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L’Etat, c’est nous. Nous tous.


L’Etat, c’est nous. Nous tous.

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Il est bien regrettable qu’Anyss Arbib soit un Français comme vous et moi. Parce que je connais une palanquée de donzelles qui accepteraient volontiers un mariage gris ou même blanc avec ce jeune homme bien sous tous rapports : beau comme un camion, intelligent, promis à un brillant avenir au service de l’Etat, des initiales de premier de la classe. Et en prime, un républicain comme on n’en fait plus. Bref, si Marianne était un homme, je voterais pour qu’on lui donne le visage d’Anyss[1. D’accord, il est un peu jeune pour moi, mais ce n’est pas très élégant de le faire remarquer.].

Autant dire que la lecture de son témoignage dans Libé du 24 novembre m’a fait froid dans le dos – et, pour tout dire franchement honte. D’origine marocaine, Anyss habite Bondy et, après la victoire de l’Algérie, il décide d’aller faire la fête à Paris avec un copain d’origine algérienne. Un peu comme un Français d’ascendance italienne aurait pu accompagner son voisin d’origine portugaise dans des circonstances analogues – ou comme de nombreux Juifs feraient la fête si Israël remportait une compétition, ce qui, grâces soient rendues au dieu des Juifs, n’est pas très probable. Porte Maillot, Anyss assiste à des violences policières alors que, selon lui, il n’y avait pas de casseurs dans le secteur. Les policiers le prennent à partie – avant de le gratifier, en prime, d’un jet de lacrymo. « Dégage, sale Arabe ». Il explique qu’en tant qu’étudiant à Sciences Po, il connaît ses droits. Réplique : « Sciences Po ou pas, t’es un Arabe ».

Quand Anyss parle de guerre franco-française, il faut l’entendre et même le remercier. Oui, Anyss a été maltraité par la police de son pays. Oui, Anyss est français, et même ce qu’on pourrait appeler un bon Français si on avait encore le droit de dire ce genre de choses. Un résumé de notre identité. Quand il invoque ses droits, il se montre plus romain que les Romains. Et peu nous chaut qu’il fasse le ramadan ou qu’il aille à la mosquée. Quand il dit que c’est sa République qui est en danger, il a raison. Qu’un agent de police, détenteur de la force publique, lui renvoie ses origines à la face, montre qu’il faudra faire un peu plus que l’affichage de la déclaration des droits de l’homme dans les commissariats pour enfoncer dans le crâne de nos flics que la France n’est pas une nation ethnique et que quiconque adopte ses valeurs, son histoire et sa langue est aussi français que si ses ancêtres étaient à Gergovie avec Vercingétorix.

Je sais, les flics se font caillasser, traiter de « sales Céfrans » quand ce n’est pas de « Français de merde ». Ceux qui s’en sont pris à Anyss Porte Maillot en avaient certainement bavé sur les Champs Elysées. And so what ? Si le fait d’être pauvre et chômeur ne justifie pas le vol de mobylette ou le trafic de drogue, on voit encore moins pourquoi les difficultés (par ailleurs réelles) du métier de policier justifieraient des comportements illégaux voire délictueux, quand leur boulot est précisément de faire respecter la loi. La politique de l’excuse, ça ne marche pas plus pour les gendarmes que pour les voleurs. Et personne n’est obligé de travailler dans la police.

Même s’ils avaient eu affaire à un vrai zyva qui dit « nique la France » toutes les trois phrases, le comportement des flics aurait été inexcusable. Mais en plus, il faut que ça tombe sur Anyss. Anyss, c’est pas le genre à traiter ses concitoyens de Gaulois ni à passer son temps à se plaindre d’être une victime. Il ne demande pas que la France s’adapte à lui. Il pense qu’il est normal que la police arrête les malfaiteurs présumés, pas qu’elle leur casse la gueule comme il l’a vu ce soir-là. Je l’avoue, si je n’avais pas peur d’être confondue avec Ségolène Royal, je lui demanderais bien pardon, à Anyss, pas au nom de la France, puisque la France c’est lui, mais au nom de sa police.

Seulement, le policier-voyou n’est pas la police et la police n’est pas la France. Or, à lire et à écouter les journalistes au grand cœur qui peuplent les rédactions hexagonales, on pourrait croire que la France est le Chili de Pinochet…ou l’Algérie d’octobre 1988 (date à laquelle des émeutes de la faim ont été réprimées dans le sang). De Libé à Canal + en passant par France Inter, on s’est jeté avec délectation sur l’histoire d’Anyss, parce qu’elle arrivait à point pour confirmer ce que tout le monde savait déjà, à savoir que ce vieux pays est peuplé de beaufs et de racistes. Heureusement, il se trouve de courageux journalistes pour dénoncer les dérives policières et l’atmosphère de chasse aux immigrés qui sévit aux quatre coins de l’Hexagone. On ne peut que se désoler pour les Inrocks et Télérama qui sortent le mercredi et ont donc raté cette affaire « exemplaire ». Qu’ils se rassurent, d’ici une semaine, ils trouveront bien autre chose pour prouver que la France est décidément le pays du racisme ordinaire.

D’accord, ce n’est pas très grave. Si mes confrères aiment exhiber leur belle âme et se gargariser silencieusement du courage qui leur fait dire à tous la même chose comme si chacun défiait cet Etat inique en combat singulier, grand bien leur fasse. Il n’est pas mauvais d’avoir une belle âme et, sur ce cas précis, leur indignation, quoiqu’un peu surjouée, est parfaitement justifiée. Le problème, c’est que la bavure policière a totalement fait disparaître des écrans radars les manifestations elles-mêmes et leurs débordements. Peu importe qu’à Toulouse on ait, semble-t-il, décroché les drapeaux français de la mairie pour les remplacer par des drapeaux algériens. Peu importe que les Parisiens et touristes de toutes origines aient subi, le soir du fameux match, des violences qui n’étaient pas seulement policières. Peu importent les vitrines brisées et les équipements dégradés. On ne va pas en faire une histoire. S’ils cassent, c’est parce que nous ne sommes pas gentils, non ? La preuve par Anyss.

Le résultat, c’est que les seuls à évoquer ce qui s’est passé, et de la pire façon, sont les Le Pen, père et fille, le premier estimant sans ambages que les supporters de l’Algérie ne sont pas français et qu’il n’y a qu’à les renvoyer « chez eux », tant pis si ce chez eux n’existe pas. Notez, c’est exactement ce dont ils rêvent, les confrères : un nouveau 21 avril, une quinzaine antifasciste comme disait Muray, qui leur permettrait, une fois encore, de se prendre pour Jean Moulin, la torture et le chapeau en moins.

Le Pen, donc, comme d’habitude, n’a pas déçu ceux à qui l’antilepénisme tient lieu de pensée politique. Reste que ce « déni de réel » permanent, pour reprendre l’expression employée chez Yves Calvi par mon cher Alain Finkielkraut, ce « flagrant déni » me souffle Gil Mihaely, ne peut que conduire à un désastre. Pour les malheureux autochtones qui ont le front de ne pas lire Libé et les Inrocks, voire de les lire sans adopter leur point de vue pourtant confondant de subtilité et de nuances, ces proclamations répétées d’hostilité à la France proférées par des Français sont inquiétantes, voire révoltantes. Si on ajoute à cela le syndrome « on nous cache tout », allez donc expliquer ensuite à ces crétins qui, comme leurs concitoyens d’origine étrangère, sont nés quelque part, que les sauvageons ne représentent pas plus la France issue de l’immigration que les électeurs du Front national ne représentent la France de souche. Allez leur dire, à ces braves gens qui finissent par l’être un peu moins, que la France est multiraciale parce qu’elle se fiche des races, multi-religieuse parce qu’elle est laïque, et multiculturelle parce qu’elle a une grande culture capable de s’enrichir de tous les apports sans se perdre. Allez donc porter la bonne parole dans ces quartiers populaires où les blancs votent Le Pen parce qu’ils en ont marre d’être traités de salauds.

À ce sujet, je ne résiste pas au plaisir de vous raconter le dialogue entre Eva Bettan, l’inaltérable Madame Cinéma à la voix de sucre de France Inter, et Bruno Dumont dont le dernier film, Hadewich, sort cette semaine. Madame Bettan juge ce film « maladroit », car il y est question d’une chrétienne qui épouse un musulman et devient islamiste. « Pourquoi ne pas avoir fait l’inverse, Bruno Dumont ? Pourquoi n’est-ce pas l’islam qui va vers la tolérance plutôt que la chrétienne qui va vers l’intégrisme ? » Jouez donc avec Eva, chers lecteurs. Réponse a : Dumont est islamophobe. Réponse b : Dumont est raciste. Réponse c : son scénario correspond plus à ce que vivent les vrais gens dans la vraie vie. Non, ne vous inquiétez pas, Dumont n’a pas dit ça, il s’en est sorti en invoquant Médée (je n’ai pas bien compris le rapport mais il doit exister).

Moi, j’ai honte quand des flics s’en prennent à mon concitoyen parce qu’il a une tête d’Arabe (et j’ai honte aussi quand ils s’en prennent à un Arabe non français parce qu’il a une tête d’Arabe). Et vous, chers confrères, vous n’avez jamais honte de ne pas voir ce qui crève les yeux ?
Martine Aubry trouve pour sa part que Sarkozy fait honte à la France « en voulant opposer identité nationale et immigration » (j’avais compris qu’il s’agissait plutôt de les réconcilier mais ça doit être une nouvelle attaque de mon virus sarkozyste). Sans doute veut-elle protéger son parti contre tout risque de victoire électorale. C’est son problème.

En attendant, cher Anyss, faites-moi une faveur comme disent les Anglais : continuez, malgré ce qui vous est arrivé, à être fier d’être français. Moi, je suis fière que vous le soyez. Et bonne chance : comme on dit chez moi, l’an prochain à l’ENA.

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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