Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne!
Pauvre Ludwig ! Ce n’était pas assez de perdre l’oreille à 25 ans. Pas assez de voir son anniversaire saboté par un microbe (né en 1770, 2020 est son quart de millénaire, la fiesta promettait). Pas assez. Il faut encore se faire gommer par les effacistes.
Du passé faisons table rase…
« Cancel culture » qu’ils disent. Culture à effacer avec Colbert, Schœlcher, Polanski et Woody. Donc, comme cadeau de deux-cent-cinquantenaire, les effacistes effacent Beethoven. Son crime ? Avoir composé la Cinquième symphonie. Pompompompom : cri primal du colon dominateur. Quelques Black Lives Avengers comme le critique James Bennett II avaient lancé l’alerte. Deux thermidoriens new age, le journaliste pop Charlie Harding et son double musicologue Nate Sloan, rejoignent aujourd’hui le comité de salut public sur le média américain Vox. « Depuis la création en 1808, écrivent nos experts, les auditoires ont interprété ce parcours [du pompompompom initial à l’ut final, NDLR] comme une métaphore de la résilience personnelle de Beethoven face à la surdité. » Mais en vrai, ce que raconte la Cinquième, c’est la marche triomphale du macho « blanc et riche » à la tête de sa légion réactionnaire. « Pour d’autres groupes – personnes LGBTQ+, personnes de couleur – la symphonie de Beethoven peut surtout rappeler que la musique classique est une histoire de l’exclusion et de l’élitisme. »
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Selon cette théorie pas tellement nouvelle, Mozart était cool parce qu’on pouvait applaudir entre les mouvements de ses concertos et bouffer des chips pendant ses opéras, alors que Beethoven aurait inventé l’Œuvre avec un gros Œ, qui domine, qui intimide, qui écrase le public. Pas tousser, pas hurler, pas bouger, « signifiants de la classe bourgeoise ». D’où « un mur entre la musique classique et un public nouveau et divers. » Mur inauguré truelle en main par Beethoven. Et vive la pop citoyenne qui vous cause d’égal à égal.
Vous direz : laissez ces tarés tarer. Mais voyez-vous, ces maîtres-là ont des disciples, plein de disciples, chaque semaine plus nombreux. Et depuis que Notre Castex a fermé les salles de concert, si on ne vole pas au secours du brave Ludwig, qu’est-ce qu’il va devenir ?
Alors. Déjà tomber sur Beethoven relève du parfait opportunisme, genre tu vas voir comment ton anniv ça être ta fête. Bach non plus, il n’en a rien à foutre de ton moi écoresponsable : il compose directement pour Dieu, pour prouver Dieu comme dirait Pascal. Et le mégalo Michel-Ange, tu crois qu’il t’inclut inclusivement ? Depuis que l’art est art y’en a des qui chatouillent et des qui gratouillent (et des qui ni l’un ni l’autre). Et puis ?
À qui le tour ?
Et puis, question mur, la pop ne se gêne pas tant. Le Floyd, dans The Wall justement, il se mouche du genou ? D’ailleurs qui leur a dit, aux effacistes, que Beethoven était un militant hétéro à la recherche des bourgeois en fleur ? Il leur crachait dessus, aux bourgeois. Depuis deux siècles la Cinquième reste un mystère sans classe, à la fois le plus écrasant et le plus populaire.
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Élitiste ? Si on admet que le marché a changé d’élite. À l’époque de Beethoven, ses patrons roulaient en carrosse et lui en carriole ; à l’époque de Rihanna, Madame roule en Lamborghini et ses fans en métro. Cherchez le bourgeois.
Et maintenant à qui le tour ? Accusé de child abuse, voilà un candidat solide, qui s’écriait « I’m not gay », n’aimait la peau que blanche, se voyait très au-dessus de nous autres et se comparait publiquement à Jésus. Je propose donc d’effacer Michael Jackson.