Economistes de tous poils, spécialistes de tous phénomènes, prêtres de tous dogmes et politiciens de tous bords, tous s’accordent aujourd’hui à réclamer, contre le monstre de la Finance et l’ogre de la Crise, le retour de l’Etat. Ils font ainsi vibrer une vieille corde nichée au fond secret de tout Français et rappellent du fonds des âges cet antique amour de la Justice qui voit dans le glaive vengeur de nos rois, dans l’impitoyable couperet de nos révolutionnaires et dans le pistolet de nos résistants le bras même de la Providence.
Que ce serait bel et bien ! Que l’on aimerait que se réunissent un beau chevalier, un pur révolutionnaire et un ardent résistant pour se conjurer et renverser les baronnies électroniques du CAC 40 ! Que l’on ne tomberait en pâmoison devant un gouvernement qui mettrait en oeuvre à l’égard des banquiers et des spéculateurs les prescriptions de toutes les morales de tous les siècles !
Mais, au-delà de ce détournement de l’histoire de France par l’imagerie publicitaire des politiciens, examinons un peu ce que recèle ce « retour de l’Etat ». Le plus froid des monstres froids aurait-il vraiment disparu, et disparu reviendrait-il paré cette fois de cette âme, la Justice, que les philosophes lui prêtent ?
Mais enfin, comment concevoir le retour d’un Etat qui n’a jamais disparu, qui s’est continuellement perfectionné, subsumant désormais les nations sous des institutions internationales et l’ « intégration régionale », s’éloignant des peuples qu’il fait revoter au besoin, s’armant de législations liberticides censément anti-terroristes ? Qui donc à Moscou comme à Paris, à Los Angeles comme à Berlin, a partout organisé ces décrets de privatisation et ces réglements de déréglementation ? Qui, sinon l’Etat , qui fait aujourd’hui hypocritement mine de regretter ce feint laxisme pour se justifier de voler au secours des banques en faillite ? Car, bien sûr, ce n’est pas au moment où la bourse risquerait d’en pâtir que l’on songerait à appliquer aux professionnels de l’usure les lois scélérates du marche-ou-crève, ces lois merveilleuses sous lesquelles le peuple travailleur gémit depuis tant de décennies !
Mais surtout, quel est le contenu positif de ce pseudo-retour de l’Etat ? Qu’entend-on de tous côtés ? Serait-ce des lois pertinentes et moins de règlements, moins d’interdictions, plus de juges et moins de flics, moins de bureaucrates ? Oh, que non, vous n’y pensez pas ! L’Etat dont on vous promet le retour, ce n’est pas une République de citoyens mais une Caserne d’administrés. Il n’est question, à droite comme à gauche[1. Force est de reconnaître qu’en l’occurrence le Front National a été précurseur, et que son système se distingue par sa cohérence.], que de protectionnisme et de patriotisme économique, ce qui consiste in fine à ne plus concevoir l’Etat et la Nation qu’en termes économiques. Le but du gouvernement n’est plus que la croissance, l’Etat n’est plus qu’une entreprise dont nous sommes les salariés. Ainsi, loin de promettre un avalement du marché par l’Etat, l’antilibéralisme actuellement en vogue n’annonce guère que le contraire : la concurrence acharnée des nations entre elles, la géopolitique de l’import-export, et, si l’on peut préférer l’entreprise France à l’entreprise Europe ou Occident, il faut bien admettre qu’il s’agit là de questions de goûts plus que de divergences réelles.
Quoi qu’il en soit, la faillite retentissante du capitalisme accule ses bénéficiaires à essayer de transférer la légitime colère du peuple sur un autre objet qu’eux-mêmes, quelque chose qui leur soit proche mais dont ils peuvent se passer avec profit, le libéralisme, exactement de la même manière que l’on essaie de transmuer le rejet d’une immigration esclavagiste en haine de l’Islam. Après s’être servi de la liberté pour justifier son expansion, le capital l’emploie une deuxième fois pour fuir ses reponsabilités. Alors, on nous présente l’Etat comme le recours ultime, dans la concurrence des nations entre elles. On va utiliser la monnaie, les frontières et tout ce que l’on peut comme armes contre les pays émergents, car il nous faut des marchés. Prisonniers du paradigme productiviste, eurosceptiques et eurolâtres, socialistes, lepénistes, gauchistes et sarkozystes communient dans cette idée que nous devrions nous armer pour faire face à la concurrence internationale.
Aujourd’hui, c’est bien à cette guerre mondiale qu’il faut échapper, car, nonobstant quelle pourrait déboucher sur une guerre réelle qui signifierait pour la France la nécessité de choisir entre la bombe ou la mort, cette guerre ne pourra être menée efficacement qu’au prix de la subordination de tout et de tous à un productivisme capitaliste dirigé par l’Etat. Ajoutez à cela ce racisme au carré qui voit dans les races des dégénérescences morbides, et vous avez le fascisme du vingt-et-unième siècle. Réjouissante perspective qui n’empêchera pas l’homme festif et inaltérablement heureux de danser en rond autour de sa fierté.
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