C’est un quartier bourgeois et tranquille, mais une femme et ses trois jeunes enfants y ont été égorgés dans leur sommeil. Dès que le parquet eut fait connaître ce fait divers sordide et révoltant, le maire, dûment estampillé à droite, fit à la presse cette déclaration : « Le quartier est en émoi ! » Pas de bol, le quartier n’était nullement en émoi ! Est-ce à dire que les riverains ne seraient qu’un ramassis d’égoïstes, limite autistes, voire psychopathes, incapables de s’émouvoir devant un acte aussi barbare que répugnant ?[access capability= »lire_inedits »] Non, il n’y a rien de réjouissant à apprendre que, tandis que l’on devisait entre amis ou en famille, à quelques centaines de mètres de là, quatre vies s’éteignaient d’une façon particulièrement crapuleuse !
Mais le quartier n’était pas « en émoi » et la seule différence d’avec les autres jours, c’était la concentration de journalistes que l’on y trouvait. Ces malheureux n’ayant, contrairement à la promesse du maire, aucun quartier « en émoi » à se mettre sous la dent, n’étaient pas loin de s’interviewer entre eux. Mais Monsieur le maire n’allait pas en rester là ! Dès le lendemain, les habitants, décidément peu émotifs, dudit quartier reçurent un toutes-boîtes de la municipalité leur expliquant que le maire partageait leur anxiété et qu’un registre de condoléances était à leur disposition à l’hôtel de ville afin de recueillir leurs bafouilles traumatisées. Mieux encore, les sachant profondément choqués, il avait constitué une cellule de crise, avec psy et tous les accessoires afférents, afin qu’ils puissent pleurnicher sur une épaule compétente et formée à cet exercice. Et pour couronner le tout, ce brave maire, croyant surfer sur une mode qui a pourtant tendance à s’essouffler, organisa, peu de temps après, une « marche blanche », dont le principal effet fut de compliquer encore un peu plus le stationnement ce jour-là.
Alors, Monsieur le maire, je vais vous dire ma façon de penser !
Vous soutenez peut-être les classes moyennes, le libéralisme, le capitalisme, l’ordre et la sécurité, mais vous êtes fondamentalement un homme de gauche. Parce qu’avec vos gesticulations et vos conneries, vous démontrez qu’a priori, vous nous voyez, nous tous, citoyens lambda, comme des enfants, des assistés, des êtres éternellement immatures, inaptes à gérer leurs angoisses ou leur tristesse, demandeurs d’aides psychologiques et autres, bref, devant être encadrés par des fonctionnaires, y compris dans les méandres, pourtant si intimes, de leurs affects. Vous nous voyez comme un troupeau bêta qu’il faut tour à tour cornaquer et materner pour qu’il ne s’égare pas. Vous n’imaginez pas que nous puissions nous tirer d’affaire seuls, analyser nous-mêmes, comme des grands, les sentiments qui nous habitent. Pis ! Vous tentez de nous faire abdiquer de nous-mêmes au profit de structures collectives aliénantes.
En cela, vous êtes un dangereux gauchiste, Monsieur le maire, parce qu’à force d’entendre dire que nous avons besoin d’être couvés comme des oisons, certains finissent par le croire !
Le clivage entre la droite et la gauche, Monsieur le maire, ce n’est pas la lutte des classes, pas plus que l’amour ou le rejet de traditions séculaires ou encore la fracture entre les nantis et les autres.
Le clivage entre la droite et la gauche sépare ceux qui veulent toujours plus d’État, et de plus en plus intrusif, et ceux qui pensent savoir ce qui est bon pour eux, quitte à se tromper et à s’assumer. Là où la gauche, revendiquée ou non, réclame que l’on aide, que l’on encadre, que l’on rassure, que l’on guide et que l’on conseille, la droite, elle, exige que l’on foute la paix aux gens, que l’on les laisse s’émanciper, se forger une opinion par eux-mêmes, se dépatouiller tous seuls, cheminer sans brides, fût-ce cahin-caha, et croître sans tuteur. La gauche croit en l’organisation de l’humain ; la droite, elle, croit en l’homme.[/access]
*Photo : oddsock
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