L’essence du progressisme, idéologie bourgeoise par excellence, c’est le snobisme.
Je suis tombé par hasard, ces derniers jours, sur la rediffusion par CNews du débat du 3 juillet entre Eric Zemmour et Raphaël Enthoven. Il était étonnant d’y constater à quel point l’universalisme affiché par Enthoven est, comme beaucoup de « valeurs » progressistes, une « valeur chrétienne devenue folle ».
En effet, l’universalisme chrétien ne ressemble en rien à sa copie progressiste. Ce n’est pas une « abstraction plaquée sur la réalité » mais, au contraire, une réalité concrète et enracinée, un concept que les philosophes de gauche ne peuvent pas comprendre. Par exemple, l’Église affirme comme principe premier celui de la destination universelle des biens. Mais elle affirme, juste après, pour fixer les choses, le droit à la propriété privée (qui n’est pas, d’ailleurs, un « droit à l’égoïsme », mais un autre principe universaliste, centré sur la protection, essentielle, des proches et des familles). Les deux principes s’équilibrent et cet équilibre est plein de sagesse. L’arbitrage, si tel est le cas, doit se faire en faveur du premier, qui est plus important (c’est pourquoi l’Église valide la réquisition ou l’expropriation), mais le deuxième garde toute sa valeur.
La terreur du déclassement
En réalité, Enthoven est universaliste parce qu’il est un snob, au sens littéral du terme[tooltips content= »Snob est une contraction du latin « sine nobilitate », sans titre nobiliaire. Il a été repris par les fils de nobles, dans les prestigieuses écoles anglaises, comme Eton ou Cambridge, pour mépriser les enfants de la bourgeoisie lorsque, révolution industrielle aidant, ces derniers avaient obtenu le droit d’y avoir accès. Il désigne quelqu’un qui cherche à se distinguer du commun des mortels. Cf « Snob », Wikipedia. »](1)[/tooltips]. On le comprend à travers une pénétrante remarque attribuée à Colbert : « Il existe une catégorie de gens qui n’ont qu’une envie, c’est de devenir riches, et qu’une crainte, c’est de devenir pauvres ». Et il ajoutait, amusé et intéressé : « Ce sont ceux-là qu’il faut taxer ». Il avait, avant l’heure, défini, à travers cette description de la bourgeoisie, ce qu’on appellerait plus tard la classe moyenne. Il avait compris qu’elle était la plus malléable des catégories sociales, car hantée par deux terreurs, celle de ne pas parvenir à donner corps à ses ambitions (ce à quoi on ne parvient jamais), et celle de la déchéance, celle de retomber dans la plèbe de ses ancêtres.
Pour cette raison, l’instrument indispensable, qui lui permet à la fois de se positionner et de se rassurer, est le statut. Tout ce que dit ou fait le bourgeois, et en particulier dans sa catégorie la plus élevée, doit être empreint de statut, un statut suffisamment différenciateur et affirmé pour pouvoir dire aux catégories supérieures, auxquelles il s’identifie par avance, « je suis comme vous (ou presque) », et aux inférieures, celles de sa propre classe et celles du peuple, dont il doit absolument se démarquer : « je ne serai jamais comme toi ».
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Ainsi, le fait de se déclarer comme pacifiste veut dire : « si la guerre éclate un jour, je n’en craindrai pas les effets (parce que je pourrai partir à l’étranger), toi oui ». Le fait de s’affirmer comme multiculturaliste veut dire : « je peux me permettre de mettre un genou à terre en hommage à Floyd parce que mon mode de vie, dans mes beaux quartiers, me protège des conséquences, pas toi ». En fait, la clef de lecture pour comprendre toute la pensée et les discours des intellectuels de gauche, c’est la terreur du déclassement. Le statut est pour eux une nécessité absolue, et le snobisme une seconde nature.
Le besoin de statut est, on a trop tendance à l’oublier, l’une des motivations les plus fortes qui soient. Bernard Arnaud l’a si bien compris que cette idée simple l’a hissé parmi les plus grandes fortunes du monde. Il a saisi que le succès phénoménal des grandes marques, vis-à-vis des nouvelles bourgeoisies planétaires en pleine expansion, n’était pas celui du luxe, mais du statut. À un certain moment, sur la route de la « réussite », lorsque le besoin de richesse est assouvi, le besoin de statut le remplace, et il est plus insatiable encore. Villas, voitures, voyages, vêtements, montres, titres, notoriété, amis, idées, expressions, c’est le statut qui positionne, bien plus que la fortune.
L’universalisme est une abstraction
L’universalisme des intellectuels de gauche est de cet ordre. Il est pour eux une façon de se démarquer, de se placer sur une « planète » abstraite où personne ne peut leur ressembler, sauf ceux qui sont construits au même moule et ont les mêmes ambitions. Attali, avec sa novlangue, est de la même veine. C’est pour ça que tant d’entre eux sont philosophes et pas historiens… Leur problème, c’est la réalité, parce que c’est là que sont les autres. Or l’expression : « comme les autres » leur donne des cauchemars…
Comme Enthoven (et comme Macron !), ils conçoivent aussi la République sans la France, sans la culture, sans les Français, et surtout sans le peuple. Ils tentent de croire à une nation abstraite. Ils veulent fabriquer une mayonnaise sans jaune d’œuf, parce qu’ils ne peuvent pas supporter qu’on leur dise qu’ils font partie du jaune. Évidemment, on peut mettre toute l’huile, celle de la « diversité », en particulier, et battre tout ce qu’on veut, ça ne marche pas… Ce serait bien qu’on le leur dise de temps en temps…
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