Un film à voir cette semaine : Leviathan, de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel. Une sorte de documentaire expérimental nous embarquant en haute mer sur un chalutier. A l’aide de plusieurs caméras arrimées au bateau, accompagnant les pêcheurs ou accueillant les innombrables poissons remontés par les filets de pêche, ce film radical donne à voir de tout près ce que contient et environne l’imposant navire.
Le Léviathan du titre, c’est le bateau lui-même, filmé comme un monstre avec sa grande machinerie et sa manière imperturbable de fendre la mer. À mi-chemin entre le Sang des bêtes de Georges Franju et The Thing de John Carpenter, la monstruosité de Leviathan tient à son expression protéiforme.
La première ambivalence concerne le point de vue du film : la multiplicité des caméras, fixées tantôt sur des machines et tantôt sur des êtres humains, créé un regard à la fois actif et passif, intentionnel et neutre. Le point de vue pragmatique des pêcheurs au travail est entrecoupé par de longs plans enregistrant simplement la vie sur et sous la surface d’une mer torturée. La seconde ambivalence est celle de la tonalité du film, voire de son insaisissable propos. Successivement, nous recevons l’œil globuleux du poisson mort et le rire goguenard du pêcheur en train d’éventrer méthodiquement la faune marine. Une caméra nous donne à voir le bac où les poissons sont vidés : le plan sur la paroi sanguinolente de cet autel profane a quelque chose d’un rictus diabolique.
Mais avant tout cela, avant d’interpréter, il faut saluer la fulgurante beauté des séquences obtenues et la sensation d’immersion procurée par une excellente prise de son. Des mouettes vues de l’eau, des étoiles de mer charriées par un mouvement impitoyable, les visions que nous donne Leviathan sont saisissantes. C’est en quelque sorte la part lumineuse de cette cérémonie industrielle à laquelle Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel ont réussi à donner une dimension mythique, au bord du religieux.
Leviathan, de Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel
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