Carlos Olsina (de son vrai nom Charles Pasquier) a 26 ans. Il est le 71ème Français à avoir reçu l’ »alternative », et donc, à être Matador de toro. A deux jours d’une possible interdiction de la corrida sur le territoire national, le torero d’origine biterroise écrit ces quelques mots pour expliquer sa vocation. Images de Guillaume Brunet-Lentz.
Plus jeune, je cherchais un sport. Un sport du mercredi. Ce fut le tennis d’abord, le trabendo ensuite. En bon Biterrois, il y eut également le Rugby à l’ASBH. Et puis, dans cette recherche un peu légère, est arrivé l’école taurine de Béziers. Sans vouloir faire de la tauromachie ma vie, il y eut une affinité. Manier les capes, les muletas, imaginer la bête charger sur moi et accueillir sa charge tout en la détournant de mon corps, furent autant de sensations qui, inexplicablement, résonnaient en moi. Arriva, enfin, la rencontre avec cet animal mystérieux qu’est le toro bravo. Le toro espagnol. Ce n’était plus un sport du mercredi dont il s’agissait, ce n’était d’ailleurs plus un sport. J’accédais à un monde qui m’était alors encore inconnu : celui de l’art. Ce monde dans lequel il était possible d’exprimer ses émotions, de les transmettre. Ce monde de la création d’une forme esthétique pour exprimer le fond. A douze ans, ce sont des choses qui troublent, qui interpellent. Après avoir gouté cela, je compris vite que je ne pouvais plus reculer, que ma vie, si je m’en donnais la peine, avait sa place dans ce monde fascinant de la tauromachie.
Mes héros, je les voyais habillés de lumière dans les arènes de Béziers chaque 15 aout… souvenirs inoubliables que je revois à travers mes yeux d’enfant. Je les regardais en me disant, « Un jour serai à leur place. Je veux devenir un héros à mon tour ». Je pensais aussi à la peur d’être face à cet animal si terrifiant. Terrifiant, mais fascinant, attirant, si bien qu’on ne put faire autrement que de lui construire un culte dans nos régions.
Mes premières années à l’école taurine furent plus marquées par le grand nombre de roustes que me flanquèrent les vaches braves, que par les triomphes de mes faenas (enchainement de passes). Mais peut m’importait alors. La graine était en moi et ne cessait de germer. Très rapidement, le toro avait fait le vide dans mes pensées. Il était seul. Il n’y avait plus que lui. C’est inexplicable. Presque mystique. Cette passion du toro et de l’approche de son mystère est irrationnelle. La décision était prise : je serai torero. Torero comme ceux que j’admirais et qui bouleversaient les foules entières par la beauté de leur art. Torero comme ceux dont le courage devenait un exemple pour tous les gosses dont je faisais partie. Malgré la dureté des entrainements, des épreuves, des blessures, malgré le chemin long et parfois ingrat, rien ne me faisait baisser les bras. Plus que l’entrainement physique, il y eut la recherche de l’accord avec le toro. Cet accord si difficile à trouver lorsque l’on a affaire a une bête sauvage animée par son impitoyable instinct de combat ! Faire de mon adversaire un partenaire, une tache d’autant plus difficile que chaque toro est différent, imprévisible, et qu’il faut donc à chaque toro chercher de nouveau. Trouver la corde sensible qui nous liera, qui effacera à mesure le combat, et nous mènera à la fusion… voilà quel fut l’objet de mes rêves, de mes désirs. Trouver cette entente en un moment si court et face à une bête si sauvage relève presque du miracle. Mais c’est aussi cela la tauromachie, l’espoir du miracle.
A cette quête, je l’avoue, se mêlait également le rêve du triomphe et de la reconnaissance. Mais le moteur principal restait avant tout la recherche de cette relation particulière avec le toro. Si particulière qu’on a du mal à mettre des mots dessus, et qu’on a préféré y mettre des passes à l’aide de nos capes. Avec cette cape entre nous, qui nous cache et qui nous lie, on cherche à le connaitre toujours plus, ce toro qu’on ne connaitra jamais vraiment. Il y a d’ailleurs quelque chose d’assez obscène à montrer cette relation si intime. Ce qui se passe entre le toro et le matador ne devrait rester qu’entre eux, pour eux. Mais ce qui justifie le caractère public de cet acte, c’est que le public voyeur de l’histoire qui s’écrit devant lui, se sent parfois touché, ému par ce qui jaillit du couple en piste. Voilà la puissance de la corrida.
Voilà pourquoi j’ai décidé de sacrifier une vie normale à cette quête. Jeune, j’ai quitté ma vie, mes études, pour aller m’installer à Séville avec quelques grands et beaux rêves en poche, et une route assez rude devant moi. Aujourd’hui je suis Matador de toros, et ma route est encore longue. J’aime toujours autant ce toro dont je ne parviens pas à percer les mystères. Je l’aime et j’ai besoin de lui pour m’exprimer. La corrida m’a fait réfléchir, m’a fait grandir. Qui serais-je sans elle ? Impossible de me l’imaginer car ce que je suis, c’est torero. Rien d’autre, torero ! Si l’on balaye la corrida d’un simple revers de main, c’est moi que l’on balaye. C’est moi que l’on interdit. C’est l’émotion noble recherchée par des centaines de milliers de spectateurs qu’on leur arrache. L’interdiction de la corrida, aucune personne ayant gouté à cet art ne pourra s’y résoudre. Je vis aujourd’hui en torero, et c’est bien ainsi que je compte mourir.
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