Il traînait dans l’air libanais depuis des semaines et voilà que le projet de loi électorale du Rassemblement orthodoxe a été adopté en commission parlementaire. Bien que le pays du Cèdre nous ait habitué aux plus improbables revirements, le Parlement semble donc bien parti pour approuver l’élection des députés confessions par confessions au grand dam du bloc d’Hariri, des druzes et de tous les trublions indépendants qui se retrouveraient mathématiquement sous-représentés dans la nouvelle assemblée. Vous connaissez la chanson : les sunnites voteraient pour les sunnites, les maronites pour les maronites, les grecs-catholiques pour les grecs-catholiques, etc. Inutile de vous la refaire.
Faut-il en rire ou en pleurer, l’observateur narquois notera que le vote en commission s’est déroulé alors que le débat sur le mariage civil bat son plein, après que le président Michel Sleiman a officiellement encouragé le vote d’une initiative parlementaire en ce sens. Son ministre de l’Intérieur – pourtant fervent avocat du mariage religieux – a même été contraint de valider l’union civile de deux libanais[1. Ne vous y trompez pas, il s’agit bien de deux conjoints hétérosexuels homme et femme. L’accord au masculin est le fait d’une grammaire française désespérément réactionnaire et ne signifie pas que le Liban soit adepte du mariage pour tous. La cause queer attendra à Beyrouth.] ayant rayé la mention de leur identité religieuse de leurs actes de naissance.
Je ne vous décrirai pas tous les tripatouillages arithmétiques auxquels conduit le projet orthodoxe pour préserver la sacrosainte parité islamo-chrétienne et garantir la représentativité de chaque confession à la calotte près. Contentons-nous d ‘évoquer un détail incongru qui m’avait d’abord échappé : ladite loi électorale reconnaît la communauté juive libanaise, pourtant réduite à une centaine d’âmes après les affres de la guerre civile, mais la contraint à choisir un député musulman ou chrétien en guise de représentant.
Du coup, les militants de la mouvance séculariste libanaise renâclant à s’affilier à leur confession d’origine ont lancé des cyber-campagnes appelant leurs compatriotes à se convertir… au judaïsme ! Autrement dit, si vous disposez d’une carte d’électeur libanaise et que vous rechignez à élire obligatoirement un représentant de votre confession, il vous reste une seule solution : vous faire juif.
En cas de bronca populaire contre le mode de scrutin ultra-confessionnel, la loi électorale devrait réviser les quotas représentatifs au profit de la communauté juive. Nos amis libanais se retrouveraient alors avec une Knesset, pardon un parlement, incluant des députés du Hezbollah plébiscités par des électeurs juifs de fraîche date. De quoi ravir les parlementaires concernés, n’en doutons pas…
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