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Les ventres de Paris

Huit adresses parisiennes indispensables


Les ventres de Paris
Sebastina et Nino Pinna, rue du Faubourg-Saint-Antoine © Emmanuel Tresmontant

Traiteur, boulanger, torréfacteur, fromager… Chacun possède ses « bonnes adresses », son fournisseur attitré, réputé dans son quartier, ou au-delà, pour la fraicheur de ses produits, pour leur qualité voire leur originalité. Dans ce domaine, la capitale n’est pas en reste. Petit tour de la ville pour remplir son assiette.


Il existe une géographie sentimentale de la ville qui ne peut s’exprimer que par la poésie, celle éprouvée, au quotidien, par celui qui y vit, et qui sait avoir été peu à peu « façonné » par elle.

Personnages singuliers

Paris, malgré toutes ses blessures, continue à nous inspirer des pensées, des sentiments, des tendresses. En marchant, nous accordons notre respiration à la sienne, nous sentons ses odeurs, nous captons ses lumières et la fatigue que nous ressentons se mue en joie : celle de découvrir un « terroir parisien » toujours existant, toujours renouvelé, plein de ressources et peuplé de personnages singuliers qui sont le sel de cette capitale.

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Ainsi vouons-nous, depuis toujours, une tendresse particulière à ces adresses vieillottes qui ne paient pas de mine, devant lesquelles on passe et qui ne font pas la une des gazettes. Elles ont pourtant traversé le temps ! Je songe à la Boulangerie-Pâtisserie Dupuis, créée en 1980, rue Cadet (dans le 9e arrondissement), dont la spécialité demeure la tarte Tatin. Tous les matins, Monsieur Dupuis pèle plusieurs kilos de pommes à la main. Sa tarte bien caramélisée est exquise réchauffée et servie avec une cuillère de crème fraîche. Je songe aussi à ce petit traiteur grec, Produits de Grèce, ouvert en 1978 rue Lagrange (5e) par les Crétois Dimitri et Fotini Kalantzakis qui furent les premiers à faire découvrir le tarama aux Parisiens… Chez eux, tout est fait maison dès cinq heures du matin (aubergines farcies, moussaka, gâteau moelleux traditionnel à l’orange et au yaourt). Leur cuisine n’est pas grasse et leurs produits sont tous délicieux, à l’image de l’huile d’olive de Crète (« c’est un cousin qui la fait »), ou du miel de thym et de la confiture de pétales de rose faite par des moines du Péloponnèse… Dans cet ancien fief des ébénistes et des menuisiers qu’est la rue du Faubourg-Saint-Antoine (11e), j’aime rendre visite, chaque dimanche, à un couple charmant, Sebastina et Nino Pinna, deux Sardes dont les gnocchis, les raviolis et les lasagnes maison sont toujours un régal. Créée en 1986, leur boutique, réputée dans tout le quartier, s’appelle Soboa (« la jeune fille » en patois sarde).

Le second plus ancien marché de Paris

À cent mètres de là, c’est toujours un bonheur que d’aller s’immerger dans le petit « village » d’Aligre. Né en 1618, ce marché (le plus ancien de Paris après celui des Enfants-Rouges) était alors situé hors de la capitale, face à l’abbaye Saint-Antoine-des-Champs (devenue l’hôpital Saint-Antoine). Il était tenu par les bouchers qui louaient le terrain aux religieuses. Peu à peu, il fut envahi par les marchands ambulants et les vendeurs de foin auprès de qui venaient s’approvisionner tous les propriétaires de chevaux de Paris. Accueillant toutes les classes sociales, Aligre se visite aujourd’hui comme un écomusée vivant (à l’image de sa célèbre Graineterie, la dernière de Paris, fondée en 1895), dont la singularité est de regrouper trois marchés en un : le découvert (destiné aux fruits et légumes), les puces et les fripes (où les « gens de peu » viennent se meubler et se vêtir pour pas cher) et le marché couvert (plus chic) inauguré en 1781 sous le nom de marché Beauvau. C’est là, sous sa charpente en bois, que s’est installé en août 2020 le torréfacteur irlandais Joseph Loughney. Ce Dublinois massif a appris l’art du « café de spécialité » en Australie avant de faire le tour du monde des meilleurs producteurs de café. Vêtu d’un tablier en cuir, il torréfie lui-même chaque jour ses somptueux crus du Honduras, d’Éthiopie et du Costa-Rica, dont il cherche à exprimer l’âme naturelle. Le dimanche matin, son échoppe bondée attire tous les artistes, écrivains et journalistes du faubourg Saint-Antoine, comme si le centre de gravité culturel de Paris était insensiblement passé ces dernières années du 6e au 11e arrondissement… Il y a dix ans, Paris passait encore pour être la capitale où le café était le plus médiocre ; aujourd’hui, on y compte des centaines de lieux où le café d’exception est honoré, à l’image de l’atelier de torréfaction de Joseph Loughney auquel il a donné le joli nom d’Early Bird.

La ville a été inventée pour répondre aux besoins du ventre, du cœur et de la tête, c’est pourquoi nous lui sommes soumis à la façon d’une ruche. Quand j’ai besoin d’un produit précis, ma boussole m’indique toujours une adresse infaillible. Ainsi, pour trouver le meilleur riz du monde, je vais à l’épicerie Nishikidôri, rue Villédo (près du Palais-Royal) : le riz japonais cultivé en terrasse est unique par sa pureté, son goût rond et sa délicatesse. Il faut le rincer plusieurs fois avant de le cuire à la vapeur sans sel. Le lendemain, on peut griller les restes à la poêle avec du beurre, de l’ail, du gingembre frais, des herbes, des champignons et du vinaigre de riz : un régal ! Si j’ai besoin d’olives noires de Sicile, croquantes et gorgées de jus, je vais rue Sainte-Marthe (10e) à La Tête dans les Olives, fondée par Cédric Casanova qui avait commencé sa carrière dans le cirque (encore un sacré loustic !). Si je veux offrir un beau bouquet de fleurs, je me rends chez Stanislas Draber, rue Racine, près de l’Odéon. Cet ancien parfumeur de chez Guerlain a ouvert sa boutique dans un atelier de sculpteur où il propose les plus belles fleurs de saison, cultivées en plein champ par des petits producteurs d’Île-de-France, coupées à la main le matin même. Des raretés pleines de parfums, alors que la plupart des fleurs, importées des Pays-Bas, ne sentent rien et ne suscitent aucune émotion.

Mais le plus beau de tous les commerces, c’est la fromagerie, qui n’existe qu’en France, et que l’on admire à l’égal d’une bijouterie de luxe. La Fromagerie Goncourt, rue Abel-Rabaud (11e) a été créée par le jeune Clément Brossault qui était contrôleur de gestion à la Société Générale avant d’être licencié à la suite de l’affaire Kerviel. Clément est alors parti à vélo du canal Saint-Martin faire le tour de France des producteurs de fromages (3 500 kilomètres !). Un an après, il a ouvert sa boutique. On est émerveillé par la pureté et la précision de ses fromages de saison au lait cru qu’il sait affiner avec douceur : je vous recommande notamment son bleu de Gex, son gaperon fermier d’Auvergne à l’ail et au persil, sa tomme de brebis d’estive du pic du Midi, et son soumaintrain de l’Yonne.

Et il y aurait encore tant d’adresses à donner…


Boulangerie-Pâtisserie Dupuis, 13, rue Cadet, 75009 Paris.

Produits de Grèce, 15, rue Lagrange, 75005 Paris.

Soboa, 187, rue du Faubourg Saint-Antoine, 75011 Paris.

Marché d’Aligre, place d’Aligre, 75012 Paris.

Nishikidôri, 6, rue Villédo, 75001 Paris.

La Tête dans les Olives, 2, rue Sainte-Marthe, 75010 Paris.

Stanislas Draber, 19, rue Racine, 75006 Paris.

La Fromagerie Goncourt, 1, rue Abel-Rabaud, 75011 Paris.

Février 2025 - #131

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste spécialisé dans le vin, la gastronomie, l'art de vivre, bref tout ce qui permet de mieux supporter notre passage ici-bas

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