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Lettre à Fanny A.

Nous avons eu la faiblesse de ne pas immédiatement tomber sous le charme de la beauté guindée de Fanny Ardant...


Lettre à Fanny A.
Melvil Poupaud et Fanny Ardant, dans "Les Jeunes Amants" (2022) de Carine Tardieu © Ex Nihilo Kare

Depuis hier, l’actrice Fanny Ardant est à l’affiche du film « Les Jeunes Amants » de Carine Tardieu avec Melvil Poupaud et Cécile de France. Forcément sublime…


Chère Fanny,

D’abord, je dois confesser qu’il fut un temps, la jeunesse n’excuse pas tout, où votre beauté corsetée, presque trop conciliante, s’accordait mal avec nos tapageuses années 1980. Comme tous les adolescents désœuvrés de ma génération, j’étais en quête de cette blondeur californienne, lumineuse et dorée, diffusée à grands renforts de publicité. Après Cinecittà et ses brunes assassines, Venice Beach était notre nouvel eldorado. Elle me semble si terne aujourd’hui. Désespérément quelconque. Affreusement lointaine. Aurais-je été mystifié ?

Liberté de ton

Les corps expansivement démonstratifs avaient nos faveurs nocturnes d’antan. La vulgarité s’infiltrait alors dans nos cerveaux en gestation sans que l’on puisse stopper son puissant venin. Nous étions aveuglés par ces mirages venus d’Hollywood et ces physiques formatés à la salle de gym. La chair est faible et tentatrice. Nous sommes des victimes, ne vous y trompez pas ! Et puis, votre côté guindé, apprêté, poseur, intello du caméo, bourgeoise équivoque, fille d’officier de cavalerie, enfance monégasque n’arrangeait pas votre cas si particulier. Et ce goût immodéré pour le texte tellement français, tellement suspect, nous dérangeait, nous insupportait même. Comprenez-nous bien, nous sortions à peine de l’école. La dictée passait mal. On manquait de repères pour définir ce sentiment mêlé, très nouveau pour nous, le malaise et l’attirance jouaient à la courte paille. Qui l’emporterait ?

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Maintenant, je sais que c’est à partir de ce moment-là, précisément, que nous avons follement aimé votre classe naturelle et votre absence de calcul. Depuis, nos élans vous sont totalement acquis. Le trouble de votre présence ne nous quittera plus jamais, nous vous le promettons, il est constitutif de nos rêveries. Vous avez balisé notre carte du tendre. Vous aviez déjà réponse à toutes nos questions existentielles, à la quarantaine. Impénétrable et directe, réfléchie et suspensive, avec quelques afféteries de langage afin de ne pas paraître trop parfaite, votre voix si mal caricaturée démolissait, mot après mot, nos dernières barrières psychologiques. Vous alliez terrasser notre imaginaire, marquer au fer rouge nos errements, nous inculquer la passion amoureuse et surtout ne pas rougir de nos emballements. En 1984, nous vous regardions encore sans vous écouter. C’est le propre de l’âge bête. Notre esprit n’avait pas été totalement percuté par votre beauté à la discrétion étouffante et cette répartie foncièrement disruptive. Tellement rafraîchissante dans une société convenue. La beauté sans la liberté de ton n’est qu’une chimère. Nous l’avons appris grâce à vous. Qu’il n’y a rien de plus désirable et déroutant qu’une femme assumant ses propos et ses actes, s’engageant complètement, sans gonfler sa poitrine, ni ses idées, ne craignant ni le ridicule, ni la moquerie, tentant juste de s’approcher au plus près de sa vérité propre. Peu importe, le résultat, l’échec ou le succès. Il faut une vie entière pour parvenir à cette harmonie-là. Nous adorons votre liberté de ton, votre économie de mouvement, votre maintien joliment distant, votre rire large et profond, vos yeux amusés et cette audace qui ne transpire d’aucun calcul et qui ne s’apprend pas au Conservatoire.

Une franchise sans malice

Quand tant d’autres comédiennes singent, esquivent, balbutient, travaillent sur l’effet, s’épuisent dans la recherche d’une rentabilité immédiate, vous tracez votre chemin, tel le chevalier Bayard. Il y a chez vous, une franchise sans malice et une forme d’élévation populaire. Oui, le mot est lâché. Depuis hier, au cinéma, dans « Les Jeunes Amants », vous dévorez goulûment la pellicule avec cette force qui tangue mais ne cède pas. C’est beau un paquebot qui affronte la haute mer. Vous êtes notre France, cette vieille terre qui, par l’élégance et le charme, ne veut céder aucune once de terrain à la veulerie ambiante. Ceux qui vous imaginent évaporée, confondent avec le mystère, la grâce de dieu. Quelle autre actrice aurait pu prononcer cette admirable phrase : « j’aime le fouillis pour rêver à l’ordre, au calme » ?





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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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