Une très curieuse tribune est parue dans Libération, ce 20 mars, au nom d’un collectif de journalistes. Céline Pina l’a lue.
« Nous voulons soutenir nos consœurs et confrères discriminé.e.s, exploité.e.s et marginalisé.e.s en école, en recherche d’emploi, en situation de précarité et en rédaction ». Que voilà de nobles intentions !
Certes le texte, comme l’extrait ici présenté, est écrit avec les pieds mais bon, ce n’est pas comme si les journalistes étaient censés être des professionnels de l’écriture ! L’initiative n’a cependant rien à voir avec la critique vigoureuse et nécessaire du constat de la précarisation du métier de journaliste, mais hélas tout à voir avec la création d’une petite entreprise communautariste de lobbying pro-domo : il s’agit d’en appeler à la création d’une « association de journalistes antiracistes et racisé.e.s », comprendre d’une association de victimes de la « blanchité ».
À gauche, la lutte raciale a remplacé la lutte sociale
Rien de tout cela ne parle de l’effondrement d’un modèle économique qui a abouti à la paupérisation du métier et à la dégradation des conditions de travail des salariés et pigistes de ce secteur. Non, cette réalité-là n’existe pas dans le prisme de ces nouveaux redresseurs de torts de la sphère médiatique. Pour eux la question de l’objectivité, le respect du factuel, le croisement et la vérification des sources, la rigueur dans la diffusion de l’information, les conditions de travail, le fait que l’origine sociale des journalistes ne soit pas marquée non plus par une forte diversité ne comptent pas. Une seule chose les obsède : la couleur de peau des journalistes et la dénonciation de la blanchité. Leur seule obsession : « s’attaquer au racisme dans le journalisme ». Et, bien sûr, dénoncer des « rédactions de gauche comme de droite (qui) restent en grande majorité blanche. » Comment faire passer un groupe de communautaristes ayant pour seul lien la couleur de la peau, pour de grands défenseurs d’un principe qu’ils piétinent en en niant l’universalisme : l’antiracisme.
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Selon eux, la société française ne souffre que d’un seul problème : il y a trop de Blancs. Et comme le Blanc est ontologiquement raciste, il y a donc trop de racistes et de racisme, dans la société comme dans la presse ! Or, seuls eux peuvent les combattre car ils ne sont pas Blancs. CQFD.
Une entreprise victimaire
Nous voici une nouvelle fois confrontés à une énième occurrence de ce travail de victimisation, opéré par des professionnels d’un « antiracisme » qui fait de la couleur de peau, l’identité d’un être. Difficile de les distinguer des bons vieux racistes à l’ancienne. La seule différence, c’est que là où les uns voulaient mettre le Blanc en haut de la chaîne alimentaire raciale, eux veulent y mettre « la diversité ». Leur seul but est de récupérer pour leur propre compte la capacité à opprimer qu’ils dénoncent chez les autres. L’idée que les relations entre les hommes, au sein d’une société politique, ne se résume pas à des logiques de domination leur est impossible à concevoir. Ils ne lisent le monde que via une rhétorique de l’ennemi, un concept de guerre civile larvée, la constitution d’un « Nous » contre un « Eux », au sein du même peuple. Mais, comme cela ne se vend pas bien auprès des alliés de la gauche qui se veut morale, il faut habiller cette geste vengeresse de légitimité morale. C’est ainsi qu’au nom de l’antiracisme, nos Fouquier-Tinville de la diversité résument les hommes à leur couleur de peau et que cela passe pour de « l’empowerment », une reprise en main de son destin par la désignation d’une race-repoussoir, les Blancs.
Le reste du texte est constitué d’exemples ridicules. Chacun pourrait écrire un texte de cet acabit en racontant comment il a croisé quelques cons dans sa vie professionnelle. C’est ainsi que dans ce long lamento, on ne voit guère ce qu’il y aurait de systémique dans les faits dénoncés. Je défie n’importe lequel d’entre nous de ne pas avoir une anecdote semblable à raconter, une remarque débile faite sur l’âge, le physique, la masculinité, la virilité, l’apparence… C’est pareil avec ce long et pénible geignement sur le racisme chez nos jeunes journalistes. Curieusement, dans la réalité, on est surtout confronté à un wokisme agressif chez les jeunes qui, lorsqu’ils portent un discours de rejet d’une couleur de peau… le font en général contre les Blancs.
Peu d’arguments
Deux autres points couvrent nos Fouquier-Tinville d’opérette de ridicule. Lorsqu’ils donnent quelques exemples de « dérapage » raciste : un député qui parle de « camp de gitans » à propos du bazar à l’Assemblée nationale, ou lorsqu’un journaliste réputé dit à la télévision que « les musulmans n’en ont rien à faire de la République »… Ils oublient de dire que ces paroles ont été dénoncées par les représentants de la République, ou les responsables de chaînes. Et ceux qui les prononcent s’en excusent sans barguigner, en général. Ces expressions ne sont pas restées sans réponse et leur dimension essentialiste a bien été relevée. Pareil pour le journal qui avait titré « Alerte jaune », avec une femme asiatique, pour illustrer sa titraille : il s’en est excusé. Le peu d’exemples mis en avant, leur caractère anecdotique, le fait qu’ils ont tous fait l’objet d’excuses ou de rectificatifs montrent justement l’attention portée à ces questions et témoignent du peu de consistance des accusations proférées.
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Dernier point, finalement plus rassurant : le peu de journalistes importants et reconnus ayant signé cette tribune. Rokhaya Diallo y est mise en avant, faute de noms connus et reconnus. Pas de Christine Kelly, Harry Roselmack, Patrice Boisfer, Sonia Mabrouk, Karim Rissouli, Rachel Kahn, Tania de Montaigne, Nora Boubetra, Salhia Brakhlia… Il y a des grands noms et des références dans le journalisme qui sont « issus de la diversité » et appartiennent à l’élite du métier. Bien des jeunes journalistes, quelle que soit leur couleur de peau rêvent d’une aussi belle carrière que la leur. Il ne s’agit pas ici de nier le fait que des discriminations existent mais elles puisent sans doute plus leur racine dans le social que dans le racial. Combien de fils d’ouvriers accèdent aux métiers de la presse et de la télévision, autrement qu’en tant que techniciens ? Le milieu journalistique est d’une grande homogénéité sociale et culturelle. Les journalistes actuels sont en général passés par de grandes écoles, et sont issus des classes supérieures ou des classes moyennes supérieures. Or, la question sociale est une donnée essentielle pour tenir dans ce milieu. Les jeunes journalistes, qui n’ont pas fait les « bonnes écoles », celles qui permettent de se constituer un réseau et qui ne peuvent compter sur un soutien parental pendant la période de vaches maigres de leurs débuts, ont bien du mal à rester dans le métier. Monter en épingle la question raciale et raciste, comme si elle était une des caractéristiques du milieu journalistique, est une fausse bonne idée et ne résoudra en rien les problèmes d’un secteur en pleine crise. En revanche, cette attitude permet aux entrepreneurs de la race de se construire une légitimité sur le dos de ceux qu’ils enferment dans un statut de victime. Ils en font même une carrière ! La manipulation ne sera pas perdue pour tout le monde.