Le débat sur la retraite en cache un autre, bien plus explosif. Il est d’ailleurs probable qu’il n’aura pas lieu. C’est qu’il aboutirait à une conclusion embarrassante : il est temps d’en finir avec le pouvoir des enfants du « baby-boom ». Depuis plus d’un demi-siècle, la France vit au rythme de leurs préoccupations, de leurs caprices dans les années lyriques, de leurs intérêts depuis. Avec eux, on a écouté « Salut les copains » et Johnny, découvert l’amour libre et la jouissance sans entraves. Quand ils s’ennuyaient, c’était une affaire d’État. Pour s’amuser, ils ont prétendu changer le monde.
Puis, jeunesse se passant, ils ont trouvé du boulot sans la moindre difficulté. Ils ont découvert le sens du mot « chômage » trente ans plus tard, au moment où celui-ci s’est abattu sur leurs enfants. Jeunes, ils ont conquis la contraception ; pour leur maturité, l’industrie pharmaceutique leur a offert le Viagra. Pour ne pas être désagréables, nous ne poserons pas leur question fétiche : combien d’enfants africains aurait-on sauvés avec l’argent investi pour permettre aux baby-boomers de rester forever young ?
Les voilà aujourd’hui, en tout cas pour le gros des troupes, à quelques années de la retraite. Évidemment, on ne parle que de ça.
[access capability= »lire_inedits »]Dans les dernières décennies du XXe siècle, les jeunes entrant dans la vie active étaient plus nombreux que les personnes qui atteignaient l’âge de la retraite – on ne disait pas encore « seniors ». Alors que les derniers membres des « classes creuses » (nés avant 1943) cessent leur activité, le rapport entre actifs et inactifs est en train de s’inverser, en particulier en France, où le « baby-boom » a été particulièrement intense.
En finir avec la dictature des enfants du « baby-boom »
Moins d’actifs potentiels, plus d’inactifs réels : on a longtemps cru que cette formule allait au moins résoudre le lancinant problème du chômage. Le départ massif en retraite des parents aurait libéré des emplois pour les enfants et petits-enfants. En réalité, il n’en est rien, dès lors que les entreprises, tout comme l’administration, ne procèdent pas au remplacement systématique des départs en retraite et que, par surcroît, un nombre croissant de retraités sont déjà chômeurs depuis de longues années. À quoi il faut ajouter que ces retraités plus nombreux vivent plus longtemps, ce qui rend heureux leurs enfants et chagrine les cotisants – qui sont les mêmes mais, heureusement, ne le savent pas.
Ça va mieux pour les vieux, moins bien pour les jeunes
Le résultat est un déséquilibre croissant entre la génération qui arrive à la fin de sa vie professionnelle et celles qui suivent. La paupérisation de la jeunesse se lit dans les stratégies des familles qui pallient les carences de l’État et procèdent à un transfert de richesse entre les générations de plus en plus précoce. Depuis le début des années 1990, le nombre de parents qui aident leurs enfants après que ceux-ci ont quitté le domicile familial ne cesse de croître. Le montant des donations entre vivants dépasse celui des héritages − on profite de ses parents plus longtemps, mais de leurs économies plus tard. L’âge moyen auquel on hérite est passé de 42 ans en 1984 à 47 ans aujourd’hui.
En conséquence, cela fait trente ans qu’on observe une dégradation du sort des « jeunes adultes en phase d’insertion » – statut qui perdure désormais jusqu’à un âge où l’on était naguère confirmé : dévalorisation des diplômes, stagnation du salaire d’embauche, emplois rares et difficiles d’accès, multiplication des emplois précaires… inutile de s’étendre. Les nouvelles générations semblent décalées par rapport à leur âge, car tout leur arrive plus tard : l’indépendance, le travail, la carrière, l’achat d’un logement, les enfants et, on le sait désormais, la retraite. Et quand tout cela finit par arriver, c’est en modèle réduit. Petit à petit, c’est l’avenir même qui change de couleur : il n’a plus celle de l’espoir, mais de l’angoisse.
Après les Trente Glorieuses, voici les Trente Anxieuses
Après les Trente Glorieuses, voici les Trente Anxieuses, résumées en un constat : ça va mieux pour les vieux, moins bien pour les jeunes. En 1970, 35 % de Français de plus de 65 ans étaient considérés comme pauvres quand le taux de pauvreté général était de 19,1 %. En 2006, seulement 7,7 % de plus de 65 ans (contre 13,2 % de la population) vivent en dessous du seuil de pauvreté – oui, c’est trop, mais nous parlons du monde réel. Dans la même année, 18,9 % des jeunes de 18 à 24 ans étaient considérés comme pauvres, et il ne s’agissait pas seulement d’étudiants.
L’écart grandissant entre le salaire du parent et celui de son fils ou de sa fille (15 % en 1975, 35 % en 2000) démontre à quel point les uns ont bénéficié du plein emploi et de contrats protecteurs permettant une augmentation quasi automatique des salaires par ancienneté et avancement tandis que les autres doivent se frayer un chemin sur un marché difficile voire hostile, accepter des salaires bas à l’embauche qui, de plus, stagnent tout au long de carrières de plus en plus erratiques. Les fanatiques du « risque » – généralement pour les autres, comme ces hauts fonctionnaires qui dérégulent à tout-va protégés par un statut en béton – adorent, les millions de gens qui aspirent à vivre agréablement du fruit d’un travail raisonnablement intéressant un peu moins.
La démographie ne dit pas la démocratie
La France doit en finir avec les exigences démesurées de la « génération lyrique ». La démographie ne dit pas l’entièreté de la démographie. Être les plus nombreux ne suffit pas à être les plus légitimes. Les intérêts des plus de 60 ans ne sont pas nécessairement ceux de la société. Ils ont eu le privilège de vivre leur vie adulte dans un monde qui croyait au progrès illimité des forces productives et avait quelques raisons d’y croire. Ils ont le devoir de rendre un peu de ce qu’ils ont reçu au profit des plus jeunes qui sont aussi les plus pauvres.
Soyons clairs et vaguement prosaïques. La solution juste à l’équation des retraites, c’est de diminuer le montant des pensions des Français nés entre 1943 et 1960. Et lorsque les enfants moins chanceux des années 1960-1970 arriveront au terme de leur vie professionnelle, la justice commandera d’augmenter ce montant. L’ennui, c’est que le monde heureux du « one man one vote » est aussi celui du « combien de divisions ? ». Désormais, le premier parti est le parti des vieux. On peut craindre qu’ils préfèrent leur retraite à la justice. À moins, bien sûr, que la société des individus ne retrouve le sens de l’intérêt général.
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