Jeudi dernier, Élisabeth Borne a annoncé la nomination d’un ambassadeur LGBT+ d’ici la fin de l’année et la création d’un fonds de trois millions d’euros pour financer dix nouveaux centres LGBT+ dans une France qui en compte actuellement 35.
On peut trouver que c’est une coïncidence troublante au moment où la démission de quatre ministres soupçonnés d’homophobie est exigée par des associations et des élus LFI. Ce parti est toujours prompt à deviner dans l’ombre d’un propos de leur adversaire une hostilité coupable à l’endroit de l’homosexualité mais incapable de la voir dans les quartiers où « la diversité » fait loi. Cette annonce est intervenue lors de la visite d’un centre LGBT+ à Orléans à l’occasion des « quarante ans de la loi de dépénalisation de l’homosexualité » et fait écho à la promesse d’ Emmanuel Macron de lutter contre les discriminations faites aux personnes LGBT+ en Europe et plus largement dans le monde, propos recueillis dans le magazine Têtu en avril.
Les ambassadeurs thématiques sont apparus en France au début des années 2000 et représentent la voix de la France à l’international sur des sujets propres à déterminer une coopération ou des négociations avec plusieurs pays, comme par exemple le numérique ou encore les pôles dont Ségolène Royal fut une légendaire figure de proue. Un rayonnement supplémentaire de la France dans le monde ? Pourquoi pas ? Mais la pertinence de cette nouvelle nomination laisse dubitatif et apparaît surtout comme une opération de communication politique plutôt bancale.
La confusion se fait dès le départ par le tour de passe-passe mis en place par François Mitterrand lui-même : présenter la loi de 1982 comme LA loi qui dépénalisait l’homosexualité. Ce n’était pas le cas et pour cause : l’homosexualité n’était pas considérée comme un délit. La présenter ainsi était une stratégie politique qui plaçait de nouveau la gauche dans le camp du Bien et renvoyait l’ancien monde à des temps ténébreux où on brûlait les sorcières. Stratégie qui a la vie dure et terrain fertile pour la pousse du woke. Cette loi mettait en réalité un terme à une norme instaurée par le régime de Vichy qui établissait une différence sur la majorité sexuelle d’un mineur : quiconque avait commis « un acte impudique ou contre-nature avec un mineur de son sexe âgé de moins de 21 ans » (la majorité était alors à 21 ans) était passible d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans. Le consentement dans le cadre d’une même perspective mais entre hétérosexuels était déclaré recevable dès l’âge de 13 ans avant de passer à celui de 15 en 1945. En d’autres termes, on tolérait dès lors les relations sexuelles entre un majeur et un mineur à partir de 15 ans, qu’il s’agisse d’une relation homosexuelle ou hétérosexuelle. L’égalité, c’est aussi ça.
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Ainsi, forte de ce postulat, Élisabeth Borne étale ses gages de gayfriendlitude avec une mesure gadget où elle invite la patrie des Droits de l’Homme à faire du combat pour la reconnaissance des droits des homosexuels, bi et trans une lutte nationale, européenne et mondiale. Noble cause, rien à redire à cela. Est-ce un sujet qu’Emmanuel Macron a longuement évoqué quand il a reçu si amicalement l’émir Mohamed Ben Yazed, le dictateur d’une contrée où les homosexuels sont passibles de la peine de mort.
Mais quelle pertinence et quelle utilité réelles peut avoir une telle ambassade au pavillon arc-en-ciel ?
Paradoxalement, le nom à rallonge dont elle est affublée vient réduire son champ d’action et la cohérence de sa mission. Le sigle LGBT assorti d’un + renvoie non à une réalité factuelle, objective ou juridique, issu du wokisme, il renvoie à une communauté, un slogan même, et peut s’allonger à l’infini. Il désigne les Lesbiennes, Gays, Bisexuel(le)s, Trans, le + additionnant toutes les autres catégories de personnes non strictement hétérosexuelles ou cisgenres : pansexuelles, asexuées, intersexuelles, non-binaires, queer, etc. La moindre particularité sortant du champ de l’hétérosexualité blanche de boomer basique vient se rattacher à cette longue liste, faisant d’une singularité et d’un droit (légitime) à vivre sa sexualité du moment qu’elle soit entre adultes consentants, une identité sexuelle à elle seule assortie de prérogatives.
Autant dire que face à si peu de cohérence, qui va-t-on défendre et comment ? Il faudrait trouver le plus petit dénominateur commun pour prétendre embrasser la défense d’une même cause parmi tous ces particularismes.
Reprendre ce sigle et lui dédier un ambassadeur, c’est, en plus de céder toujours plus de terrain à une culture woke et au glissement vers une nouvelle humanité voulue par cette cancel culture, risquer de piétiner ce qu’est la France, la nation et la République en consacrant le communautarisme comme système de valeurs et modèle de société universelle. Car les homosexuels et les transsexuels font partie de la communauté nationale, ils sont nos compatriotes et ne sauraient voir leurs droits et devoirs amplifiés ou diminués en raison de leur orientation sexuelle ou leur genre. Le rêve de beaucoup d’homosexuels jadis étaient de ne pas être rejetés de la société, mais de se fondre dans la « normalité » – si tant est que ce mot veuille dire quelque chose en dehors de la sphère du droit – de n’importe quel citoyen.
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De nos jours, dans de nombreux pays du monde, des minorités sexuelles n’aspirent qu’à ne plus être des parias, des isolés, des malades qu’on rejette ou qu’on tue, afin de s’intégrer naturellement dans le paysage de leur culture. À rebours de ces velléités, les associations, en se targuant du sigle LGBT+, revendiquent le droit à la différence là où beaucoup ne cherchent que celui à l’indifférence. Flanqués d’un drapeau, de codes, de revendications, assignant les personnes à leur sexualité, dénonçant l’hétéronormativité, ils font peser l’épée de Damoclès de la suspicion d’homophobie (je n’énumérerai pas toutes les phobies que cela peut ensuite engendrer) toutes personnes qui ne feraient pas allégeance à leurs discours et ils s’arrogent le droit et l’exclusivité de parler au nom de tous les homosexuels de France et de Navarre qui, pour la plupart, ne se reconnaissent pas dans leurs prises de position et se passeraient volontiers de leurs services comme porte-voix. Ils votent, merci pour eux, et leur drapeau est tricolore. Ou pas, qu’importe, mais ils ne veulent pas d’un syndicat gay, d’un permis de conduire pansexuel ou d’un visa queer sur leur passeport.
Se défendant d’être un lobby, le mouvement LGBT+ montre, en étant repris au niveau national, qu’il exerce bel et bien une influence et brouille les pistes et les combats. Les transsexuels ne sont pas des homosexuels, et jeter la confusion n’amène pas grand-chose au débat prétendument mené, bien plus, cela risque d’embarrasser l’ambassadeur qui aura toutes les peines du monde à faire œuvre de « pédagogie », mot pourtant sur-employé par le gouvernement quand il s’agit de s’adresser à nous, pauvre Français, pour se faire l’avocat des homosexuels dans un pays où l’on craindra – effet magique de l’intersection des luttes – qu’une tolérance mène les hommes par la suite à vouloir s’émasculer pour avoir un vagin.
Caricature ? Oui, assumée, mais à peine. Les enfants gâtés de l’Occident, centrés sur leurs nombrils veulent tout, tout de suite et en même temps. Ils ne veulent pas ranger leur chambre et encore moins leurs genres, oubliant que dans de nombreuses parties du monde, le réveil que réclame le wokisme n’est pas réglé à la même heure.
En outre, à force de porter la parole de tout le monde en même temps, on finit par ne faire entendre que celle de personne. Notre ambassadeur se prendra les pieds dans le tapis à plusieurs reprises concernant nombre de sujets comme celui de la GPA destinée à garantir une parentalité aux couples homosexuels et interdite en France. Passera-t-il ainsi pour un homophobe dans les pays où elle est autorisée, cet arroseur arrosé ?
Attendons de voir l’heureux élu, future excellence, mais cette ambassade donne déjà l’étrange impression d’être une bonne planque pourvoyeuse de subsides, alibi d’une bonne conscience à peu de frais. Mais, au fait, j’y pense, n’avons-nous pas déjà un texte à vocation universelle et qui a valeur constitutionnelle ? Une Déclaration dont les valeurs pourraient être portées par les ambassadeurs partout où ils se trouvent, j’entends par là les diplomates ? Ne sommes-nous pas les héritiers d’une civilisation helléno-judéo-chrétienne où la dignité humaine a tout un sens ? Soyons et faisons déjà ce que nous sommes. À moins qu’il ne s’agisse déjà de ce que nous fûmes.
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