Seule la présence physique apaise ou guérit
Il fut un temps où certains écrivaient sur l’énergie des arbres, l’énergie que les hommes pouvaient sentir en s’approchant des arbres, et recueillir en s’appuyant sur eux. Le Covid et internet m’ont fait découvrir que la meilleure énergie que nous pouvons recueillir, c’est pourtant, bien mieux que celle des arbres, celle qui vient de nos semblables, que nos frères humains nous communiquent. Je ne le prouve pas par stricte voie expérimentale mais j’accumule les preuves.
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Comment le Covid et la vie digitale nous ont-ils fait comprendre cela ? Par la séparation des hommes que l’épidémie a provoquée et par le type de liens de substitution qu’Internet a proposés. Nous avons vécu jusqu’à plus soif le corps numérique de remplacement : les liens démultipliés des réunions sur écran permettant, entre humains, entre amis, entre parents, entre collègues, entre étudiants ou élèves et professeurs, entre partenaires divers ou inconnus, d’échanger des informations : verbales, factuelles, commerciales, techniques, futiles, spirituelles même, des informations transférables, des informations informantes, des informations locales ou mondiales. Bref d’un point de vue utilitaire, le corps numérique de remplacement a fonctionné, il a rempli son rôle. Sauf que.
L’énergie bienfaisante des corps
Nous sortions épuisés de ces longues séances digitales. Nous nous sommes rendus compte que ces séances, suivies confortablement de chez nous, au milieu de nos meubles, ou de notre bureau, sans avoir à se déplacer, sans avoir à affronter les foules et la fatigue des transports, quand même, nous épuisaient, nous laissaient sans force.
Parce que bien plus encore que les arbres, ce sont nos semblables qui nous fournissent la meilleure énergie. C’est au contact de nos frères humains que nous nous rechargeons, que nous accumulons ce qui nous fournit l’énergie de vivre ; mais c’est de contact physique qu’il s’agit : visuel, auditif, olfactif, tactile, gustatif, au contact les uns des autres par les cinq sens réunis ; réunion qui seule génère en plus le contact psychique et spirituel. Nous sortions épuisés psychiquement, spirituellement et même corporellement de ces séances numériques ; et à force de nous étonner de cette fatigue impromptue nous avons fini par comprendre que c’est parce que, si nous recevions de derrière l’écran des informations, nous n’avions plus l’énergie bienfaisante des corps.
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Je pense aux vieillards isolés dans les Ehpad à qui l’on tendait des tablettes numériques dans lesquelles leurs enfants parlaient en souriant. Ils rendaient pourtant l’objet sans un regard. Sans comprendre. Ne voyaient rien du réel dans le substitut. Comme les petits enfants qui ne voient pas la mère dans l’écran.
J’accumule les preuves. Le charisme est physique. Tient au regard, à la force visible, à une certaine façon d’être, de marcher, de parler, qui ne tient pas qu’au volume. Qui peut tenir à peu, mais physique, corporel, visible, perceptible. La force du saint, dit Rimbaud dans les Illuminations. Celui qui par sa seule présence guérit. Le simple médecin parfois, ou la mère aimante qui s’occupe de l’enfant malade, le soigne, comme elle dit.
On a besoin d’échanges non verbaux aussi
Je me souviens des poignées de main qu’on se donnait (on disait qu’on les échangeait) et qui disait tant de l’autre ; on se donnait une information physique et on se transmettait quelque chose qu’on appelait volontiers un fluide.
Je pense au nourrisson de quelques mois, à l’intensité des échanges non verbaux qu’il a avec l’adulte qui le regarde en souriant. Je pense aux couples qui avant de dormir trouvent dans l’enlacement de quoi revivre. Je pense là au contact amoureux avec ou sans étreinte. À l’inverse, une rencontre sexuelle qui n’est pas préparée par cet échange d’énergie, cette préparation de l’âme et de l’esprit tout autant que du corps, n’est qu’une pornographie sèche ; c’est de cela qu’il s’agit dans le sexe sans amour.
Le corps soignant. Le médecin médicament de Balint. Le chamane. Le corps thaumaturge du roi qui guérissait les écrouelles. Ceux qui ont des dons de guérison, certains disent des pouvoirs, moi je dis qu’ils existent probablement mais qu’il vaut mieux se méfier d’où ils viennent, du ciel ou des enfers.
L’illusion du monde des écrans
La discussion avec l’ami, la discussion pleine d’entrain et d’échanges, qui vous requinque dans l’adversité, qui dilate votre cœur dans les bons moments. L’amitié qui ainsi se tisse.
L’énergie que l’on ressent au contact de l’autre. Ou que l’on ne sent plus. Qui s’est éteinte.
La joie d’être ensemble, à beaucoup. La joie dilatée que procure le chant choral. Celle de la prière en commun. Ailleurs, la ferveur des supporters, les chants eux aussi (Flower of Scotland à Murrayfield, Swing low Sweet chariots à Twickenham…). Bien sûr, qui dit stade, dit aussi Nuremberg ; cette force immense détournée.
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J’accumule des preuves. Jamais l’écran ne transmettra cette énergie que les humains retirent de leurs semblables. Quand ils se croisent, se regardent, se frôlent et se touchent, se parlent avec des vrais phonèmes faits de souffle et de modulations et appuyé de tout ce langage non verbal, que l’écran abrase et voile, sinon cache. Les humains marchent à l’humain comme les fourmis qui travaillent se rechargent en se touchant les antennes. Sans le prouver mais en accumulant quand même les preuves, bien sûr que les humains dans leur fourmilière ne font jamais rien de mieux entre eux que de se prendre les mains, les yeux et de se dire des choses de toutes les façons possibles, qui sont la voix et les yeux et tout le reste.
Voilà pour quoi, on est épuisé quand on a juste, pour se recharger, que des écrans à regarder et à entendre. Et la source de cet épuisement est l’illusion trompeuse du monde tout numérique : l’alternative sanitaire et utilitaire au monde tout humain où les humains se voient, se touchent, s’informent, se soutiennent en se servant pour cela de leur corps physique en personne.
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