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Les Verts, bonjour les dégâts !


Photo: Karim Amar.

C’est une chose entendue : les Verts sont « sympas ». Ils dénoncent toutes les cochonneries qu’on veut nous faire manger ou respirer à notre insu et luttent contre toutes les horreurs que le grand capital international fait subir à la planète. Ils font « de la politique autrement » et jurent qu’un « autre monde est possible ». Des gens aussi dévoués au bonheur de l’humanité ne sauraient mentir. Ce capital de sympathie soigneusement entretenu depuis trente ans, les écolos savent admirablement l’utiliser pour faire avancer leurs idées, au besoin en émettant des jugements définitifs truffés d’omissions, de contre-vérités voire de mensonges. C’est de bonne guerre, me direz-vous, les autres en font autant. Les Verts se comportent donc comme les autres partis et Cécile Duflot ou Jean-Vincent Placé n’ont rien à apprendre de l’art de la stratégie en politique. Ni de celui de la tambouille. La nouvelle génération de dirigeants d’EELV, c’est du moderne. Ils veulent le pouvoir et font tout ce qu’il faut pour l’obtenir.

Leur accord avec le PS en est une parfaite illustration. Les Verts avaient juré qu’ils ne renonceraient jamais à la sortie du nucléaire et à l’arrêt du chantier de Flamanville. Résultat : ils ont renoncé aux deux dans ce texte baroque. Eva Joly, assez naïve sur le coup, s’est pris le changement de vent en pleine figure. Nigaude, elle n’a pas compris assez vite que l’important, c’était l’accord électoral. Et c’est là que se situe la première info intéressante. Les écolos ont, en apparence, vendu leurs convictions pour un − beau − paquet de circonscriptions gagnables. Avec, en prime à la signature, un parachute doré pour la PDG du parti, investie dans le quartier de la boboïtude parisienne, où même un âne avec une pancarte socialiste se ferait élire, dixit un cadre parisien du PS (ânophobe sans doute.)

Le fait que les socialistes soient capables de signer d’une main légère un document dans lequel ils échangent des centrales nucléaires contre des sièges de député n’est en revanche pas une surprise. Dans le passé, le PS en a signé d’autres, des textes de cette eau. Ce qui ne l’a pas empêché de s’assoir confortablement dessus le moment venu. Espérons qu’Hollande aura la sagesse de faire de même cette fois encore.
Que des idéologues intransigeants soient ouverts à la négociation est plutôt une bonne nouvelle. Les gens convaincus de savoir mieux que tout le monde ce qui est bon pour l’humanité me fichent la trouille. On a connu dans l’histoire des précédents fâcheux.[access capability= »lire_inedits »]

L’ennui, c’est que cet accord, purement tactique des deux côtés, ouvre grandes les portes de l’Assemblée nationale aux Verts. Je m’interroge encore sur les raisons qui ont poussé les socialistes à se défaire d’une soixantaine de circonscriptions avant même le premier tour de la présidentielle et sans avoir obtenu quoi que ce soit en retour. S’ils croient que leurs « alliés » leur seront reconnaissants et soutiendront un éventuel gouvernement socialiste, ils se trompent dans les grandes largeurs. Les Verts n’ont en réalité renoncé à rien : ils demeurent arc-boutés sur leur objectif idéologique, hermétiques aux événements extérieurs, convaincus de détenir une vérité universelle et n’auront de cesse d’exiger la fermeture des sites nucléaires et de stigmatiser le « manque de courage » des socialistes en matière énergétique. Qu’ils soient devenus de grands pros de la politique politicienne au point de se montrer capables d’enfariner les socialistes (qui ne sont pas des perdreaux de l’année) est donc plutôt inquiétant. Car s’ils font désormais de la politique comme les autres, et négocient mieux que les autres, les Verts ne sont pas un parti comme les autres.

EELV est le dernier parti réellement idéologique de France, aux côtés des ancêtres d’extrême-gauche où un grand nombre de cadres verts a d’ailleurs fait ses classes. La défiance envers le monde moderne et le progrès scientifique qui caractérise la démarche des Verts, cette « idéologie de la peur », comme l’appelle Jean-Pierre Chevènement , s’est cristallisée dès l’origine sur un objectif majeur : éradiquer l’énergie nucléaire civile, érigée en symbole de tous les maux que l’homme coupable fait endurer à la planète innocente. L’accident de Fukushima a offert une formidable illustration de ce propos. « Regardez les conséquences de la folie de l’homme ! », disent-ils. Aussi légitime soit l’émotion, il n’est pas interdit de réfléchir la tête froide.
Fukushima est une catastrophe grave et aux effets durables. Il faudra un travail de fourmi durant au moins deux décennies pour regagner le territoire dans un rayon de 20 à 30 kilomètres atteint par un taux de radiation supérieur aux normes autorisées et envisager le retour des 80 000 personnes déplacées. Mais Fukushima n’est pas l’histoire de réacteurs qui, un matin, auraient décidé d’exploser sans que l’on puisse les en empêcher.

Ce n’est pas la technologie nucléaire en elle-même qui a causé l’accident, ce sont les manquements de structures humaines confrontées à un double cataclysme exceptionnel. Faillite d’abord de l’autorité de sûreté nucléaire japonaise, coupable de ne pas avoir prévu de protection suffisante contre le risque de raz-de-marée exceptionnel, malgré les alertes reçues sur le sujet. Faillite ensuite de l’administration japonaise, incapable de réagir dans l’urgence et de convoyer durant les deux premières journées les camions de pompiers qui auraient suffi à refroidir en continu les réacteurs privés de système de refroidissement.

Le risque zéro n’existe nulle part. Ni quand on traverse la rue, ni dans aucune industrie. Faut-il, à chaque accident, condamner toute activité humaine ? L’explosion en mer, un temps inexpliquée, du vol Rio-Paris du 1er juin 2009 a fait 228 victimes : Fukushima a fait 2 morts. Quel parti, quel gouvernement a appelé à l’interdiction de l’aviation civile ? Aucun, bien sûr. Alors, la bonne réponse, après Fukushima, est-elle de condamner à mort la technologie de l’atome ou d’étudier de manière plus approfondie encore les situations extrêmes que chaque centrale pourrait connaître afin de prévoir les réponses à y apporter? Les Verts refusent d’entrer dans ce débat. Aveuglés par leur idéologie, ils refusent l’idée d’améliorer la sûreté nucléaire des installations existantes. À leurs yeux, seule l’éradication du nucléaire est acceptable.
Ce nouveau Graal vert a pris dans la vie politique française la place de l’« avenir radieux » dont ont rêvé des générations de militants communistes il y a un demi-siècle. Le jargon vert est d’ailleurs souvent teinté de rouge, comme en témoignent ces lignes pêchées sur la page « programme 2012 » du site officiel d’EELV où on nous annonce « un nouveau modèle économique, écologique et social pour oser des mutations nécessaires et désirables, et bousculer les intérêts acquis liés au modèle productiviste ».

Les méthodes sont également très semblables. D’abord, réagir avec une extrême férocité à la moindre critique et dénoncer sans cesse mensonges et complots chez ses ennemis politiques. À ce jeu du « tous pourris, sauf nous », Cécile Duflot est aussi hargneuse que le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, en son temps. Qu’Henri Proglio se permette d’intervenir dans Le Parisien pour évoquer les conséquences pour la France d’un abandon du nucléaire et la patronne des Verts hurle à la démocratie qu’on assassine. Qualifié de « menteur » et de représentant d’un « lobby pro-nucléaire français » dont la stratégie ne peut évidemment être que d’« étouffer le débat et de mentir », le patron d’EDF est sommé de se taire. Même tarif pour le Président de la République d’ailleurs qui, écrit Cécile Duflot, « ment délibérément » et « affabule » dès qu’il se permet de l’ouvrir sur le nucléaire . Une telle virulence ne semble gêner personne quand elle émane des Verts. Merveilleuse indulgence. Que diraient les observateurs si Sarkozy, Hollande, Aubry, Copé ou Bayrou s’invectivaient sur le même ton, s’intimaient l’ordre de se taire en se traitant systématiquement de menteurs ? Quelles références brandirait-on si Marine Le Pen se permettait la même hargne ?

Une fois la critique karchérisée, on peut ensuite concentrer le tir sur l’objectif central et, au besoin, lui sacrifier tous les autres grands combats écologiques du moment. C’est le cas aujourd’hui avec la lutte contre le changement climatique. Alors que les négociateurs du monde entier transpirent à Durban pour accoucher du rejeton du protocole de Kyoto, ce sujet, étrangement, est sorti des écrans-radars des Verts ces derniers temps. Dans la version écolo de la théorie de l’ennemi principal, il faut sacrifier la planète au combat contre le Satan nucléaire. Lutter contre le réchauffement annoncé suppose de réduire les émissions de CO2 et, par conséquent, de privilégier les énergies sans CO2. En toute logique, cela devrait signifier écarter le fuel, le gaz et le charbon et développer la production de l’électricité à base d’hydraulique, des énergies renouvelables et bien sûr de nucléaire, la plus puissante de ces trois sources d’énergie. Logique, mais inconcevable pour les Verts. Et au diable la planète ! Il suffit d’affirmer tant et plus qu’on va s’en sortir avec les renouvelables et des économies d’énergie, taire le fait qu’on va brûler du gaz et du charbon à la place du nucléaire, annoncer des chiffres invraisemblables (plus c’est gros plus ça passe) et le tour est joué. À l’arrivée, on a un tissu de mensonges, mais l’important, c’est la lutte finale, camarade !

Pourtant, le discours des Verts sur le sujet n’est pas difficile à démonter. En France, les éoliennes ont en moyenne une puissance de 2 mégawatts et produisent de l’électricité 30% du temps au mieux. Une centrale nucléaire du parc français produit entre 800 et 1400 mégawatts selon le modèle (l’EPR en produira 1650 mégawatts) et fonctionne environ 85% du temps. Il faut donc construire entre 350 et 620 éoliennes pour produire uniquement le tiers de ce que produit une centrale nucléaire ! Et les deux tiers du temps où il n’y a ni vent ni soleil, il faut dare-dare faire tourner une usine au gaz (russe) ou au charbon (également russe) qui va cracher un CO2 aujourd’hui absent de la production d’électricité française. Je vous laisse calculer combien de dizaines de milliers d’éoliennes et de dizaines de centrales au gaz et au charbon il faudrait installer en France pour remplacer la production des 59 réacteurs français. Vous adorerez les murailles d’éoliennes dans les campagnes et au large des côtes françaises ainsi que les nuages de CO2 qui s’élèveront un peu partout dans le ciel ! En résumé, plus les écolos feront appliquer leur programme, plus la France produira de CO2. Cherchez l’erreur…

Quant à l’impact sur votre portefeuille, ce n’est pas le problème du Parti des bobos. Parce que cette politique lumineuse a un coût : 450 milliards d’investissements, rien que pour passer de 75% à 50% d’électricité nucléaire en France, somme qu’il faudra prendre d’une manière ou d’une autre dans la poche des Français. Résultat : votre facture augmentera de 40% à 50%. Pour mémoire, le prix du MW/h du nucléaire français est de 42 euros , alors que le gaz se situe entre 60 et 70 euros/MW/h, l’éolien terrestre à 90 euros/MW/h, l’éolien marin à 150 euros/MW/h et le solaire photovoltaïque à 250 euros/MW/h. Bref, ça va douiller…

Roués comme de vieux politiciens de la IVe, raides comme des communistes des années 1950-1960, les Verts ont, au bout du compte, un défaut bien plus grave et, à vrai dire, rédhibitoire à mes yeux : ils n’aiment pas la France. Non seulement je crois au progrès de la science, considère le nucléaire civil comme un bienfait pour notre pays, mais, en plus, je crois à la nation, territoire indépassable de la démocratie et j’aime passionnément mon pays. Voir le drapeau français flotter sur les Champs-Élysées le 14-Juillet me comble d’aise. Je vous l’accorde, mon cas est grave.

Que les Verts accusent la Nation de tous les maux européens du XXe siècle et confondent, pour le bien de leur raisonnement, la légitime aspiration nationale des peuples avec la dérive impérialiste de dirigeants mégalomanes, c’est leur droit. Les écolos ne sont pas les seuls, particulièrement à gauche, à ne voir dans notre histoire que des pages sombres et condamnables. Mais je crains que, de tous nos « dénationistes », ils soient les plus nocifs. Pour les Verts, c’est la France elle-même qui semble suspecte, cette « France qui pue » que dénonçait à la tribune de l’Assemblée nationale Noël Mamère au détour d’un de ces débats vains et désagréables que nous a imposés Sarkozy au milieu de son mandat. Ce pays, il faudrait promptement lui retirer son siège de membre permanent au Conseil de sécurité et le neutraliser par un fédéralisme européen qui permettra, objectif avoué d’Eva Joly, de transférer le maximum de pouvoir de décision à Bruxelles. La France que nous connaissons appartiendrait alors à l’Histoire.

Passons, pour finir, en mode cauchemar. Nous sommes au deuxième tour de la présidentielle. Dans leur sagesse, les Français ont retenu, à ma droite Marine Le Pen et, à ma gauche Eva Joly. Que choisir, qui éliminer ? Analysons froidement les deux branches de l’alternative. Laquelle de ces deux femmes politiques ferait le moins de mal à la France au cours de son quinquennat ? À ma droite, mis à part la sortie de la France de l’Union européenne et de l’euro – ce qui, je vous l’accorde, n’est pas rien − je vois difficilement les réformes fondamentales adoptées par Marine Le Pen qui seraient irréversibles après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement plus raisonnable cinq ans plus tard. Les barrières protectionnistes, l’aggravation des inégalités sociales, le rétablissement de la peine de mort et autres lois liberticides, aberrantes ou franchement scandaleuses, tout cela pourrait être annulé par une autre majorité et défait par de nouvelles lois. De l’autre côté de l’échiquier, nous aurions l’avènement d’une VIe République et d’un régime parlementaire, des abandons de souveraineté au profit de Bruxelles, le démantèlement de l’industrie nucléaire française, la réduction de notre armée, le démantèlement de notre dissuasion nucléaire. À part quelques sympathiques lois libertaires, je ne vois que des réformes structurelles lourdes, modifiant les fondements mêmes de notre pays. Des mesures sur lesquelles il serait ensuite très difficile sinon impossible de revenir.

Réveillons-nous. Tout ceci n’est qu’un mauvais cauchemar. Le vainqueur, en mai 2012, sera Nicolas Sarkozy ou François Hollande. Mais nos extrémistes de droite doivent s’y résigner : ils sont débordés sur leur gauche ! Parce qu’entre la peste blonde et le choléra vert, le danger fatal n’est pas forcément du côté que l’on croit.[/access]

 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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