La loi Taubira a ouvert le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. Jointe aux progrès de la PMA et de la GPA à l’étranger, cette révolution anthropologique a permis aux familles homoparentales de redéfinir les notions de père et de mère. Maintenant que les structures élémentaires de la parenté sont chamboulées, le statut de l’antique pater familias n’a plus rien d’évident.
Quelques esprits chagrins l’avaient vu venir. Derrière la révolution du sentiment que consacrait le mariage pour tous, s’en profilait une autre, autrement plus corrosive pour les vieilles structures symboliques, qui établirait la fluidité des sexes comme nouvelle norme de la procréation, donc de la filiation. Soucieux de demeurer des « animaux généalogiques », selon l’expression de Pierre Legendre, et insensibles (peut-être trop) à la puissance du désir individuel qui voyait de nombreux homosexuels réclamer le droit de fonder une famille comme tout le monde, ces réfractaires au monde nouveau pronostiquaient la destitution du père et de la mère au profit de « parent 1 » et « parent 2 », plus conformes à la fluidité identitaire qui est, paraît-il, l’horizon de l’espèce. Fantasme homophobe ! s’indignait-on sur France Inter.
La maire qui voulait tuer le père
Ce fantasme a bien failli devenir réalité. Dans sa sagesse, l’Assemblée nationale a renoncé à commettre cet attentat contre le sens commun, mais la municipalité parisienne, elle, l’a mis à exécution. Le 23 mars, elle a adopté à l’unanimité des conseillers présents la proposition de la mélenchoniste Danielle Simonet de supprimer les catégories « père » et « mère » dans les actes d’état-civil. Ce rappel du caractère indispensable de la différence sexuelle dans la procréation, alors même que la technologie permet, sinon de s’en passer, de l’escamoter, était paraît-il une insupportable discrimination pour les couples homoparentaux – qui représentent, selon l’Insee, 3 % des familles. Les petits Parisiens auront donc le privilège de pouvoir faire signer leurs carnets de notes à leur parent 1. Du reste, avec les mêmes intentions gentillettes, certaines écoles de la capitale ont aboli la Fête des mères et celle des pères au profit de la « fête des gens qu’on aime ».
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Dans le « progrès pour les enfants » que la maire de Paris semble décliner avec un zèle presque touchant, ce n’est pas tant avec la différence des sexes qu’il faut en finir, qu’avec le père (même si les deux ne sont évidemment pas sans rapport). Il a beau avoir perdu de sa superbe, s’être mis aux couches et aux câlins et prendre des congés paternité, à l’image du prince Harry, il est toujours soupçonné de vouloir ressusciter les vieilles dominations et l’antique partage des tâches qui lui conféraient l’autorité, abandonnant l’amour et le soin à la mère.
Qu’est-ce qui vous fait dire que je suis un père ?
La vie concrète, elle, n’avait pas attendu la conception assistée pour multiplier les familles monoparentales, c’est-à-dire, dans l’immense majorité des cas, des femmes élevant leurs enfants seules – avec les vicissitudes économiques et psychologiques afférentes. On peut cependant douter qu’il soit pertinent d’ériger au rang de modèle ouvert à chaque individu une situation souvent subie et qui, à en croire les professeurs et tous les éducateurs, ne donne pas toujours les résultats les plus probants.
L’ennui, c’est qu’un père, personne ne sait vraiment ce que c’est. De même que le premier coup d’œil sur un individu nous dit généralement s’il est un homme ou une femme (sauf sur le plateau de Daniel Schneidermann), nous sommes tous capables de distinguer un père d’une mère. Mais, hormis la capacité à procréer qui avec le recours aux mères porteuses ne constitue plus un critère absolu, bien malin celui qui pourrait donner une définition acceptable par tous de ce qui fait qu’un individu est un père ou une mère.
La déploration ne saurait tenir lieu d’analyse. Et, dans un domaine où sont intriqués des enjeux individuels et collectifs, affectifs et anthropologiques, la pensée automatique, qui voit chacun choisir un camp sans jamais entrer dans les raisons de l’autre, ne peut qu’obscurcir la compréhension et accroître les tensions.
Fogiel et Winter font la paire
Nous avons donc choisi de donner la parole à deux hommes qui représentent en quelque sorte les pôles opposés du débat – et deux conceptions du père. Il n’a pas échappé à grand-monde, compte tenu de l’accueil qu’il a reçu, que Marc-Olivier Fogiel (avec lequel je travaille et me dispute avec bonheur depuis pas mal d’années) avait publié il y a quelques mois un livre sur la famille qu’il forme avec son mari et ses deux filles, nées par GPA. Pour lui, les rôles du père et de la mère peuvent être indistinctement occupés par un homme ou par une femme. Jean-Pierre Winter, qui a aussi publié récemment un livre sur le sujet, est, pour sa part, un représentant de la psychanalyse classique, ce qui ne signifie nullement, quoi que prétendent les caricatures, que, pour lui, la famille devrait immuablement se présenter comme « un papa, une maman, y’a pas mieux pour un enfant ». Il s’inquiète en revanche de voir la nouvelle donne de la procréation créer un sérieux malaise dans la généalogie.
Comme le dit « Marco » sur RTL, il reste donc à espérer que la confrontation des idées permettra à chacun de se faire la sienne.