« Notre intention n’est absolument pas de supprimer le latin et le grec. Plutôt au contraire d’en permettre l’accès au plus grand nombre ». Ainsi s’exprimait Florence Robine en avril 2015 sur France culture. A la tête de la toute puissante Direction générale de l’enseignement scolaire (retrouvez son portrait dans notre numéro en kiosque « Profs, ne lâchez rien! »), la numéro 2 du ministère s’était, un matin, empressée d’appeler la radio de service public pour rectifier les « contre-vérités » assénées par quelques professeurs de lettres classiques invités en studio et inquiets de la réforme du collège à venir.
Tentant de vendre aux enseignants un système à plusieurs étages, une sorte d’improbable « fusée » dans laquelle l’élève s’embarquerait pour une « sensibilisation » aux langues et cultures de l’antiquité pour finir par décrocher la lune de la version latine, c’est peu dire que Florence Robine n’avait guère convaincu les enseignants.
Professeur de lettres classiques à Meaux et très engagé dans la bataille pour les langues anciennes, Augustin d’Humières s’était alors permis de moucher la numéro 2 du ministère, non sans humour : « Il y a un personnage je crois dans la littérature tout à fait plaisant, qui s’apprête à partir pour un bal costumé et est un peu gêné parce qu’on vient de l’informer de la mort de son cousin, et il n’a pas envie de rater son bal et il dit « Il est mort ? Mais non, on exagère, on exagère ! ». Là on vient d’avoir le duc de Guermantes au téléphone ! ».
Un an plus tard, les dotations horaires globales sont tombées et donnent une idée un peu plus précise de l’état du malade. Difficile, en l’occurrence, de nous refaire le coup du Duc de Guermantes. Lassé des promesses de préservation et même de démocratisation des langues anciennes, Robert Delord, professeur de lettres classiques et président de l’association Arrête ton char a décidé de passer aux travaux pratiques en demandant à ses collègues des 7 000 collèges publics de lui envoyer le nombre d’heures de latin-grec pour la rentrée prochaine. En à peine quelques jours, les 357 collèges recensés ont déjà perdu plus de 50 000 heures de cours de latin-grec. L’association a ainsi pu réaliser une carte interactive de la promesse du « latin pour tous » et comptabiliser une baisse moyenne de 40% des heures hebdomadaires de latin. Les collèges qui proposaient en moyenne 10 heures de cours de latin n’en proposeront tout au plus que 6.
Et Robert Delord assure que les chiffres qu’il reçoit quotidiennement vont tous dans le même sens. Rapporté aux 93% des collèges qui proposent l’option « Langues et cultures de l’Antiquité » (LCA), l’association estime que ce sont ainsi près de 950 000 heures de latin qui seront perdues, l’équivalent temps plein d’environ 1 500 postes d’enseignants. Une comptabilité qui ne tient pas compte des Enseignements pratiques interdisciplinaires LCA puisque, dans les faits, ils peuvent être assurés par des professeurs de n’importe quelle matière.
L’association précise, par ailleurs, que « dans beaucoup de collèges, le nombre de groupes de latinistes existants sera divisé par deux, réduisant ainsi le nombre d’élèves pouvant accéder à l’étude du latin et du grec et empêchant un certain nombre d’élèves ayant débuté leur étude en 5ème cette année de la poursuivre jusqu’à la 3ème ».
Dans toutes les académies, il est ainsi possible se faire une idée précise de l’étendue des dégâts en termes d’heures perdues, de suppressions de postes, de cours supprimés ou non assurés par des professeurs de lettres classiques. Un bricolage qui relève parfois du tragi-comique comme au Collège Pierre-Gilles de Gennes de Frignicourt dans la Marne : « L’EPI est intégré dans une séquence sur la chevalerie (« Héros et héroïsmes »). Il n’y aura que deux textes antiques en traduction, car les collègues de Lettres modernes ne se sentent pas à l’aise avec le latin, et encore moins avec le grec. Il ne s’agit donc plus véritablement d’un EPI « Langues et cultures de l’Antiquité »… Le professeur de Lettres classiques a perdu des heures et n’est pas du tout certain de participer à cet EPI. Il est cependant chargé de le préparer ».
Et le pire est à venir, puisque comme le précise encore Arrête ton char « il s’agit d’une situation extrêmement précaire, puisque rien ne garantit que les dotations horaires seront identiques dans les années à venir ».
Autant dire que la carte du « latin pour tous » de Najat Valaud Belkacem s’annonce déjà comme celle des territoires perdus des langues anciennes. Avant le grand désert. On exagère ?
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