Suite du confinement berrichon de Thomas Morales. Le manque de « presse papier » se fait sentir physiquement
La chasse aux Parisiens a commencé sur le littoral. Triste pays où le ressentiment de classe se propage aussi vite que le Covid-19. Dans mon repli berrichon, à la lisière du Cher et de la Nièvre, à cheval entre Centre-Val de Loire et Bourgogne, on n’a pas ce genre de réflexes identitaires. On ne perd pas son sang-froid face à un « exode », la ligne de démarcation n’était pas si loin, au siècle dernier. Les ruraux ont de la mémoire et la France demeure indivisible dans leur cœur. Ils savent que derrière chaque Parisien d’adoption, se cache un provincial exilé, souvent par force et nécessité. Ici, on ne rejette pas ses fils et ses filles partis suivre des études supérieures à l’âge de dix-huit ans. Puis, y trouver un emploi intellectuel précaire à trois heures de cette campagne abandonnée des services publics. Alors quand ce Parisien aux racines argilo-calcaires retourne chez lui et y achète une maison pour se rapprocher de ses vieux parents, on ne le regarde pas comme un étranger, un pestiféré, un citoyen de seconde zone. Il n’est pas considéré, non plus, comme un cumulard. On est même plutôt fier de lui, même si sa réussite est factice.
Attestation de déplacement dérogatoire
Les ruraux sont moins cartésiens qu’on ne le pense, c’est pourquoi la poésie et les contes y germent plus qu’ailleurs. L’imaginaire est le corollaire au travail de la terre. Alors, ce matin, muni d’une dérogation dûment motivée, les contrôles de la gendarmerie ne s’effectuant pas ici dans l’hystérie urbaine, j’ai fait une brève halte à la Maison de la Presse. Un journaliste confiné a besoin de sa dose de papier. Sinon, il se meurt. Les tourniquets commencent à se vider, dois-je le reconnaître. Les quotidiens régionaux résistent, Journal du Centre, Berry Républicain et la mythique Voix du Sancerrois se serrent les coudes face au virus. La presse nationale a plus de mal. Une question me hante : viendrais-je à manquer d’imprimés ? J’ai le souvenir terrifiant d’un été où j’étais en manque de livres, j’avais sept-huit ans. Je me suis retrouvé, faute d’un approvisionnement régulier par ma grand-mère (sa Citroën 2CV de 1961 était en révision) à court de Roald Dahl et de Petit Nicolas. Je n’ai jamais été aussi mal. Tous les lecteurs connaissent ce sentiment-là, l’angoisse monte au fil des heures, on a besoin de notre ration. Les caractères d’imprimerie nous retiennent à la vie. À chacun, ses drogues. Ce matin, je ne cherchais pas l’actualité brute, j’aspirais à des informations plus légères quoique plombées. La Vie de l’Auto (LVA), hebdomadaire de référence du monde de la collection, pointait sa Une, avec, je l’avoue, un certain panache. Une belle gueule de vainqueur oldschool. Un joli pied-de-nez à tous ceux qui voulaient bannir l’auto et qui se rendent compte aujourd’hui de son utilité vitale. LVA fête cette semaine les 50 ans de la Citroën GS. Déjà, le sourire me revenait. Je revoyais Jean-Pierre Marielle dans « …Comme la Lune », film de Joël Séria de 1977, demander à son garagiste si son « suppositoire » était prêt. Ça mitraillait sec !
Un bon “Lui” ne se périme jamais
Je suis rentré fissa à la casa. Épuisé par les chaînes en continu et rationné en « papier neuf », j’ai ouvert mes cartons d’archives. À Paris, cette opération est impossible vu l’exiguïté des appartements. J’ai étalé sur le parquet des collections de magazines des années 70/80. Le « papier d’occasion » m’ouvrait son monde sous naphtaline. Aussi incroyable que cela puisse paraître, dans ces titres périmés, j’ai trouvé le moyen de m’informer et de m’évader. Par hygiène mentale, j’ai d’abord feuilleté une pile de Lui. Le numéro 255, vendu 13 francs, m’a redonné joie et confiance dans la Nation. Anaïs Jeanneret s’y exposait sans fausse pudeur, c’est-à-dire dans une nudité partageuse. Elle venait de tourner dans « Péril en la demeure » de Michel Deville. Avec elle, j’avais tout de suite moins peur.
Je méditais à cette phrase lâchée par Jacques Chaban-Delmas dans une interview exclusive : « Si le tout-Etat est inacceptable et finalement meurtrier, le sans-Etat est destructeur ». Tout me ramenait à l’actualité du moment. En parcourant le Vogue Hommes de septembre 1978, avec Roger Moore en couverture, je regrettais déjà le report de Roland-Garros à septembre prochain. Le magazine masculin y faisait un compte-rendu photographique. Dans les loges, on pouvait croiser, cette année-là, le gotha en polo Lacoste, les Monaco, les Clermont-Tonnerre, Philippe Junot, Marc Bohan, Louis Féraud, Jean Cacharel et le professeur Christian Barnard. En parlant d’hommes de cœur, un dossier était consacré aux play-boys d’antan. Gunter Sachs et Odile Rubirosa témoignaient. Régine avançait une explication à cette disparition : « la peur du ridicule les as tués ». Ce qui heureusement n’est pas le cas avec nos élites actuelles. Ils ne craignent rien. Ils sont immunisés. Tout était déjà étrange dans ces années 1970 comme l’atmosphère des derniers jours. Les publicités du mensuel 20 ans de 1972 annonçaient le chaos en marche. Un institut privé vantait une formation d’« Animatrices : un métier que bien des femmes paieraient pour faire. Et qui paye » et l’invention d’un pyjama-sauna censé faire maigrir en dormant, idéal en ces temps de confinement. Le numéro 49 de L’Echo des Savanes datant de 1987 usait d’un humour noir avec son glaçant : « Sida tu l’as ou tu l’as pas ? » En fin de magazine, une page avertissait que le Printemps de Bourges se déroulerait du 17 au 26 avril. La 44ème édition de cet événement musical vient d’être annulée ! Enfin, le Elle du 6 juillet 1981 indiquait en gros caractères : « La quarantaine épanouie ». Provocation éditoriale ? Non, il s’agissait de célébrer les 40 ans de l’actrice Monica Vitti. Ouf, je respirais.
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