Le quotidien de gauche se fait l’écho des inquiétudes de clandestins sous OQTF, mais passe sous silence bien d’autres angoisses hexagonales.
Cela ne se sait sans doute pas assez, mais les journalistes de Libération sont des modèles vivants de compassion. Ils en ont récemment administré une preuve supplémentaire dans un papier-enquête intitulé « La vie sous OQTF », article signé Rachid Laïrech, publié le 10 novembre[1]. La vie évoquée est celle de Sylla, Malien sans papiers en France depuis dix ans « qui charbonne dans la restauration, loue une chambre à son oncle en Seine-et-Marne. » Et qui très certainement ne doit son classement OQTF qu’à la malveillance raciste des autorités. « Sylla a peur », écrit le journaliste. Cela sonne à nos oreilles un peu comme le glaçant « La France a peur » de Roger Gicquel ouvrant par ces mots le vingt-heures de TF1 le 18 février 1976 après l’assassinat du petit Philippe Bertrand. Sylla a peur, donc. « Il pose ses deux mains sur son visage. Un geste qui raconte un tas de sentiments ». (Les sentiments, en tas, rien de plus oppressant, faut-il reconnaître). Il est épuisé. Il doute aussi, le commis de cuisine. Lui revient en mémoire une scène qui « a bousillé son quotidien ». Qu’on en juge. Depuis les exactions de la Gestapo on n’avait jamais connu pareille cruauté, semblable arbitraire. « Un soir de printemps, à Paris, après une longue journée de turbin (Serait-il un brin sur-exploité notre travailleur malien ?) le sans-papiers fume une clope devant la gare du Nord. Trois policiers se tiennent devant lui. Contrôle d’identité. » Trois bousilleurs de quotidien d’OQTF ayant probablement aux lèvres l’écume de la haine la plus féroce. L’horreur, la barbarie d’État dans toute sa fureur. Comment se relever d’un tel traumatisme ? Comment surmonter cette agression sans nom : se faire contrôler son identité, à Paris en plein XXIème siècle ? Depuis, nous conte Libération, le longiligne trentenaire « a la trouille au ventre » chaque fois qu’il croise une patrouille de gestapistes – pardon de policiers français, je me suis laissé emporter. « La peur d’être rattrapé par une politique migratoire forcenée ». Forcenée, autrement dit démente, pathologique, obsessionnelle, névrotique. Lisant ces lignes, la gorge se serre, les larmes ne sont pas loin. D’autant plus qu’il s’agirait d’un « bon gars, toujours à l’heure, efficace et qui met une bonne ambiance dans la cuisine », plaide son employeur qui ne comprend décidément pas pourquoi « on fait chier des types comme lui. » C’est vrai, ça ! Pourquoi aller demander des papiers à ceux qui n’en ont pas ? On ne fait pas pire en matière de persécution.
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Bouleversé par tant de sollicitude journalistique, je me suis mis à guetter les livraisons suivantes du quotidien. J’attendais une enquête digne de ce nom, une série d’articles sur la peur. Je me disais, demain peut-être, lirai-je un papier lui aussi débordant d’émotion sur la frayeur des étudiantes de l’université Dauphine s’en revenant de leurs cours, tout près du Bois de Boulogne ? Ces jeunes filles, condisciples de Philippine, violée, assassinée par un OQTF récidiviste. Peut-être évoquera-t-on dans un numéro prochain la peur qui étreint désormais le Juif de France se rendant à la synagogue ou vaquant à ses occupations. La peur des parents dont le gamin est de sortie pour une fête, un bal le samedi soir du côté de Crépol ou de Saint-Péray ou partout ailleurs en France. La frayeur de la secrétaire qui quitte son travail à la nuit tombée pour gagner à pied sa station de bus. La peur quotidienne, permanente des désargentés condamnés à affronter des cages d’escalier coupe-gorge pour, tout simplement, rentrer chez soi. La sourde appréhension encore du commerçant qui ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand il ouvre son tiroir-caisse. L’angoisse sourde, elle aussi permanente, des policiers, des gendarmes, de leur famille, de leurs proches, lorsqu’ils bouclent leur ceinturon pour aller assurer – ou tenter d’assurer – notre sécurité.
Ai-je besoin de préciser que je n’ai pas trouvé une ligne, un mot dans Libération sur ces peurs-là, pourtant si largement répandues aujourd’hui chez nous ?! Peurs blanches… Trop blanches, sans doute.
[1] https://www.liberation.fr/societe/immigration/la-vie-sous-oqtf-tous-les-jours-je-sors-en-me-disant-que-je-peux-terminer-en-centre-de-retention-20241110_LCEXHMG7UBH4HO5NHD72JAX6NM/