« Une tendance à la chasse à l’homme s’est instituée depuis quelque temps à gauche. » Ces propos, extraits d’un entretien publié sur le site du Figaro, devraient valoir à notre ami Jacques Julliard la médaille d’or de l’euphémisme. En fait de tendance, il s’agit d’une véritable frénésie, voire d’une forme d’hystérie. Sapir, Onfray, Biraben, Morano, sans oublier les suspects habituels, de Finkielkraut à Houellebecq en passant par Zemmour et votre servante, une sorcière chasse l’autre.
Ces derniers temps, c’est donc le cas Onfray qui a occupé les esprits et la vie parisienne. Je ne sais plus très bien ce qui, dans l’entretien qu’il a accordé à Alexandre Devecchio du Figaro, a déclenché l’ire de Laurent Joffrin. Toujours est-il que, le 15 septembre, celui-ci se fend d’un numéro de Libération sobrement intitulé « Migrants, FN, médias : nos réponses à Michel Onfray ». Le sous-titre nous apprend que « le philosophe défend des thèses qui alimentent la propagande d’extrême droite » – je n’ai toujours pas bien compris de quelles thèses il s’agissait, mais peu importe. Quelques jours plus tard, c’est Le Monde qui épingle, toujours en « une », « ces intellectuels que revendique le FN ». On remarquera la tournure habile, qui permet de prendre dans la rafle non pas ceux qui se déclarent positivement proches du FN, mais ceux qui ont le malheur de lui plaire sans l’avoir cherché. Le Monde exhume une vieille citation de Marion Le Pen pour lui faire égrener la liste noire de ses « alliés objectifs », où figure, excusez du peu, « le mensuel conservateur Causeur ».
Quiconque ose s’opposer au dogme sur l’immigration (forcément bénéfique), l’islam (forcément pacifique) ou l’identité française (forcément heureuse) est donc suspect de faire le jeu de qui vous savez. Seulement, n’importe quel talmudiste du dimanche sait que l’important, c’est la question. Et en l’occurrence, la question – qui fait le jeu du Front national ? – est particulièrement stupide : si le FN progresse tandis que le PS régresse, ce n’est évidemment pas à cause des écrits d’Onfray ou des autres, mais peut-être parce que le premier répond aux aspirations des électeurs mieux que le second.
Une semaine plus tard, prenant appui sur le livre de Geoffroy Lejeune et la une afférente de Valeurs actuelles – « Zemmour président » –, Le Monde remet le couvert et cloue au pilori « ces polémistes qui prennent la place des politiques ». Sans surprise, les usurpateurs sont peu ou prou les « alliés objectifs » de la semaine précédente – Onfray, Guilluy, Finkielkraut, cela tourne à l’obsession. Entre-temps, la liste noire s’est enrichie du nom de Maïtena Biraben. La journaliste, qui a succédé à Antoine de Caunes au Grand Journal de Canal+, a en effet commis un crime de taille en parlant du « discours de vérité » du Front national. N’importe quel téléspectateur honnête aura compris qu’elle parlait au second degré. Les garde-chiourmes de la pensée n’ont cure de ces chichis : accoler les mots « FN » et « vérité », c’est signé, chef. On notera au passage que le seul point commun à tous les proscrits est précisément qu’ils sont proscrits.
C’est alors que de bons esprits, en particulier notre ami Périco Légasse de Marianne, proposent d’organiser un grand meeting pour défendre la liberté de débattre et protester contre cette délétère manie du lynchage. L’initiative est fort louable. Mais il semble que, pour certains, les lynchages soient condamnables seulement quand leurs victimes émargent à gauche. Les autres, on peut cogner, chef. La plupart des sommités pressenties semblent répugner à l’idée de faire tribune commune avec Éric Zemmour (et même avec ma pomme). Il est vrai que le débat, c’est plus tranquille quand on est d’accord, comme l’expliquent Geoffroy de Lagasnerie et Édouard Louis dans un texte hilarant. Nos deux experts en mauvaises fréquentations se sont fait une petite réputation il y a un an en bataillant contre l’invitation de Marcel Gauchet aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Leur texte est en quelque sorte un mode d’emploi du lynchage médiatique. Pour « redéfinir et transformer la scène intellectuelle et politique », notre duo de rebelles propose quelques principes, dont « le principe de refus » : « fuir les débats imposés, refuser de constituer certains idéologues comme des interlocuteurs, certains thèmes comme discutables, certains problèmes comme pertinents. »
Cette ardeur à censurer et à faire tomber des têtes peut paraître très inquiétante. Elle est surtout risible. La machine a beau s’emballer, elle tourne à vide. Aujourd’hui, être dénoncé en « une » du Monde n’a pas la moindre conséquence négative sur une carrière ou une réputation. Être dénoncé comme « faisant le jeu du Front national » ne vous fera pas perdre la considération de vos contemporains. Le succès persistant de Houellebecq, Finkielkraut ou Zemmour laisse en effet penser que plus personne n’écoute les donneurs de leçons et même que leurs proscriptions fonctionnent comme des prescriptions. On conviendra qu’il y a de quoi perdre les pédales.
Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°28. Pour acheter le magazine, cliquez ici.
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