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Libé prend le maquis


<em>Libé</em> prend le maquis

Villiers-le-Bel

« Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui (…) est soit naïf et stupide, soit prétextuel et de mauvaise foi ; en effet, elle combat ou fait semblant de combattre un phénomène mort et enterré, archéologique, qui ne peut plus faire peur à personne. C’est, en somme, un antifascisme de tout confort et de tout repos »
Pier Paolo Pasolini[1. Ecrits corsaires, Flammarion, 1976.]

Ces derniers jours, la déroute des Bleus – qui ont rarement aussi bien porté leur nom- a éclipsé un événement médiatico-judiciaire potentiellement explosif. Un énième rebondissement de l’affaire Clearstream ? Les pérégrinations du couple Woerth ? Encore mieux : une pétition soutenant ouvertement des individus soupçonnés d’avoir tiré à balles réelles sur des officiers de police. Aux manettes, l’indécrottable Libération jadis parangon de la cause des peuples, aujourd’hui recyclé dans le libéralisme libertaire[2. Mutation qui fut remarquablement disséquée par Guy Hocquenghem dans sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary Club (1986).] à la sauce eurobéate. Au menu, une resucée mal digérée de Franz Fanon faisant des délinquants armés les nouveaux damnés de la terre.

Le tir aux pigeons sur flics justifié au nom du romantisme

Dès les premières lignes de l’appel, le ton est donné.

Jugez plutôt : « A Villiers-le-Bel, les 25 et 26 novembre 2007, un renversement s’est produit : ces gamins que la police s’amuse de mois en mois à shooter ont à leur tour pris leurs aises avec ceux qui les ciblent. Ces quartiers submergés par une occupation devenue militaire ont, un temps, submergé les forces d’occupation ». Vous ne rêvez pas : la France est un Etat néo- impérialiste qui s’ignore ! En lisant ce premier paragraphe, on hésite entre le rire et les larmes. Dans ce prêchi-prêcha mi-haineux mi-compatissant, Villiers-le-Bel est implicitement comparé à Gaza et le maintien de l’ordre républicain assimilé aux opérations coups de poings de l’armée israélienne. Last but not least, ce verbiage digne des Indigènes de la République traite l’institution policière de force d’occupation coloniale qu’il faudrait déloger desdits quartiers. En ressuscitant tous les poncifs du genre –de l’anticolonialisme à la Commune en passant par 1789- les signataires du manifeste justifient le tir aux pigeons sur flics au nom du romantisme révolutionnaire. Ils auraient pu se contenter de dénoncer les méthodes d’extorsion des aveux, qui furent apparemment aussi maladroits que brutaux, tant la police sembla agir dans l’urgence. Ou bien rappeler la présomption d’innocence des inculpés. Mais non, ces thuriféraires de la révolution bétonnée exigent carrément l’abandon de toute procédure judiciaire à l’encontre des tireurs.

Maniant l’art de l’euphémisme, ils persiflent dans la commisération à sens unique en confondant la défense du « peuple de Villiers-le-Bel » avec celle d’une minorité de sauvageons déstructurés qui forment le nouveau lumpenprolétariat urbain. Certes, la mort accidentelle de deux adolescents dans la collision de leur scooter avec un véhicule de police est une tragédie regrettable. Mais est-ce les honorer que de transmuer son chagrin et son indignation en haine anti-policière ? Les signataires du texte, pourtant avocats du Bien éternel et univoque, réhabilitent même la loi du Talion en justifiant l’injustifiable, ajoutant qu’il était de bonne guerre pour ces policiers infâmes que d’« avoir reçu quelques plombs dans l’épaisseur de leurs gilets pare-balles « . Dans un glissement sémantique comme seuls les professionnels de l’indignation en ont le secret, on dénonce la lutte contre les bandes comme une véritable « guerre aux banlieues » au racisme larvé. Les paisibles habitants des mal-nommées cités apprécieront.

Des révolutionnaires à petits pieds défendent les bourreaux du petit peuple

L’ironie de l’histoire veut en effet que des révolutionnaires à petits pieds défendent les bourreaux du petit peuple. Ceux-là mêmes qui empoisonnement le quotidien de millions de Français de toutes origines. Là où la sarkozie n’a que le flash-ball à la bouche, une certaine gôche bêbête répète l’erreur de Jospin en victimisant systématiquement les sauvageons. Quand bien même il s’agirait de les aider, la prise de conscience de leurs méfaits reste indispensable à toute rédemption ultérieure. Ce que Finkielkraut résuma un jour dans une formule lapidaire : « il faut leur faire honte pour les aider » !

D’ailleurs, si l’on veut entendre un autre son de cloche, laissons la parole à SGP-FO, bastion du néo-colonialisme cocardier, c’est bien connu. Sur son tract de soutien, on apprend que 96 gardiens de l’ordre se sont portés parties civiles après que cinq d’entre eux ont été visés par balles au vu et au su de tout le voisinage. « Un commissaire roué de coups, des bâtiments publics et des commerces détruits », est-ce cela la praxis révolutionnaire ?

En vérité, n’importe quel lecteur de Simon Leys reconnaîtra là la propagande classique des systèmes totalitaires. Ces derniers doivent gérer le mécontentement des masses en dévoyant leur colère pour la rediriger vers des ennemis imaginaires. Mao manipula ainsi le grondement des masses paysannes contre la bureaucratie du Parti-Etat en sacrifiant quelques hiérarques habilement choisis. La clé de voûte d’un tel procédé consiste à développer une fiction idéologique capable d’assurer le maintien du système. Dans la Chine communiste, il s’agissait de nettoyer le Parti des éléments « droitiers » ou déviationnistes. Or, la société qui nous gouverne sécrète sa propre pensée unique –sans intervention verticale d’un quelconque Big Brother- déclinée en autant de faux clivages. D’un côté, l’alliance de la droite d’argent et du patronat fustige la masse des fonctionnaires privilégiés et autres supposés profiteurs, afin de mieux compartimenter les luttes sociales et d’empêcher leur convergence. De l’autre, la gauche libérale se complait dans un angélisme anti-sécuritaire et une dévotion béate envers tout ce qui s’oppose à la « France moisie ».

Cette illusion paléo-jospinienne lui fait prendre des vessies pour des lanternes à mesure qu’elle substitue à l’idéal d’égalité l’imposture de la diversité ethnique. Multiculturelle, festive, délocalisatrice et privatisatrice, la gauche américaine se rapproche de plus en plus d’une droite en déshérence intellectuelle, qui n’a plus que les mânes du général De Gaulle pour tenter de faire illusion. Bref, forte avec les faibles (les pauvres hères qui voient leur entreprise délocalisée du fait de l’euro fort et du dogme libre-échangiste), la gauche boboïde se montre faible avec les forts. Les caïds des banlieues se gaussent à bon droit d’avocats aussi naïfs – ou qui feignent de l’être. À l’instar de certains qui bannissent toute critique de l’équipe de France sous prétexte de la couleur de ses joueurs, l’origine ethnique est régulièrement avancée comme facteur de victimisation perpétuelle. Comme si négrier désignait une couleur de peau et non la qualité sociale d’exploiteur !

La caillera, agent de la révolution… ultralibérale !

Heureusement, en marge des discussions de salon, il demeure un courant intellectuel socialiste lucide de la réalité des rapports de classes. Dans un texte resté célèbre, le philosophe Jean-Claude Michéa[3. La caillera et son intégration, 1999.] revenait sur le système d’exploitation mafieux que les caudillos des banlieues font subir à l’immense majorité de la population. En termes d’intégration économique, la caillera remplit pleinement son rôle. Elle fait subir son joug à des quartiers entiers où les immigrés figurent au nombre de leurs victimes – fait omis par les signataires de l’appel… En fait d’agent révolutionnaire, le voyou de base constitue le parfait télégraphiste du marché : « en assignant à toute activité humaine un objectif unique (la thune), un modèle unique (la transaction violente ou bizness) et un modèle anthropologique unique (être un vrai chacal), la Caillera se contente, en effet de recycler, à l’usage des périphéries du système, la pratique et l’imaginaire qui en définissent le Centre et le Sommet », précise Michéa. Autant dire que les hydres de l’UMP, à travers leur discours sécuritaire, apparaissent comme des quasi gauchistes lorsqu’on les met en rapport avec l’anarchisme libéral qui est celui des cailleras et de leurs avocats.

Il faut restaurer l’ordre dans les Territoires perdus de la République

Vouloir restaurer l’ordre et la sécurité dans les territoires perdus de la République est en soi un but louable. Sarkozy n’a pas pêché dans les objectifs affichés mais plutôt dans les moyens : politique du tout-carcéral, accent mis sur la seule répression, mépris de la question sociale, acceptation de fait de la privatisation de certaines zones de non-droit… Depuis 2002, la mayonnaise ne prend pas. Mais au lieu de prendre la droite sécuritaire au mot, une gauche intelligente devrait déjouer le piège qui lui est tendu et renoncer à l’angélisme. Restaurer la puissance de l’Etat de droit, renouer avec la police de proximité, conjuguer intelligemment prévention et répression, sans quoi toute conquête de l’ordre est d’avance condamnée.

Au lieu de cela, sous couvert d’antiracisme, les éternels traîne-patins du social-libéralisme défendent le pouvoir des bandes et l’oppression du peuple par les caïds. À croire qu’il faille brûler un gymnase ou des voitures de prolétaires pour se faire entendre… Michéa ironisait à raison contre « les intellectuels et les cinéastes de la classe dominante, dont la mauvaise conscience constitutive les dispose toujours à espérer qu’il existe une façon romantique d’extorquer la plus-value ».

In fine, prétendre que l’on mettra fin aux incivilités en se contentant d’injecter de l’argent dans les banlieues et/ou en promouvant des politiques de discrimination positive révèle l’erreur ontologique de la gauche sociétale. Prétendre réguler l’ensemble des relations sociales par les seules interventions du droit et du marché est une chimère libérale. Notons au passage que cette absence d’éthique personnelle, l’équipe de France de football n’a cessé de la pratiquer tout au long de la coupe du Monde. Insulter son supérieur, injurier le drapeau et l’hymne, cracher sur la Nation et mépriser les petites gens : n’en jetez plus, c’est le comportement subversif de l’hypercapitaliste de base.

À tel point qu’un seul nom semble manquer à la liste des premiers signataires de la pétition : celui de Nicolas Anelka….



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est journaliste.

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