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Les vacances de Monsieur Guaino


Les vacances de Monsieur Guaino

On pourrait appeler ça du journalisme d’inquisition. Mais heureusement, c’est une inquisition au petit pied dont le ridicule limite la capacité de nuisance. Il y a quelques années, pour être un grand journaliste, il fallait sortir des « affaires ». C’était souvent pénible et dégoûtant, mais il arrivait que les malheureux cloués au pilori médiatique eussent réellement commis des indélicatesses et confondu pour de bon les caisses de l’Etat avec celles de leur parti, voire avec leurs propres poches. Rivalisant pour épingler les plus puissants à leur tableau de chasse, les investigateurs prenaient des mines de conspirateurs pour aller déjeuner avec des juges ou des flics, mais au détour de leurs croisades pour le Bien, ils ont aussi révélé de vraies affaires d’Etat devenues impossible à camoufler sous le manteau de la raison du même nom.

Le nouveau feuilleton que nous offre le journalisme satirique, subversif et résistant donne la mesure de la décadence du métier. Désormais, pour faire trembler les tyrans qui nous oppriment, plus besoin de se casser la tête à remonter le cours de sombres transactions financières, ni même d’avoir la chance de se trouver à proximité quand ils lâchent une blague de fin de banquet. Non, il suffit de leur poser la question qui tue : « tu vas nous le dire, où t’as passé tes vacances ! ».

D’accord, ne mélangeons pas tout : l’escapade tunisienne de Madame Alliot-Marie était bel et bien une faute politique. Fillon en Egypte, c’était déjà beaucoup de bruit pour rien. Mais avec les vacances de monsieur Guaino, les Inrocks sombrent dans le grotesque, avec, en prime, une pointe de vraie dégueulasserie.

Je précise, pour ceux qui l’ignorent, qu’Henri Guaino est un ami. Enfin, un peu moins depuis que j’ai découvert qu’il a refilé ce scoop à la concurrence. Imaginez : la plume du président a passé ses vacances de Noël à Tripoli où il était reçu par son ami François Gouyette, ambassadeur de France en Lybie ! Il faudra d’ailleurs songer à dresser la liste des diplomates qui ont séjourné dans des pays non-démocratiques. Ennemis des peuples !

Donc, un journaliste frétillant appelle Guaino et, tel un flic qui braquerait sa lampe sur le visage d’un dur à cuire, le somme d’avouer. Au passage, il enregistre la conversation en loucedé : sans doute pense-t-il que ça lui donne le chic-espion. En tout cas, chapeau la déontologie ! Les propos de Guaino sont reproduits in extenso sur le site. Pour ceux qui n’auraient pas compris que les Inrocks jouent dans la cour des grands, le papier est annoncé à grands coups de trompette sous le titre affriolant « Le réveillon lybien d’Henri Guaino ». Du vrai SAS. « Et de trois ! », claironne le chapeau. Après MAM et Fillon, j’en tiens un autre chef ! Guaino chez Gouyette, ça, c’est du lourd !

Connaissant son caractère placide, je trouve surprenant et même un peu désolant que le « Conseiller spécial », tout en ironisant, ait répondu au journaliste au lieu de l’envoyer au diable. Peut-être s’est-il dit, dans un accès de sagesse, qu’il avait mieux à faire que nourrir une polémique idiote. Admettons qu’il a bien fait, même si j’attends avec impatience le jour où un politique osera remettre à sa place un de ces flics habillés en journaliste.

Si j’avais du temps à perdre, j’écrirais un livre sur les vacances des journalistes. Dites-donc, vous, vous n’étiez pas à Cuba, l’été dernier ? Ou au Vietnam ? Et votre week-end à Saint Petersbourg, vous n’avez pas honte, avec toutes les turpitudes de Poutine ? Pas bien propre tout ça. Sinon, pour ramener mes confrères à la raison, j’ai une petite idée : les obliger, chaque fois qu’un ministre ou un élu revient de vacances, à se farcir le récit détaillé avec séance de diapos.

Reste, tout de même, une petite raison de croire dans le journalisme de mon pays : la mayonnaise n’a pas vraiment pris. Certes, cette information de haute importance a donné lieu à deux dépêches avant d’être ânonnée par quelques confrères en mal de sensations. Mais je crois qu’il n’y aura pas d’affaire Guaino. Dommage pour les Inrocks qui voulaient se la jouer « Wahington Post façon Watergate » et n’ont réussi qu’à être le Canard Enchaîné du pauvre.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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