Ce classique de la poésie persane du XVe siècle ressort, richement illustré, aux éditions Diane de Selliers.
Les éditions Diane de Selliers publient une nouveauté par an, au moment des fêtes de fin d’année. Ce sont des livres où tout est particulièrement soigné. Les textes choisis sont des classiques indiscutables de la littérature universelle, et ils sont illustrés par les plus belles images qu’on puisse trouver. La qualité des reproductions est toujours remarquable, de manière à satisfaire l’œil autant que l’esprit.
Nouvelle traduction
Cette année, Diane de Selliers nous offre un roman-poème persan du XVe siècle, Leyli et Majnûn, du grand savant, théologien, mystique et poète Jâmi, qui vécut la majeure partie de son existence à Hérat, carrefour d’un Orient mythique en son âge d’or, à l’ouest de l’Afghanistan actuel, et non loin de l’Iran. Nous est proposée une nouvelle traduction (la précédente datait du XIXe), que l’éditrice a demandée pour l’occasion à la spécialiste de littérature persane Leili Anvar, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales. Elle présente magistralement ce classique dans une préface accompagnée d’une chronologie et d’un glossaire, pour donner les principaux éléments de connaissance au lecteur, peut-être peu familier de cette période de l’Orient.
Quant aux illustrations, point fort de ce riche ouvrage, elles ont fait l’objet d’une recherche dans les plus grands musées du monde. Ce travail a été confié à deux spécialistes, Patrick Riggenberg, de l’université de Lausanne, et Amina Taha-Hussein Okada, du musée Guimet. Chacun d’eux propose une brève introduction à leur projet, en retraçant l’essor des arts picturaux de l’Orient islamique. Ils prennent tout particulièrement l’exemple de cette légende de Leyli et Majnûn, illustrée à maintes reprises depuis la version qu’en donna, avant Jâmi, un autre poète persan, Nezâmi, au XIIe siècle.
L’histoire d’amour la plus célèbre en terre d’Islam
C’est vers la fin de sa vie, en 1484, que Jâmi composa Leyli et Majnûn. Ce roman en vers raconte d’abord une histoire d’amour, « la plus célèbre et la plus célébrée en terre d’Islam », nous dit Leili Anvar. Majnûn, au nom signifiant « fou », est « l’archétype de l’amant », plongé dans une quête amoureuse impossible. Comme l’écrit Leili Anvar : « Chez ce héros solaire, prince poète de l’errance, tout est incandescence et brûlure : feu du désert qui calcine sa peau nue, feu intérieur de l’amour qui le consume, feu de l’inspiration poétique qui sans cesse déborde de lui. »
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Jâmi a réussi à insuffler à ce récit légendaire une dimension mystique réelle, pour en faire une quête de la Vérité. Nous savons que, vers l’âge de trente ans, influencé par ses maîtres, Jâmi est entré dans la voie soufie. Pour lui, à ce titre, l’amour est beaucoup plus que l’amour : « Les aventures de Majnûn, écrit Leili Anvar, illustrent donc à ses yeux le parcours de l’âme perdue dans le désert du monde à la recherche de la théophanie. » N’oublions pas non plus que Jâmi, lecteur d’Ibn ‘Arabi et de Rûmi, est nourri d’une conception néo-platonicienne de la Beauté. C’est ce qui fait en premier lieu de Majnûn et Leyli une « mystique de l’Amour », comme l’écrit aussi Leila Anjar.
Des illustrations visionnaires
Dans son texte introductif sur la peinture persane, Patrick Riggenberg va dans le même sens : il souligne l’apport hautement spirituel des illustrations, qui jouent un rôle bien plus essentiel que celui de banales images décoratives. Selon lui, elles permettent de faire accéder le lecteur à une expérience unique, conduisant son « attention à une captation visionnaire des significations ».
On s’en rendra compte à propos de l’épisode où Majnûn accomplit le pèlerinage de La Mecque. Le poème de Jâmi dit : « Majnûn ne prononça aucune des formules. À la place, il n’avait que le nom de Leyli au cœur et à la bouche. Contemplant, ébloui de beauté, la Ka’ba qui resplendissait dans son écrin noir, lui revint en mémoire la beauté de Leyli et saisi d’un désir brûlant, il poussa un cri déchirant. » Une admirable gouache du XVe siècle, « Majnûn à la Ka’ba », attribuée à Behzâd, illustre en regard ce passage. Comme pour chaque reproduction du volume, un commentaire vient en expliquer l’à-propos. Ici, on peut lire, du même Patrick Riggenberg : « La peinture magnifie la connexion céleste du sanctuaire dont témoignent plusieurs traditions et mythes, en peignant des anges jaillis du voile de la nuit pour verser de la lumière d’or, spirituelle et bénie, sur le sanctuaire. »
Grâce à ce dispositif texte-illustrations, le lecteur accomplit, on le voit, une double expérience, à la fois esthétique et spirituelle. Ce volume de Leyli et Majnûn peut être considéré, en ce sens, comme une superbe réussite des éditions Diane de Selliers, faisant renaître une très ancienne tradition du livre qu’on a malheureusement un peu oubliée aujourd’hui.
Leyli et Majnûn, de Jâmi. Illustré par les miniatures d’Orient. Traduit du persan par Leili Anvar. Éd. Diane de Selliers, 230 €.
Leyli et Majnûn de Jâmi illustré par les miniatures d'Orient
Price: 250,00 €
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