Dans le match entre Alain Finkielkraut et Wiam Berhouma, la « professeure » d’anglais « musulmane » de France 2, Libération a pris parti. En faveur de la jeune femme, qui avait conclu sa philippique par un très démocratique « taisez-vous ! » Rachid Laïreche et Frantz Durupt mettent toute leur énergie à nous expliquer que la belle Wiam – pardon pour le sexisme – n’est animée par aucune obsession antisémite mais se bat pour des causes nobles : contre le racisme et « l’islamophobie ». La preuve, toute la « fachosphère » (dans laquelle, avant brusque rétropédalage devant l’avalanche de protestations, le publireportage de Libé incluait également l’avocate de gauche et féministe Yaël Mellul) s’en prendrait à cette brave militante antiraciste qui, n’écoutant que son courage, avait d’un même élan épinglé Finkielkraut, Zemmour et BHL. Les histoires de listes, la France en connaît depuis belle lurette, de Xavier Vallat à Tariq Ramadan, qui avait au moins la malice de glisser un ou deux noms goys (Taguieff) au milieu d’une tribune contre le supposé parti pris communautaire de qui vous savez dans le traitement du conflit israélo-palestinien.

D’après Libé, Wiam Berhouma est d’autant plus innocente que si elle a participé à la « Marche pour la dignité » aux côtés des Indigènes de la République à l’automne dernier, elle n’émargerait aucunement au PIR, ce parti « régulièrement accusé par ses détracteurs d’être antisémite ». Sa présidente Houria Bouteldja fustigeant régulièrement « le philosémitisme d’Etat », on se demande bien pourquoi ledit mouvement « anticolonialiste » s’est attiré une telle réputation. Et puis peu importe que David Pujadas l’ait présentée comme une citoyenne apolitique, comme l’écrivent les journalistes de Libé en taquinant le goujon, « les médias pêchent souvent dans la présentation de leurs interlocuteurs » (sic).

Selon la bonne vieille stratégie de l’étouffoir médiatique, Libération nous serine une bonne dizaine de fois que les fachos du net sont dans tous leurs états depuis la sortie de Wiam Berhouma. Une manière de noyer le poisson conforme à la doctrine Autain : puisque de méchants imprécateurs racistes dénoncent les viols de Cologne, toute critique de cette infâme émeute sexuelle ne peut être que raciste ou « islamophobe » (un terme fleuri pour discréditer la critique de l’islam, dont les ouailles seraient par trop susceptibles ou primaires pour souffrir des mêmes quolibets que leurs cousins juifs ou chrétiens). Fermez le ban.

À propos de doigt et de lune, en lisant le stimulant essai d’un journaliste tout sauf extrémiste, i.e. Jean Birnbaum du Monde des Livres, je suis tombé sur cette citation de Derrida on ne peut mieux sentie : « Si, à un moment ou à un autre, une argumentation « ultra » utilise tel ou tel élément objectif, celui-ci devient « tabou », quelle que soit sa valeur intrinsèque, sa vérité propre, et il ne faudra plus y toucher, ni le regarder, sous peine de contamination et de « complicité objective », crime de lèse-révolution. Tous les dogmatismes et tous les sectarismes commencent là, les révolutionnaires et les autres… » (Lettre à Pierre Nora, 1961).

Verdict : Derrida était-il facho ou islamophobe ?