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Lettre à Cécile

Le nouveau monde tarde à se lever


Lettre à Cécile
Image d'archive © MATHIEU PATTIER/SIPA

On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. L’édito politique de Jérôme Leroy


Ma pauvre Cécile, j’ai 57 ans, quarante ans de plus que toi, et je n’entends plus trop des choses que j’aime quand je vois l’état présent du monde.  Je présume que pour toi, c’est pareil à cette différence notable que je me souviens, au moins, qu’il y a eu un monde avant. Avant quoi, va savoir. Je ne sais pas si c’était mieux avant mais je suis bien certain que c’est pire maintenant. Peut-être le monde d’avant le virus ou d’avant ces rapports sur le climat qui sont comme la Lettre volée d’Edgar Poe : lisibles par tous mais lus par personne. Ou avant la guerre, parce que pour couronner le tout, on t’offre une bonne guerre à l’ancienne en Europe, avec des offensives terrestres, des bombardements, des exodes massifs et même, ne reculons devant aucun sacrifice, des menaces nucléaires.

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Parce que toi, à 17 ans, tu n’auras tout de même pas eu de chance, ces cinq dernières années. Tu étais au collège quand Macron est arrivé et t’a expliqué ou a expliqué à tes parents que « tu n’étais rien » et qu’il suffisait « de traverser la rue pour trouver un boulot. » Pour peu que tu vives dans une zone périphérique, comme on dit, tu les as peut-être accompagnés sur les ronds points, au milieu des gilets jaunes. Tu as peut-être vu revenir  après les samedis des manifs un père ou une cousine éborgnés par les LBD et tu as appris assez vite qu’il n’y avait même pas besoin de l’extrême-droite pour mater policièrement une insurrection populaire : même le centrisme macronien peut être autoritaire.

Scénario de science-fiction

Au lycée, qui aurait dû être la période de tes plus belles années, un virus t’a enfermé de confinements en couvre-feux et a masqué durablement ton minois. Tu as alors entendu à peu près n’importe quoi asséné avec certitude, tu as vu un scientifique de renom gonflé comme une outre de sa propre suffisance, ivre de sa surexposition médiatique se faire une réputation sur la panique devant ce scénario de science-fiction devenu notre présent. Tu as sans doute compris, depuis, que les médecins ont dû se battre sur deux fronts, celui de la maladie mais aussi celui des aberrations antivax le plus souvent masquées derrière un discours sur la liberté tenu par des poutiniens exaltés, ce qui ne manque pas d’ironie. Cela a évité de s’interroger sur ce virus né de la déforestation, c’est-à-dire de la dévastation marchande de la nature et sur les ravages qu’il a pu faire,  aggravés par des systèmes de santé soumis depuis longtemps à une logique libérale. Tu remarqueras d’ailleurs, Cécile, que ce sont les mêmes qui « ne croient pas » au réchauffement comme ils ne croient pas au virus. Il y en a qui cochent toutes les cases, décidément…Tu as peut-être lu Descartes en cours de philo et tu sais désormais que ce pays qu’on disait cartésien, avec un orgueil légitime, est devenu la nation du charlatanisme triomphant et auto-satisfait, légitimé par des réseaux sociaux qui font leur beurre sur la folie ambiante.

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Écervelée manipulée ?

Tu aurais pu croire qu’un monde nouveau allait émerger, en écoutant le président, au début de la crise : au nom du « quoiqu’il en coûte », il annonçait des jours heureux pour après et tu vois le résultat. Rien n’a changé, alors que tu angoisses à cause de Parcours Sup, un truc pour t’orienter que n’auraient même pas osé imaginé Orwell et Kafka, la main dans la main. Si tu te plains des insuffisances manifestes de Blanquer ou de son arrogance d’amateur, il te répondra qu’un danger autrement plus grand te menace que celui de fêter tes trente ans dans une planète écologiquement invivable : c’est l’islamo-gauchisme ou le woke – fais ton choix – mais ne t’avise pas de manifester dans la rue ton angoisse climatique, tu seras vite classée comme une écervelée manipulée, au mieux, mais plus surement comme une racaille antifa, au pire.

Les jours heureux, les vrais

Ma pauvre Cécile, tu ne pourras même pas voter ce coup-ci, et peut-être n’en aurais-tu pas eu envie. Je vais le faire pour toi. En me souvenant de Paul Nizan, un écrivain communiste qui a dit : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Et je vais le faire pour un candidat qui sait de quoi il parle, lui, quand il parle des jours heureux.

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