L’un a gagné par KO la primaire de la droite. L’autre est en passe, avec sa femme Brigitte, de battre Johnny et Laeticia dans le nombre de couvertures de Paris Match. Pas tout à fait le même degré de reconnaissance, on l’admettra, mais un signe que lui aussi est « dans l’air » ! François Fillon est désormais le présidentiable incontestable de la droite. Emmanuel Macron entame une marche en solitaire pour être à ce rendez-vous de la présidentielle. Mais le fait que leurs deux noms saturent les réseaux sociaux montre quela France est en train de basculer : historiquement rétive au libéralisme, elle paraît désormais prête à en tâter !
Listons d’emblée les bémols qui s’imposent. Ce n’est pas seulement à cause de son programme économique que Fillon a terrassé Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Son traditionalisme, sur le plan des mœurs, et sa dénonciation sans détour du « totalitarisme islamique » ont également séduit. Il n’en reste pas moins que s’il incarne à son tour, aux yeux du peuple de droite, « la rupture », c’est d’abord parce qu’il promet de faire tout ce que Sarkozy n’a pas fait à l’Élysée. Il jure même d’aller bien au-delà. « Travailler plus pour gagner plus », clamait Sarkozy. Les salariés du privé et même, ô sacrilège, les fonctionnaires devront travailler plus sans gagner forcément beaucoup plus, explique le nouvel homme tranquille de la droite.
Toujours à la recherche d’épouvantails, Libération a grimé Fillon sous les traits de Margaret Thatcher. Fini l’antisarkozysme systématique, place à l’antifillonisme hystérique. Au moins, l’ancien président de la République avait la tripe populaire, a-t-on entendu. Au contraire de ce notaire de province ! Risquons l’hypothèse : Libération et les belles âmes de la gauche antilibérale sont loin d’avoir nui à Fillon : ils l’ont renforcé.
Souvent peuple varie
En regard, la position d’Emmanuel Macron paraît plus fragile. Des couvertures d’hebdo font un présidentiable, pas un président. Des sondages flatteurs non plus, même ceux qui le placent au premier tour de la présidentielle devant le candidat issu de la primaire socialiste, quel qu’il soit. Il serait donc hasardeux de voir dans la popularité persistante du mari de Brigitte Trogneux le signe que le peuple de gauche serait aussi sur le point de céder à la tentation libérale.
Et pourtant… Et pourtant la droite n’est pas seule à vaciller. Le peuple de gauche ne sait plus où il habite. Pendant des mois, on a pu le croire tenté par des « frondeurs » qui multipliaient à l’inverse les fatwas contre le libéralisme. Mais force est de le constater aujourd’hui : rien de fécond n’émane de cette branche du PS, si ce n’est des candidatures folkloriques : Benoît Hamon, Marie-Noëlle Lienemann, Gérard Filoche…
Un dernier élément peut faire douter de la conversion réelle de la Franceau libéralisme : souvent peuple varie. Aujourd’hui, il paraît prêt à succomber. Mais qu’en sera-t-il au printemps ? L’actuelle vogue libérale se muera-t-elle en vague ? Les Français ne risquent-ils pas de renâcler ? On leur a tellement dit que le libéralisme était une idéologie anglo-saxonne, impropre à l’Hexagone. Le libéralisme ? Pas Français ! Il y a des relents de xénophobie dans son rejet. Ce qui serait bien de chez nous, c’est l’exaltation du rôle de l’État et la passion de l’égalité. On connaît la citation de Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
Le problème est que cette véritable religion hexagonale est en train de buter sur le réel, à savoir la mondialisation… libérale.[access capability= »lire_inedits »] Insensiblement, la France décroche par rapport à tous ses concurrents. La conclusion devrait s’imposer : elle ne peut plus jouer les bégueules. Il ne s’agit pas de prôner une nouvelle orthodoxie, de chanter « une seule solution, le libéralisme » comme certains entonnaient naguère « une seule solution, la révolution ». On a bien noté que les États-Unis viennent d’élire un président, Donald Trump, qui a promis de rétablir des frontières. Aussi bien pour maîtriser les flux migratoires que pour défendre le made in America. Mais le libéralisme peut parfaitement s’accommoder d’une dose de protectionnisme. Ce qu’il rejette, ce sont les réglementations tatillonnes… à la française !
Aussi bien François Fillon qu’Emmanuel Macron l’ont intégré : le salut réside dans les entreprises. Contrairement à une autre idée reçue, cela ne fait pas du libéralisme une idéologie de droite. Aux États-Unis, il est le fonds commun des démocrates et des républicains, en Allemagne dela CDUet du SPD. Car il n’interdit aucunement des orientations philosophiques différentes. Fillon et Macron l’illustrent. Le premier est justement qualifié de conservateur. Voilà un homme qui ne fait pas commerce de la modernité ! Il se serait volontiers passé du mariage pour tous et il ne faut pas compter sur lui pour trousser des odes à la diversité.
Rassembler les libéraux
Le libéralisme de Macron pourrait être qualifié de bobo. À l’instar d’une Christiane Taubira, il n’a pas aimé du tout que François Hollande propose de déchoir de leur nationalité les terroristes binationaux. Lui se veut moderne, résolument moderne. Lui se fait volontiers le chantre de la diversité qui représente à ses yeux l’avenir dela France : il pointe régulièrement que c’est en Seine-Saint-Denis que les créations d’entreprises sont les plus nombreuses.
Ce numéro de Causeur a bouclé avant que ne soient connus les participants à la primaire socialiste. Mais dans le casting potentiel figurait un troisième libéral : Manuel Valls. Au contraire d’un Macron, lui ne peut être taxé d’angélisme. Son libéralisme est martial, trop martial pour ses détracteurs, républicain, justement républicain pour ses partisans. Qu’il soit ou non en lice à la prochaine présidentielle, Valls illustre en tout cas le caractère polymorphe du libéralisme.
La carte politique se redessine sous nos yeux. Le traditionnel clivage gauche/droite cède de plus en plus la place à un clivage libéraux/antilibéraux. D’un côté, la grande majorité des partis dits de gouvernement, Les Républicains, les différents centres et le PS. De l’autre les deux Fronts, le Front national et le Front de gauche. Marine Le Pen se conduit chaque jour un peu plus en porte-parole de la CGT, Jean-Luc Mélenchon exalte la « France insoumise », insensible aux vents dominants.
Aux libéraux de convaincre qu’ils ne défendent pas seulement les gagnants de la mondialisation, qu’ils ne laissent pas de côté les catégories populaires traditionnelles. Ceux qu’on nomme aux États-Unis les « petits blancs », et qui ont fait le succès de Trump. Aux libéraux d’être conscients que leur projet ne pourra pas être imposé d’en haut par un seul homme, fût-il le locataire de l’Élysée. Fillon est désormais le favori de la présidentielle. Au premier tour, son objectif sera naturellement de faire gagner sa première famille, la droite parlementaire. Au second tour, son obligation, s’il veut « une victoire de fond », comme à la primaire, sera de rassembler sa famille… recomposée : les libéraux de toutes obédiences. Dans la foulée, il devra gouverner avec ! Sinon, sa « rupture » risquera fort de finir comme celle de Sarkozy : aux oubliettes ![/access]
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