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Elisabeth Lévy: les cons, ça excuse tout!

Quand les coupables de violence sont béatifiés


Elisabeth Lévy: les cons, ça excuse tout!
A Nantes, un manifestant mime l'arrestation des lycéens de Mantes-la-Jolie, 8 décembre 2018. ©Jérémie Lusseau pour "Le Monde" / Hans Lucas

Un festival de pleurnicherie a accompagné l’arrestation des lycéens de Mantes-la-Jolie, début décembre. Au point de faire passer les coupables de violence pour des victimes de l’ordre policier. L’édito d’Elisabeth Lévy.


L’un des rares avantages dans le fait de vieillir est qu’on devient plus raisonnable – pour ne pas dire moins con. Symétriquement, l’une des grandes vertus de la jeunesse est qu’on peut proférer des énormités avec le sentiment excitant de faire trembler l’ordre établi. Que des lycéens aient sauté sur la première occasion de jouer à « Je nique la police », faisant au passage le jeu des racailles qui se glissent dans toute mobilisation, n’est ni étonnant ni pendable. Il est plus inquiétant que des adultes les encouragent dans leurs fantasmes de résistants d’opérette, rivalisant dans la bêtification compassionnelle teintée d’admiration. Comme le disait Muray[tooltips content= »Et comme le rappelle, dans le mag de janvier, l’excellent Lilienfeld sur un tout autre sujet. »]1[/tooltips], le jeunisme est un naufrage.

« Indigne », « choquant », « inadmissible »,…

L’affaire de Mantes-la-Jolie éclate le jeudi 6 décembre, alors que, depuis plusieurs jours, des lycéens profitent de la dynamique « gilets jaunes » pour apporter leur contribution au bazar ambiant. Une vidéo montrant une scène effectivement digne d’une mauvaise série américaine circule sur internet. On y voit quelques dizaines de jeunes, agenouillés, les mains sur la tête, gardés par des policiers l’arme au poing. « Une classe bien sage », ironise l’un d’eux hors champ (j’ai honte, ça m’a fait rire).

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C’est un festival de pleurnicherie, un feu d’artifice d’indignation, un flot de plaintes qui dégouline sur ces petits anges (dont certains étaient armés de battes de base-ball). Des professeurs qui demandaient hier de la fermeté flattent la juste colère de leurs élèves. À l’image de Benoît Hamon, tous les éternels jeunes de la politique française s’émeuvent bruyamment. « Indigne », « choquant », « inadmissible », « jeunesse humiliée ». Des mères racontent le traumatisme subi par leur enfant, s’inquiétant qu’il paraisse aller très bien. On convoque Pinochet et même, comme ce jeune docteur en quelque chose, sur un plateau télé, les heures les plus sombres (de si longues études pour ça). Le Défenseur des droits qui, il y a peu, recommandait que l’on s’assoie sur la présomption d’innocence des hommes accusés de crimes sexuels, ouvre une enquête, parce que la présomption d’innocence de jeunes gens qui se filment à longueur de temps a fâcheusement été bafouée par la diffusion des images. Valérie Pécresse et Ségolène Royal gardent la tête froide, la seconde affirmant drôlement que ça leur fera un souvenir. Un peu de bon sens.

« Pourquoi ils viennent provoquer ? »

Ce qu’on ne dit pas ou si peu, c’est que, depuis le début de la semaine, Mantes-la-Jolie est le théâtre d’une guérilla dans laquelle, expliquera Castaner, « des lycéens auteurs de blocages ont été rejoints par une centaine d’individus encagoulés et armés ». Dans un long article narrant « comment la jeunesse de Mantes a été mise à genoux », Libération cite candidement « un lycéen d’Edmond-Rostand en capuche » qui évoque une « alliance » conclue le mardi 4 : « Lundi, ça avait chauffé avec la police. Des gens de Saint-Exupéry sont venus nous voir pour demander un coup de main. On ne voulait pas attaquer… Vous voyez, on était sur la défensive. Pourquoi ils viennent provoquer ? » C’est vrai, pourquoi les forces de l’ordre s’emploient-elles à faire respecter l’ordre ?

Poubelles et voitures incendiées, caillassages, un pavillon saccagé et des bonbonnes de gaz volées : le mercredi, le rectorat refusant de fermer Saint-Exupéry, des professeurs conseillent aux familles de garder les élèves chez eux. Le lendemain, c’est après de violentes échauffourées entre lycéens-agitateurs-casseurs et policiers que 151 jeunes, âgés de 13 à 20 ans, sont interpellés. Ce sont sans doute les moins expérimentés, donc les vrais lycéens, qui se font pincer. Et bien sûr, les mineurs sont relâchés au bout de quelques heures, suscitant des commentaires triomphaux, comme si cette issue était la preuve de leur innocence. Très vite, la posture des lycéens de Mantes devient un signe de ralliement. Cheminots, « gilets jaunes » et lycéens, tout le monde s’y met[tooltips content= »Après tout, d’un point de vue policier, des manifestants qui se placent volontairement en position d’arrestation sont plus faciles à contrôler. »]2[/tooltips], tandis que les Raminagrobis de l’excuse évoquent avec gourmandise les rêves de vengeance des jeunes humiliés.

Tu seras une victime, mon fils

Ce n’est pas l’arrestation musclée qui devrait scandaliser dans cette affaire, mais la complaisance pour la violence, sauf quand elle est exercée par ceux qui en ont le droit et même le monopole. Des parents adultes diraient à leurs rejetons que leurs mésaventures font partie des risques du métier de contestataire. Leur raconter qu’ils ne devraient pas subir les conséquences de leurs actes, ce n’est ni les respecter, ni les aimer, mais les priver de l’essentiel : la conscience qu’il existe des limites à leurs désirs – ou à leurs simples appétits de consommation ou de divertissement.

Dans ce registre, le texte lu par l’écrivain Jérôme Ferrari devant un parterre de grandes plumes réuni par Mediapart vaut le détour. « Peut-être vivons-nous dans une société si apaisée que le moindre débordement, la moindre incivilité nous apparaissent comme insupportables. Nous serions saisis d’horreur à la vue d’une poubelle en flammes. Notre délicate sensibilité nous ferait voir un émule de Pol Pot dans chaque pilleur de magasin de souvenirs. […] Après tout, nous vivons dans une belle et grande démocratie qui garantit à chacun le droit de s’exprimer sans recourir à la violence. » Ferrari moque notre « délicate sensibilité » aux pillages et agressions, la sienne lui fait tourner de l’œil parce que des lycéens ont été un peu bousculés. Sur le mode de l’antiphrase, il ne s’agit même pas d’excuse, mais d’apologie de la violence. Pas de sanction, pas de limite. Tu seras une victime, mon fils. Et un petit barbare.

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Janvier 2019 - Causeur #64

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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