleurs aucun problème dans le fait qu’en maternelle et en primaire « le programme [soit] centré sur la vie affective et relationnelle » en abordant une notion sur le consentement pour le moins problématique. « En matière de sexualité, l’enfant n’a pas à consentir, il n’y a que des interdits », est-il rappelé avec fermeté dans L’éducation sexuelle à l’école, l’excellent essai co-écrit et dirigé par Sophie Audugé[5]. Cette spécialiste des politiques éducatives souligne que « le cadre actuel de l’éducation à la sexualité dans nos écoles est une copie consciencieuse des standards de l’OMS », lesquels s’appuient sur des notions d’ « auto-détermination de genre », de « sexualité citoyenne » et d’« éco-sexo-citoyenneté » dans le but d’imposer un modèle normatif et d’opérer un contrôle total sur les individus tout en « déconstruisant » les structures familiales. Je conseille à M. Cohen de lire cet ouvrage. Il y trouvera de nombreux témoignages d’élèves, de parents ou de professeurs confrontés malgré eux à l’idéologie du genre. Dans le Loiret, apprendra-t-il entre autres, les parents d’un enfant de trois ans ont découvert que, dans sa classe de maternelle, « les lectures et les activités associées se rattachent toutes à des livres sur la théorie du genre, les stéréotypes fille/garçon et l’importance de les dépasser notamment pour les garçons en se travestissant ». Ils se tournent alors vers les enseignants pour leur demander les raisons de ce choix. « Ils nous ont seulement dit qu’ils étaient fiers (sic) d’avoir choisi ce genre de livres. » Ces parents attentifs retireront finalement leur enfant de cette école – mais nombreux sont ceux qui, peu au fait du militantisme woke qui gangrène certains établissements, continuent de faire aveuglément confiance à l’Éducation nationale. Ce en quoi ils ont tort – ce qu’un court rappel des faits leur prouvera.

Le genre et nos petites têtes blondes

La diffusion du genre à l’école a débuté en 2010. Luc Châtel, ministre à l’époque, mettait alors ses pas dans ceux de Richard Descoings qui avait introduit cet enseignement à Sciences Po l’année précédente. Dans son Enquête sur la théorie du genre[6], la polytechnicienne Esther Pivet alertait quelques années plus tard sur les contenus de certains livres scolaires. Deux exemples parmi cent : Hachette proposait, dans ses manuels Sciences de la vie et de la Terre, un chapitre intitulé « Le genre, une construction sociale », dans lequel il était affirmé que « la société construit en nous, à notre naissance, une idée des caractéristiques de notre sexe » (manuel SVT 1ère ES et L). Les éditions Magnard, elles, attiraient l’attention sur le fait que les comportements des parents avec leurs enfants « contribuent à forger peu à peu des identités qui, pour n’avoir rien de naturel, finissent par coller à la peau des garçons et des filles comme une seconde nature. » L’illustration accompagnant ce texte était le dessin d’un homme en jupe. Si ça, ce n’est pas de l’endoctrinement…

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En 2013, Mme Vallaud-Belkacem lançait son programme ABCD de l’égalité, programme dans lequel se glissaient des références explicites à la théorie du genre – qui n’existait pourtant pas, selon elle. Ainsi pouvait-on lire sur le site de l’Education nationale que « le programme ABCD de l’égalité, qui s’adresse à l’ensemble des élèves de la grande section de maternelle au CM2 et à leurs enseignants, vise à déconstruire les stéréotypes de genre ». Dans sa lettre de mission à l’IGAS, Mme Vallaud-Belkacem précisait : « Le féminin et le masculin sont avant tout des constructions sociales. […] La cible des enfants de moins de trois ans se doit d’être au cœur des préoccupations des politiques publiques dans la mesure où les assignations à des identités sexuées se jouent très précocement. » Ce qui est au cœur des préoccupations publiques n’est donc pas d’apprendre la lecture et l’écriture à nos enfants, mais de leur désapprendre les fameux stéréotypes de genre dès la sortie du berceau. Si les ressources pédagogiques proposées aux enseignants pour mener à bien cette propagande woke feront tiquer quelques inspecteurs regrettant que « les fondamentaux de la psychologie de l’enfant soient peu mobilisés » et que « l’approche privilégiée est celle de la sociologie, ce qui est limité même si cette approche est essentielle », rien n’y fera et la folie déconstructiviste gagnera toutes les académies tandis que les futurs enseignants subiront lors de leur formation les conférences de représentants butlériens. Plus tard, Jean-Michel Blanquer pondra une circulaire demandant à la communauté éducative d’appliquer de nouvelles « mesures d’accompagnement pour les jeunes transgenres ou en questionnement sur leur identité de genre ». Le ministre se dira très sensible à certaines recommandations du Rapport sur les « stéréotypes de genre » écrit par la Délégation des droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes pour l’Assemblée nationale, parmi lesquelles : « repenser l’aménagement des cours de récréation », « créer un label égalité pour les manuels scolaires et inciter les éditeurs à poursuivre leurs efforts dans la lutte contre les stéréotypes de genre », « prévoir un module de formation obligatoire de sensibilisation aux stéréotypes de genre » pour les enseignants, et, enfin, « faire de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire un enseignement obligatoire spécifique dispensé dès la maternelle »,et prévoir, dès la classe de 6ème, « l’intervention d’associations sensibilisant les jeunes aux droits des LGBTQIA + ». Le projet actuel de programme d’éducation à la sexualité n’est que l’aboutissement administratif d’une réalité qui a pris ses quartiers dans l’école depuis longtemps. Pourtant, Patrick Cohen continue d’affirmer que cette réalité n’existe pas.

Caroline de Haas et Najat Vallaud-Belkacem, lors de la Journée internationale des droits des femmes 2020, à Paris © Vincent Loison/SIPA

Les idéologies wokes (du néo-féminisme à la théorie du genre en passant par l’antiracisme racialiste) et la propagande écologiste (sous la férule d’un GIEC idolâtré, responsable pourtant, en grande partie, de notre déchéance économique actuelle) existent. Elles ont fait leurs nids dans les écoles françaises. L’Éducation nationale n’instruit plus. Elle éduque et elle dresse. Elle n’apprend pas à nos enfants à penser – elle leur apprend ce qu’il faut penser. Participant au contrôle social, elle sait pouvoir s’appuyer sur des médias acquis aux dérives du pouvoir progressiste en place, en particulier la réduction au silence de médias indépendants remettant en cause la propagande woke, européiste, immigrationniste et écologiste, inculquée dès le plus jeune âge. L’Éducation nationale fabrique ainsi des crétins en masse. « L’École de la transmission des savoirs, l’École de la formation des citoyens est morte », écrivait Jean-Paul Brighelli en 2022[7], tout en espérant un sursaut.

La nomination de Jean-Michel Blanquer à la tête de l’Education nationale avait tiré une grimace à Mme Vallaud-Belkacem, ce qui était bon signe. Mais le ministre Blanquer, confronté aux apparatchiks de la rue de Grenelle et aux puissants syndicats de gauche, n’a ni su ni pu enrayer le déclin. Et ne parlons pas de ses successeurs, plus mauvais les uns que les autres.

Résultats ? Le Bac est, plus que jamais, une mascarade. L’illettrisme gagne du terrain tous les jours. Nos élèves sont nuls en mathématiques. Les nouveaux professeurs en savent parfois à peine plus que leurs élèves. À ce désolant constat, il faut ajouter le problème de l’immigration et, conjointement, celui de l’entrisme islamiste dans nos écoles, sujet que Jean-Paul Brighelli aborde avec clairvoyance dans son dernier livre[8]. Mais sans doute les journalistes de Libération et France inter considèrent-t-ils que cette alarmante réalité est, elle aussi, une vue de l’esprit ou, pour le dire à leur manière rabâchée, un délire des milieux réactionnaires, ultra-conservateurs, racistes et islamophobes…


[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/opinions/lettre-au-wokisme-qui-existe-bel-et-bien-par-luc-le-vaillant-20241119_TOR4TQUFNZHVDGHWBBWEWRTGAI/

[2] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/quest-ce-que-le-wokisme-ce-bouc-emissaire-de-trump-de-la-droite-francaise-et-dune-partie-de-la-gauche-20241121_5D4Z64R76VFZDH6V3WU763U35Y/

[3] Nathalie Heinich, Ce que le militantisme fait à la recherche, Tract Gallimard n°29.

[4] https://www.pascalboniface.com/2024/11/29/misere-de-lanti-intellectualisme-4-questions-a-eric-fassin/

[5] Sophie Audugé et Maurice Berger, L’éducation sexuelle à l’école, 2024, Éditions Artège.

[6] Esther Pivet, Enquête sur la théorie du genre, 2019, Éditions Artège.

[7] Jean-Paul Brighelli, La fabrique du crétin, vers l’apocalypse scolaire, 2022, Éditions de l’Archipel.

[8] Jean-Paul Brighelli, L’École sous emprise, 2024, Éditions de l’Archipel.




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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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