L’édito d’Elisabeth Lévy
« National-populisme : la contagion mondiale » : la ficelle, tricotée à la une de Libération des 27-28 octobre, est un peu grosse. En clair, de Bolsonaro à Trump, de Marine Le Pen à Salvini, c’est le même vent mauvais qui souffle et qui voit, selon Laurent Joffrin, les peuples se dresser contre les démocraties. Cet embrigadement, sous l’étendard populiste, de mouvements politiques très différents les uns des autres, signifie que tout Européen inquiet de flux migratoires qu’on ne sait plus intégrer est suspect de racisme, d’homophobie, voire de fantasme de dictature militaire.
A la une de Libé ce week-end : national-populisme, la contagion mondiale https://t.co/Ia8iXJUyvX pic.twitter.com/KcUs98A47r
— Libération (@libe) 26 octobre 2018
L’épidémie de démocratie
Le patron de Libé décrit ce qu’il appelle une épidémie: « Il y a un peu partout ces partis xénophobes, homophobes, déclinistes, climatosceptiques pour la plupart, expéditifs en matière de sécurité, rétrogrades en matière de mœurs, qui remplissent les urnes et vident les têtes au profit d’affects sommaires, de mobilisations simplistes, une sorte de marée brunâtre qui s’infiltre au sein de régimes jusque-là officiellement dédiés au progrès et à la liberté. » Et tant pis pour ceux qui ne considèrent pas le grand melting-pot mondial ou la reproduction sans sexualité comme des progrès. Les bourriques.
On peut certes observer de Rio de Janeiro à Vierzon la même défiance à l’égard des élites, mais comme fondement d’une internationale brune, c’est un peu court – et si les élites avaient toutes failli ? Si les Brésiliens viennent de rappeler dans les urnes que le premier droit de l’homme, c’est de sortir de chez lui sans se faire détrousser – dût-on le payer de ses libertés – la problématique est bien différente en Europe.
On est chez eux
Theresa May et Angela Merkel l’ont reconnu, le multiculturalisme (qui suppose que toutes les cultures aient des droits égaux sur un territoire donné) a échoué partout à pacifier les sociétés. Le terme « vivre-ensemble » ne suscite plus que des rires entendus. Beaucoup d’Européens, y compris parmi ceux de souche récente, observent avec effroi des enfants d’immigrés moins intégrés que leurs parents et pensent que la poursuite des flux migratoires, notamment à travers les centaines de milliers de déboutés du droit d’asile qui restent sur le Vieux Continent, menace un peu plus la cohésion de leurs vieilles nations. « On est chez nous » : ce slogan considéré par les belles âmes comme la marque de l’esprit étriqué du populo français, allemand ou danois, est plutôt l’expression rageuse ou désespérée d’une aspiration fondamentale de l’animal social : celle de ne pas être minoritaire chez lui. Récemment, un homme racontait sur Causeur.fr qu’à l’hôpital public, il avait dû épeler le prénom de son frère à une employée qui ne l’avait jamais entendu. Son frère s’appelle Robert.
Emblématique des embarras de l’homme de gauche qui ne peut avouer ni s’avouer qu’il aimerait bien dissoudre le peuple pour en élire un autre, comme le conseillait ironiquement Bertolt Brecht, Laurent Joffrin convient que ce cri, « on est chez nous », résume l’humeur des peuples, ce qui, selon lui, « rend la tâche des démocrates, des progressistes ou de la gauche si difficile, eux qui sont voués à la tolérance et à l’ouverture. » Les pauvres. Nonobstant cet hilarant robespierrisme pour enfants, pour amadouer le plouc qu’il vient d’insulter, Joffrin concède toutefois qu’une politique d’immigration « humaine, tournée vers l’accueil et l’ouverture, doit être organisée avec des règles stables et claires ».
Si la France est un droit de l’homme, il n’y a plus de France
Les rédacteurs du « Serment du Centquatre »[tooltips content= »Le « Centquatre » est un haut lieu de la gauche cultureuse parisienne. »]1[/tooltips] n’ont pas de telles prudences. Lancé en grande pompe le 25 octobre, à Paris, dans la foulée du manifeste pour les migrants publié par Mediapart, Politis, Regards et d’innombrables chapelles extrême gauchistes, ce texte passablement boursouflé semble avoir deux buts : permettre aux signataires de s’entre-rengorger en exposant leur bonté ; agiter le chiffon rouge de leur disparition à la face des peuples de façon à provoquer le vote que l’on dénoncera ensuite en poussant les hauts cris. Les assermentés du Centquatre affirment qu’ « il n’y a pas de crise migratoire, mais une crise de l’accueil », et somment les élus de s’engager « à respecter les droits fondamentaux de tout être humain à quitter tout pays, y compris le sien, à y revenir et à circuler librement à l’intérieur d’un État, tels qu’ils sont énoncés par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ». En somme, il faut en finir avec les frontières, donc avec les nations elles-mêmes : si la France est un droit de l’homme, il n’y a plus de France. Surtout que, pour accueillir sans être soupçonnés de discriminer ou de néocolonialiser, nous devons renoncer à faire prévaloir la culture française en France, selon l’expression de Mathieu Bock-Côté, et dire aux arrivants, comme chez McDo, venez comme vous êtes !
L’ennui, c’est que cette générosité inconditionnelle et illimitée n’est pas très populaire. Edwy Plenel fait preuve du même lyrisme au sujet de notre démocratie imparfaite qu’il veut radicaliser qu’à celui des migrants. On aimerait savoir comment il justifie qu’une question aussi fondamentale que l’immigration échappe à la délibération démocratique. Dans un sondage récent, 57 % des électeurs de gauche estiment qu’ « il y a trop d’étrangers en France », pas parce qu’ils sont racistes, mais parce qu’ils voient que la machine à fabriquer des Français est pour le moins grippée. Peu importe aux hyperdémocrates du Centquatre, qui tirent toutes les conséquences de la formule de Joffrin : si les peuples sont contre la démocratie, il n’est pas étonnant que les démocrates s’assoient sur les aspirations des peuples.
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