Madame Le Pen,
Aujourd’hui, vous avez annoncé vouloir interdire certains vêtements dans la rue. Dans votre viseur, le voile et la kippa dont le port dans l’espace public serait, selon vous, attentatoire au principe de laïcité. Je pourrais vous demander pourquoi vous incriminez ces deux signes-là tout en épargnant les tenues de nonne. Je pourrais aussi vous demander pourquoi les laïcards de 1905 n’avaient pas interdit aux curés de déambuler en soutane hors de leurs églises. Mais cela n’irait pas bien loin. Vous me feriez valoir que la France est chrétienne depuis deux mille ans et qu’une exception était donc légitime par antériorité. Je serais convaincu par l’antériorité et beaucoup plus réservé sur la légitimité que celle-ci entraîne et le débat s’arrêterait là, n’ayant pas avancé d’un pouce.
Certes, les pouvoirs publics interdisent déjà le port de certaines tenues dans l’espace public. Vous avez fait notamment valoir qu’il était interdit de se promener nu dans la rue. J’ajouterai moi-même que de nombreuses communes balnéaires interdisent par arrêté de se promener en maillot de bain dans certaines rues commerçantes. La rue, en effet, ce n’est pas la plage. Le juge administratif n’a, pour l’heure, pas trouvé ces actes administratifs liberticides. De même, le législateur a récemment interdit de dissimuler son visage dans l’espace public, ce qui incluait le fameux voile intégral. Là encore, pour des raisons de sécurité et d’ordre public, on peut comprendre que les pouvoirs publics aient dû instaurer une telle norme.
Ambitieux que je suis, je ne crains pas d’entrer sur votre terrain identitaire ou civilisationnel et d’y marquer un point décisif. « Chez nous », Madame Le Pen, on ne dissimule pas son visage. « Chez nous », on ne se promène pas dans la rue à poil, ou presque. Mais, « chez nous », on a le droit de porter tout type de vêtement en dehors de ces deux tenues-là. Même religieux. Et la loi de 1905, séparant les églises de l’Etat n’y a rien changé. On ne voit pas en quoi un voile, permettant de voir le sourire et le regard de la dame qui le porte, attente à notre décence commune. Quant à la kippa, puisque vous la citez aussi – il faut bien respecter les équilibres au sein du bureau politique du FN -, elle n’est pas plus attentatoire à notre socle civilisationnel que les papillottes, si d’aventure vous décidiez de vouloir aussi réglementer les salons de coiffure.
J’en viens à mon cas personnel. J’ai un aveu à vous faire, Madame Le Pen. J’ai moi-même une religion que vous pourriez souhaiter bouter hors de l’espace public. Ma religion à moi – pauvre mécréant que je suis – c’est le FC Sochaux-Montbéliard. Il s’agit d’une religion fort mal classée actuellement mais ce n’est pas la question. Il m’est arrivé, afin de montrer à mes semblables parcourant l’espace public combien j’étais croyant, de porter le maillot jaune et bleu de ce club, surtout l’été en vacances. Si vous étiez logique, vous me l’interdiriez aussi. Car ma religion porte parfois à l’intégrisme. Figurez-vous que, parfois, je me laisse aller à douter de l’honnêteté de tel arbitre et d’être une mauvaise foi ayatollesque sur un hors-jeu non sifflé. Figurez-vous que la vue d’un maillot marseillais ou parisien aux abords de ma cathédrale, le Stade Bonal, me rend irritable voire même discourtois les soirs de défaite. Certes, je ne participe à nulle bagarre contre les supporteurs adverses ni ne caillasse les bus du PSG et de l’OM, mais ma susceptibilité religieuse peut parfois être chatouilleuse, surtout quand on est classé dix-neuvième.
Il serait donc cohérent de m’interdire de porter ce vêtement ostentatoire dans l’espace public. Ce qui m’éviterait d’ailleurs de ressembler à l’un des personnages de Camping et empêcherait mes enfants de prendre leur père pour un beauf parfait. Pendant que vous y êtes, vous devriez aussi vous occuper des bikers fans de Johnny Hallyday qui font pas mal dans l’ostentatoire. Ils parlent de leur héros comme d’un Dieu, ce n’est pas très sain.
Madame Le Pen, votre argumentation soutenant que l’interdiction d’un vêtement à connotation religieuse pourrait être interdite dans l’espace public sous prétexte de laïcité ne tient pas, ainsi que je viens de le prouver. Votre intention était de faire le buzz, ce que vous avez d’ailleurs fort bien réussi. Ce qui prouve que, comme Jean-François Copé, Bernard-Henri Lévy ou Olivier Besancenot, vous avez bien compris notre époque. Ce qui prouve que vous pourriez tout aussi bien demain présenter une émission de « relooking » sur M6 que présider un parti politique. Ce qui ne prouve pas forcément que vous ayez l’étoffe d’une femme d’Etat.
*Photo : blandinelc
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