C’était l’été 1997, et trois albums semblaient mettre fin à la très surestimée vague « brit pop ». Il faisait bon vivre en Angleterre, où toutes les chapelles du rock coexistaient harmonieusement. Célébrant le rite dans les studios, les bars enfumés ou les stades bourrés, certaines sonnaient dans la langue vernaculaire, d’autres en étaient restées au latin de la grand-messe qui tirait ses origines du « Black country » et de Liverpool. Les rockers progressistes ou les athées punks vivaient avec leur temps, seuls les intégristes de l’ampli Vox, restés sourds aux évolutions et aux révolutions, envoyaient encore la liturgie à la manière des quatre apôtres.[access capability= »lire_inedits »]
Du manoir de St Catherine’s Court émergeait OK Computer de Radiohead, son rock progressif, désenchanté, hanté du Floyd, qui annonçait déjà l’épurement des disques suivants. The Prodigy excellait dans le big beat et laissait fuser Fat Of The Land, un OVNI techno-rock-rap, avec l’insolent Smack My Bitch Up en ouverture.
À côté, on pouvait entendre les gardiens de la tradition. Après deux ans passés à chanter Wonderwall dans tous les stades de la Terre, Oasis revenait avec Be Here Now. Rien de très neuf sous le soleil des frères Gallagher : des morceaux à trois ou quatre accords servis sur un lit baroque de cuivres ou de rifs psychédéliques. Ce retour à l’orthodoxie du rock pouvait amuser ou enchanter. Avant tout, il était efficace.
C’est à cette voie qui contredit la théorie de l’évolution, celle des tradis du son, outsiders inversés, qu’il convient aujourd’hui de prêter la plus grande attention.
Parce qu’en 2011, le chanteur Liam Gallagher n’a pas pris sa retraite. Après la désertion de son frère Noel, lors du festival Rock en Seine, en 2009, qui a mis fin à l’épopée Oasis, le cadet a repris les rênes de la formation rebaptisée Beady Eye, soit un œil petit et brillant, un nom d’Iroquois ou de bar de nuit. Où l’on retrouve, autour de l’enfant terrible, Gem Archer à la guitare et au piano, Andy Bell à la basse et Chris Sharrock à la batterie. Où les compositions sont cosignées Gallagher/Archer/Bell. Où il n’y a plus un chef officiel. Où l’on assume avec verve sa névrose sixties, où l’on soutient que le temps s’est arrêté aux mods, vers 1965. Dans Beady Eye, on joue plus que jamais sur des guitares Epiphone, on porte toujours des chemises à carreaux et des cuirs en peau lainée. Concernant l’importante question de la frange, on est loin du fondamentalisme : un front dégagé et c’est l’apostasie.
L’ancienne liturgie, on n’a rien inventé de mieux. Different Gear, Still Speeding, premier album de Beady Eye, sorti le 28 février, est un disque intégralement réussi. Il comporte 13 titres dont pas un seul ne lasse. On est en 1997, en 2011 ou en 1966 ? On ne sait plus, mais c’est bon. Liam fait un régime dissocié : il mange des 33 tours des Beatles le matin et les albums solos de John Lennon le soir. En sus, il pique aussi la coupe de cheveux du Bernard Thibault des bons jours. Qu’à cela ne tienne, c’est la diététique des champions. Les références fusent, assez répétitives. On aimerait en faire l’économie que ce ne serait pas possible : The Roller, le single efficace, est le croisement génétique d’Instant Karma ![1. Instant Karma ! (We All Shine On) est le troisième single de John Lennon, sorti en 1970] et de Nowhere Man ; Millionaire, c’est Norwegian Wood et son sitar au tempo de Day Tripper ; The Beat Goes On n’est pas un hommage à Sonny and Cher, encore moins un clin d’œil à Bob Sinclar : c’est, tout comme For Anyone, une ballade lennonienne aux accents de Double Fantasy[2. John Lennon, 1980] ; Bring the light fait revivre l’album Rock and Roll[3. John Lennon, 1975]. Le tout, mâtiné de rifs piqués sur la face A de Help, mâché et remâché, se déroule dans un temps mythique, quelque part entre 1965 et 1966. « Si Rubber Soul a été l’album de l’herbe, Revolver est celui de l’acide », indiquait l’aîné des Beatles. La messe est dite. Et on ne décroche pas facilement.
Beady Eye, c’est la revanche au goût fruité, de l’Oasis avec bulles. C’est de la liqueur de « Fab Four ». Ça ne tache pas comme du Prodigy. Ça n’enivre pas comme du Radiohead. Liam Gallagher n’inventera jamais rien, mais il dure et, depuis 1994, ses apports sont réels dans le paysage rock mondial. Hanté par ses figures tutélaires au point d’avoir appelé son fils aîné Lennon[4. Ce qui veut largement « Zidane » après 1998, ou encore Facebook après la révolution tunisienne…], longtemps sous la férule d’un frère jugé plus brillant que lui et qui lui a tout imposé jusqu’à 2009, il a réussi l’exploit de se faire un prénom. Different Gear, Still Speeding n’est pas seulement la profession de foi d’un ultra, l’éternel retour aux ornements du rite originel, la messe de toujours : c’est surtout le meilleur album d’Oasis depuis What’s The Story (1995).[/access]
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