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Quand Libé se demande si sa rédaction est « blanche »

Et recense ses "minorités visibles"


Quand Libé se demande si sa rédaction est « blanche »
Laurent Joffrin, novembre 2017.

Dans sa rubrique dédiée au « fact-checking », Libé publie un article intitulé: « La rédaction de ‘Libé’ est-elle ‘blanche’ ? ». Et recense ses collaborateurs issus des « minorités visibles »


Été 1998, la France, ivre de sa victoire à la Coupe du Monde de football croit le multiculturalisme accompli et se vautre dans le « black blanc beur ». Eté 2018, le quotidien Libération, dans un long papier commis par Cédric Mathiot, se pose la question suivante : « La rédaction de Libé est-elle blanche ? ».

D’après l’auteur, le questionnement est parti d’un journaliste noir américain de The Atlantic, Ta-Nehisi Coates qui demande en 2015 après la tuerie de Charlie Hebdo à parler à un journaliste maghrébin, on lui répond qu’il n’y en a qu’un, pigiste de surcroit : Rachid Laïreche, celui-ci témoigne : « Il était venu me voir, ça l’avait rendu dingue. Il m’a dit ‘Mais attends, tu es le seul dans toute la rédaction ?’ Il me disait qu’aux Etats Unis il y avait un manque, mais qu’il y avait des latinos, des noirs dans toutes les rédacs. Il disait que ça, cette absence de noirs et d’arabes ça expliquait aussi, le ‘Je suis Charlie’ et le ‘Je ne suis pas Charlie’. Que faut-il comprendre ? Qu’être Charlie était un truc de « blancs » ? Il semble que le Parti des Indigènes de la République (PIR) ait bien compris la leçon. Mais qui est ce Ta-Nahisi Coates, qui vient mettre son nez dans notre tradition universaliste française ?

« C’est quoi un blanc ? »

Fils d’un Black Panther, il est journaliste et écrivain et s’intéresse particulièrement aux violences raciales aux Etats-Unis. En 2015, son ouvrage, Between the world and me, traduit en français par Une colère noire, connait un certain succès. Ecrit comme une longue lettre à son fils, il y explique, qu’en dépit de décennies de luttes, le racisme anti-noir est encore très présent dans son pays. J’aurais envie de lui répondre « mind your business », les Etats-Unis ne sont pas la France, nous n’avons jamais connu de ségrégation et la République est censée intégrer tous les citoyens sans distinction de race. M’est avis que notre Houria Bouteldja nationale doit avoir un portrait de Ta-Nahisi au-dessus de son lit.

Il est souvent reproché à Libération, surtout sur les réseaux sociaux, d’être en effet une rédaction « blanche ». La photo prise en 2015 dans leurs anciens locaux de la rue Béranger en témoigne, et a même provoqué un mini tollé sur Twitter : « Cet odieux entre soi d’ignobles petits blancs frileux qui refusent de se faire enrichir culturellement ». Rien que ça.

D’autant plus que Libé se fait le chantre de l’antiracisme et de l’indigénisme, on ne compte plus les tribunes de ces derniers au sein du quotidien, sans compter leur soutien inconditionnel au martyr des banlieues, Adama Traore.

On sent toutefois l’auteur du papier un peu gêné. Libération est-il légitime pour traiter des minorités ? Mathiot essaie de définir maladroitement ce qu’est un « blanc » : «  D’abord il y a des raisons a priori de ne pas répondre à cette question. La première étant qu’on a pas envie de ranger ses collègues par couleur de peau. La deuxième est que c’est compliqué, forcément arbitraire de classer. C’est quoi un blanc ? Un grand-père coréen vous place-t-il dans la liste des non blancs ? » Nous n’en saurons pas plus. S’en suit un éloge du Bondy Blog : « Le Bondy Blog c’était la preuve que toutes les discussions qui avaient existé à Libé n’avaient servi à rien. (…). Ce que le Bondy Blog a fait ensuite a montré qu’il y avait un énorme potentiel, des jeunes qui avaient envie de faire ce métier et qui sont restés à la porte. ». Bizarrement les ignobles tweet racistes, antisémites et homophobes de Medhi Meklat (ou de son double maléfique), sont passés sous silence.

La liste de Libé

Libé, aurait-il l’ambition, depuis le traumatisme de 2015, de devenir un Bondy Blog bis ? Notamment pour récupérer un lectorat issu des banlieues, son socle de lecteurs blancs de gauche CSP+ l’abandonnant peu à peu ? Tout porte à le croire, en particulier sous l’impulsion de Johan Hufnagel, cofondateur de la version française et africaine de la revue en ligne Slate. Entre 2014 et 2017, il devient le numéro deux de Libération auprès de Laurent Joffrin. Son intention est claire : il veut faire de Libération un journal non pas de la diversité, mais de la « normalité » selon ces propres termes, « Tu regardes Libé, à l’intérieur de Libé, et aussi à ce qu’on donnait à montrer dans les images en une, il y avait un vrai problème de représentation des minorités visibles ». Jusque-là, pourquoi pas, la France est effectivement devenu un pays multiculturel. Seulement, Mathiot aurait mieux fait de s’en tenir à sa non définition du blanc, car il tombe dans le piège et nous fait une longue litanie des saints de tous les contributeurs issus des « minorités visibles » de Libé depuis 2015. Cela ressemble furieusement à de la statistique ethnique, ce qui reste strictement interdit en France. Balla, du Bondy Blog, Ismaël, Hala Kodmani, journaliste à France 24, officiant maintenant à Libé qui réussit l’exploit d’être femme, racisée, et, selon ses propres termes, « vieille ».

Cela nous rappelle un autre recensement ethnique, celui que Robert Ménard avait effectué en 2015 dans les écoles de Béziers concernant les enfants musulmans et qui lui avait valu l’ouverture d’une enquête de la part du procureur de la République et nombres d’articles furibards dans la presse. Encore une fois, nous voyons à l’œuvre ce processus que j’ai souvent observé : les antiracistes et les « racistes » sont renvoyés dos à dos, car ils finissent par employer les mêmes méthodes.



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est enseignante.

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