Certes, la cavalerie fut autrefois un élément essentiel de la guerre, mais l’art équestre fait partie intégrante de l’histoire de la civilisation française, comme le rappelle une exposition à Lunéville, consacrée au général Alexis L’Hotte, que Patrick Mandon a visitée pour nous.
Deux expositions, remarquables vraiment, conçues admirablement, se tiennent à bonne distance l’une de l’autre cet été, dans deux régions de ce superbe pays, la France, que le vocabulaire du conformisme culturel et politique ne divise plus qu’en territoires, tous privés de caractère et de mémoire, bien propres, ainsi réduits, à satisfaire les passions fades de Sandrine Rousseau et de François Reynaert par exemple. Au reste, M. Reynaert redouble d’efforts pour paraître drôle et méchant dans L’Obs : véritable « woking class hero », il divertit, n’en doutons pas, les électeurs d’Anne Hidalgo, et dans une moindre proportion, ceux, plus rudes, de M. Mélenchon.
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On visitera la première, à Lunéville, en Lorraine, dans le département de Meurthe-et-Moselle, la seconde à Ferney-Voltaire, dans l’Ain, à quelques pas pressés de la Suisse et de Genève (rappelons que notre cher Roland Jaccard lui préférait Lausanne, où il était né. Il avait pris ses quartiers au Lausanne-Palace, puis revint à Paris où il se suicida le 20 septembre 2021).
Les guerres du 1er Empire ont coûté cher à la cavalerie française. Napoléon, piètre cavalier, a passé la plupart de son temps juché sur une selle ou dans une voiture hippomobile. Il renversa des situations militaires désespérées grâce à son sens de la manœuvre audacieuse et au dévouement de ses soldats, qui admiraient et suivaient leur général en chef. On considère que la charge de cavalerie menée par Joachim Murat à Eylau le 8 février 1807 fut la plus importante jamais lancée : elle comptait 80 escadrons, soit 10 000 à 12 000 hommes, dragons, cuirassiers, cavaliers de la Garde. L’action, décisive, donna la victoire à l’Empereur, mais au prix de ce qu’il qualifia lui-même de « boucherie »(1).
Il y aura d’autres charges, des milliers de cavaliers et leurs montures fracassés par des boulets : l’art équestre français, après la chute de Napoléon, est dans un état déplorable. Le général Alexis L’Hotte, sujet principal de notre première exposition, fut parmi ses plus brillants restaurateurs. Il nous attend à Lunéville.
Pied à terre !
Nous voici donc à Lunéville, dont Stanislas Leczinski (1677-1766), ex-roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, père de Maria, épouse du beau Louis XV, saturée d’étreintes, (« Coucher, accoucher : n’y a t-il rien d’autre dans la vie ? » furent, à peu près, les paroles d’une femme d’abord très éprise puis lasse de jouer le rôle de vase destiné à recueillir la semence capétienne) rénova entièrement le château. Ce bâtiment y gagna un lustre tel qu’on le surnomma (sans exagération d’ailleurs) le « Versailles lorrain ». L’Hôtel abbatial, autre joyau architectural, accueille aujourd’hui une nouvelle manifestation du talent de scénographe de Jean-Louis Janin-Daviet et de son entourage, soutenus par la municipalté : « La cavalerie dans tous ses états, dans la mémoire d’Alexis L’Hotte ». Général de cavalerie (1825-1905), né à Lunéville, écuyer en chef de l’École impériale de cavalerie de Saumur (le Cadre noir), théoricien de l’équitation, praticien jusqu’à un âge avancé de cette discipline mêlée d’art, complexe, exigeante, toute de subtilité, de patience et d’attention qui interdisent la brutalité, comme le prescrivait déjà Antoine de Pluvinel (1552-1620), personnage passionnant de l’Ancien régime, fondateur d’une école d’équitation à Paris, auteur de L’Instruction du roi en l’exercice de monter à cheval (il s’agit du Dauphin, futur Louis XIII) : « […] il faut estre avare des coups et prodigue des caresses afin, comme rediray tousjours, d’obliger le cheval à obéir et manier plustost pour le playsir que pour le mal ».
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On croisera les écuyers prestigieux, qui ont fait, avec le général L’Hotte, la réputation de l’école française : François Robichon de la Guérinière (mort en 1750), P.-A. Aubert (mort en 1863) ; François Baucher (1796-1873) propagateur de l’équitation raisonnée qui s’opposait à la méthode instinctive du vicomte d’Aure ; Antoine Cartier d’Aure (1799-1863), qui dirigea Saumur ; et encore Louis-Auguste Picard (1854-1935) auteur des Origines de l’École de Cavalerie et de ses traditions équestres, il est connu des bibliophiles sous le pseudonyme Louis d’Or.
« Calme, en avant, droit »
On reprend souvent, sans respecter l’ordre des mots, ce qui a pour effet d’en troubler le sens, une formule d’Alexis L’Hotte. Ainsi François Nourissier : En avant, calme et droit (Grasset, 1987) est le titre d’un superbe roman de cet écrivain majeur, peut-être trop engagé dans la distribution des prix littéraires pour espérer quelque bienfait de la postérité. Or, dans son ouvrage Questions équestres, le général-écuyer, écrit ceci, qui s’applique à la monture, à propos des buts à poursuivre (on notera le style accordé à la démonstration : vif, précis et riche de connaissances en éthologie équine, avec cela toujours plaisant, et très sensuel dans l’écriture) : « Ces buts peuvent s’exprimer en trois mots : calme, en avant, droit. Pour le cavalier peu habile, au lieu de droit, je dirai direction.L’ordre, dans lequel ses trois buts doivent être poursuivis, est invariable, absolu, et il ne faut rechercher le suivant qu’après avoir atteint le précèdent.Pour que le cheval puisse apprécier nos actions, y répondre avec justesse, il faut, avant tout, qu’il soit calme et confiant.[…] Le cheval étant calme et confiant, il faut qu’il nous livre ses forces impulsives pour que nous puissions ensuite les exploiter.La franchise de la marche en avant en est le premier témoignage et caractérise le but offert au cavalier qui ne veut soumettre son cheval qu’à peu d’exigence.Le résultat sera obtenu, lorsqu’au premier appel des talons le cheval répondra en étendant son action, ses forces coulant et se maintenant en avant, sans que les mouvements gagnent sensiblement en élévation.C’est ainsi que le cheval pourra être mis franchement dans le mouvement en avant, même en marchant au pas ; tandis que les allures vives ne donneraient pas ce résultat, si le trot, au lieu d’être franc et délibéré, gagnait en hauteur plutôt qu’en étendue, et si, au lieu de s’étendre, en prenant le galop, le cheval revenait sur lui.[…] Mais, pour le cavalier qui a de hautes visées, le but ne sera atteint que du jour où, au cours de tout mouvement, dans toute situation, le cheval témoignera le désir de se porter en avant […] Les hanches, ce foyer des forces impulsives, qui doivent s’animer, vibrer sous la plus légère pression des talons, ne sont pas suffisamment agissantes, diligentes, suivant l’expression de La Guérinière. Dans le cours du travail, le jeu actif des hanches doit donc se montrer constant. Jamais les hanches ne doivent se présenter inertes, paresseuses, les forces se fixant sur elles. Toujours le cavalier doit sentir les forces passer en avant, ou toutes disposées à le faire, si une autre direction leur était donnée.La diligence des hanches a sa répercussion sur l’ensemble du cheval, dont elle provoque l’animation. Chez lui, tout s’enchaîne, et ses ressorts, dont aucun ne saurait demeurer inerte sans devenir un germe de résistance, se trouvent alors tous incités à se montrer vivants et à entrer en action au premier appel des aides.Lorsque l’activité des hanches ne laissera plus rien à désirer, le cheval, par son attitude, et en toutes circonstances, semblera dire : “C’est en avant que je veux aller.”Le fonctionnement parfait des forces impulsives ne peut évidemment être obtenu qu’à la longue, mais ce qui importe, dans la marche progressive du dressage, c’est que la préoccupation de l’impulsion prenne toujours le pas sur les exigences qui vont suivre.Le cheval étant calme et nous livrant ses forces impulsives, il s’agit de les régir […] ».
C’est donc à Lunéville, jusqu’au 30 novembre, qu’est démontré l’apport du cheval à la « civilisation » française, que sont célébrés avec éclat par la peinture, la gravure, les livres rares, les objet précieux (on annonce également des conférences et des spectacles) tout à la fois l’art équestre, la cavalerie, le cheval, et, par extension, une certaine esthétique du Second Empire : on verra de belles pièces de mobilier et des éléments de décoration (l’un des points forts de Janin-Daviet), un art de vivre raffiné que la tragédie de Sedan a durablement occulté.
Nous quittons à regret Lunéville : direction la frontière suisse, chez M. de Voltaire, où nous attend un garçon de belle mine doublé d’un homme à fables… À suivre : Exposition Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794).
Exposition « La cavalerie dans tous ses états, dans la mémoire du général L’Hotte », Hôtel abbatial de Lunéville, 1er juillet-30 novembre 2022.
(1) Le colonel Chabert, déclaré mort à Eylau, vieilli et pauvre, revient un jour chez lui, où sa femme, se croyant veuve, a épousé un aristocrate anciennement exilé. Il fait, non sans ironie, le récit des circonstances de son décès : « Monsieur, dit le défunt, peut-être savez-vous que je commandais un régiment de cavalerie à Eylau. J’ai été pour beaucoup dans le succès de la célèbre charge que fit Murat, et qui décida le gain de la bataille. […] »
Le Colonel Chabert, suivi de "El Verdugo", de "Adieu" et de "Le Réquisitionnaire"
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