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Les voeux pas très pieux de Jean-Louis Debré


Les voeux pas très pieux de Jean-Louis Debré

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Alors que la traditionnelle galette est un peu la dernière chance de s’empiffrer après les fêtes,  les « vœux » qui l’accompagnent sont habituellement l’occasion de faire le bilan. De constater que les temps sont durs mais que l’on n’a pas failli à la tâche, et que l’on essaiera de faire mieux la prochaine fois. C’est à cet exercice révélateur que s’est livré Jean-Louis Debré le 6 janvier dernier au Palais de l’Élysée, présentant les vœux du Conseil constitutionnel au chef de l’État et à sa « famille » (sic) – et confirmant, entre deux compliments convenus, que l’appétit vient en mangeant, et que les ambitions dudit Conseil n’ont jamais été aussi considérables.

De fait, le bilan s’avère impressionnant : 2013, note Jean-Louis Debré, fut « l’année la plus chargée » de l’histoire du Conseil, qui a rendu en un an près de 360 décisions – contre une vingtaine en moyenne durant ses premières décennies d’existence. 360, dont 22 au titre du contrôle a priori, qui consiste à examiner la constitutionnalité de la loi avant sa promulgation (le Conseil étant alors saisi par le Président de la république, les Présidents des deux assemblées, le Premier ministre, 60 députés ou 60 sénateurs) ;  et 74 au titre de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) introduite par la révision constitutionnelle de 2008, laquelle permet à un justiciable, à l’occasion d’un procès, de renvoyer au Conseil une loi applicable à l’espèce dont il estime qu’elle porte atteinte aux droits et aux libertés reconnus par la constitution. Deux procédures qui fonctionnent désormais de concert, l’opposition utilisant la première « avec une constance renouvelée », les justiciables et les avocats ayant compris que la seconde est devenue « le principal outil de protection des droits et libertés constitutionnellement garantis aux mains des citoyens ». Deux procédures qui font du Conseil le gardien par excellence du bon fonctionnement du système : celui qui veille sur  « notre pacte social et (…) les valeurs communes à tous », et dont le succès traduit « la confiance que placent en lui les divers responsables politiques comme l’ensemble des Français et des étrangers résidant en France. »

Mais c’est encore insuffisant. Et c’est ici que l’observateur, même s’il n’écoute que d’une oreille distraite, s’efforçant par ailleurs de finir sa part de galette sans émietter la pâte feuilletée sur sa cravate Hermès, commence à tiquer. Car ce que développe le Président du Conseil constitutionnel, c’est au fond une vision impérialiste de cette institution – même s’il répète qu’il ne s’agit pas pour elle de «  substituer son appréciation à celle du Parlement », et s’il rappelle que le Conseil a jugé «  à chaque fois (…) globalement conformes à la constitution » les «  importantes réformes » menées à bien en 2013 sous la houlette éclairée du Président Hollande.

Il y a deux ans, un commentateur aussi expert que mesuré de la jurisprudence constitutionnelle, le Professeur Guillaume Drago, constatait dans un article savant que le contrôle ainsi exercé s’apparente à une «  véritable réécriture de la loi sous la dictée du Conseil constitutionnel », avant de souligner que l’influence du Conseil sur le Parlement s’était considérablement accrue depuis la mise en œuvre de la QPC en 2010 : « Placés plus que jamais sous le regard de la Constitution, la loi et les législateurs doivent prendre en considération les exigences constitutionnelles, même si les parlementaires peuvent considérer que la question constitutionnelle ne se posera que plus tard, une fois la loi entrée en vigueur et contestée par une QPC devant un juge ordinaire, donc loin d’eux. »

En fait, cette influence du Conseil se traduit sur deux plans complémentaires. Elle se manifeste de façon immédiate sur un mode « répressif », lorsque celui-ci constate qu’une loi qui lui a été déférée n’est pas conforme à la constitution, ce qui le conduit à en empêcher la promulgation (article 62 alinéa 1er ) ou à en prononcer l’abrogation (article 62 alinéa 2). Mais son influence se manifeste aussi, de façon moins visible quoiqu’encore plus efficace, sur un mode préventif : le législateur, dûment chapitré par les « Sages » de la rue de Montpensier, étant en effet amené à une autocensure permanente consistant à intégrer jusque dans son subconscient le « surmoi constitutionnel » que représente la jurisprudence du Conseil, et le risque de sanction que s’attirerait à bon droit toute tentative de transgression. Censure juridique, mais au-delà, censure morale, le législateur se voyant rappeler en permanence que «  la volonté générale ne s’exprime que dans le respect de la constitution », que « le respect de la constitution n’est pas un risque, mais un devoir », et que toute atteinte à celle-ci, c’est-à-dire, à l’interprétation qu’en donne le Conseil, irait à l’encontre du «  pacte républicain » et de l’Etat de droit. Aller à l’encontre de ce que disent les Sages n’est pas simplement anticonstitutionnel, c’est mal.

Or, loin de s’interroger sur le sens et la légitimité d’un tel gonflement -et par exemple, sur sa compatibilité (objectivement problématique)  avec les principes de la démocratie -, Jean-Louis Debré appelle à renforcer encore l’hégémonie juridico-morale du Conseil, et n’hésite pas à fustiger un législateur accusé d’être allé à l’encontre de ses oracles : « à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois, des dispositions législatives ont été adoptées alors qu’elles contrevenaient directement à l’autorité de la chose jugée par le Conseil. Ce dernier n’a alors pu que les censurer une deuxième, ou plutôt j’espère, une dernière fois. (…) Cette situation est préoccupante. L’État de droit est fondé sur le respect de la règle de droit et des décisions de justice. Bien plus, pour le Conseil constitutionnel, l’article 62 de la Constitution dispose que l’autorité de ses décisions s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ».

En fait, ce qui est reproché au législateur, ce n’est pas de violer, au sens propre, l’autorité de la chose jugée, comme le prétend Jean-Louis Debré : c’est de n’avoir pas suffisamment intégré le « surmoi constitutionnel » précité. Bref, de demeurer indocile – par exemple, en ayant l’audace de faire figurer à nouveau dans la loi de finances pour 2014 des dispositions qui, dans celle de 2013, avaient déjà été censurées par le Conseil. De manifester, en somme, une indépendance désormais scandaleuse, car attentatoire à l’État de droit que le Conseil estime incarner.

D’où, la sainte colère de Jean-Louis Debré – et son coup de chapeau au Président Hollande, désireux d’avoir enfin « des dispositions législatives mieux préparées, plus cohérentes et désormais stables ». En ce qui concerne la stabilité, le Conseil constitutionnel pourra d’ailleurs proposer comme modèle son inénarrable jurisprudence du 17 mai 2013 relative au mariage pour tous. Quant à la cohérence, elle semble signifier que le législateur n’a plus à sortir des rails. Qu’il ne doit plus avoir l’insolence de reprendre une disposition déjà censurée par le Conseil – même pour voir si par hasard ce dernier n’aurait pas changé d’avis.

*Photo : CHESNOT/SIPA. 00650265_000003.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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