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Les Syriens peuvent-ils espérer de meilleurs lendemains?

Damas, ton univers impitoyable…


Les Syriens peuvent-ils espérer de meilleurs lendemains?
Damas, 10 décembre 2024 © Omar Sanadiki/AP/SIPA

Mohammad al-Bachir, un ingénieur en génie électrique originaire d’Idlib, a été désigné « Premier ministre du gouvernement de transition » en Syrie, chargé de conduire une transition politique sous l’égide du groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS). La chute du régime de Bachar al-Assad marque la fin d’une ère, avec l’effondrement du panarabisme et la débâcle des alliés de la Syrie d’hier, Russie et Iran, qui subissent de lourdes pertes géostratégiques.


Après 53 ans de règne sans partage sur la nation syrienne, la famille al-Assad n’est plus maîtresse de ce territoire qui fut après l’effondrement de l’empire ottoman soumise au mandat français. Fuyant son peuple, le dictateur déchu s’est envolé vers Moscou en famille non sans penser à s’emparer d’une partie de sa fortune estimée à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Lâche, ce dernier n’a pas eu un seul mot pour les Syriens et les Syriennes de toutes confessions, pas même pour ses partisans ou la communauté alaouite qu’il a abandonnée. Pas une excuse. Pas une explication. Bachar al-Assad n’aura toutefois pas réussi à emporter tous les secrets d’un régime qui n’en finit plus de dévoiler sa nature barbare au fil de l’avancée des différents groupes rebelles. Un scénario qui évoquera celui d’Un Château l’Autre de Céline aux plus littéraires…

Cas le plus emblématique, la prise de la prison de Saydnaya rappellera l’ouverture d’autres atrocités restées dans les mémoires ; goulags soviétiques, charniers yougoslaves ou encore camps de la mort cambodgiens. Les images qui nous parviennent sont choquantes, terrifiantes. Si nous avons autrefois pu penser que face au diabolique abîme  qu’incarnait l’Etat islamique, le régime baasiste pouvait être un « mal nécessaire », nous aurions tort aujourd’hui d’afficher une triste mine à l’évocation de la libération syrienne. Il serait indécent de dire à la place de ce peuple qu’il n’a même pas le droit d’essayer de rêver en des jours meilleurs. Il serait encore plus indécent de leur cracher au visage que la chute de la famille Assad ne peut annoncer que « pire » et que tout ça serait au fond un peu la faute de l’Occident.

De ce maelstrom de conflits ethnoreligieux millénaires ne naîtra pas en un jour une démocratie libérale sur le modèle occidental. Personne de sensé ne saurait dire le contraire. Il faudra encore beaucoup de travail pour que la Syrie devienne un Etat fonctionnel, si tant est d’ailleurs qu’elle conserve son unité et ne soit pas atomisée comme a pu l’être la Yougoslavie – ce qui fut, avec le recul, positif dans l’ensemble pour les différentes nations qui la composaient. Il est possible que le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Sham dirigé par le charismatique chef Joulani puisse progressivement chercher à instaurer une théocratie pensée autour de la majorité sunnite et discriminatoire pour les minorités. Mais il faut pourtant essayer collectivement de faire en sorte que la Syrie s’en sorte par le haut. Elle a déjà traversé tant d’épreuves et de souffrances que nous ne pouvons pas prendre à la légère ce qui s’y passe, si déterminant par ailleurs pour l’équilibre global de la région et même du monde.

Des grands perdants

Tout d’abord le parti Baas, mais aussi l’idée qu’il défendait. Le panarabisme terceriste n’est plus. C’est une idée morte au Moyen-Orient, qui n’existe en réalité plus vraiment nulle part. Même dans les bastions loyalistes, parfois grecs orthodoxes comme à Mahardah ou assyriens comme à Qamishli, les foules étaient dans la rue pour manifester leur joie. On sait bien qu’il s’agit aussi là de faire rapidement allégeance aux nouveaux maîtres, comme l’a fait la propre belle-sœur d’Assad, mais tout n’était pas feint dans ces scènes de liesse populaire. 

De quoi faire dire ironiquement au twitto Restitutor Orientis : « J’observe avec fascination le revirement des soutiens au régime de Bachar al-Assad (Russie, Iran, Algérie, SSNP, Manal al-Assad, etc.). Il ne serait pas surprenant de voir bientôt Bachar al-Assad lui-même se proclamer partisan de la révolution syrienne et se présenter comme son plus grand révolutionnaire. » Le régime algérien, qui a le don pour choisir les mauvais chevaux sans néanmoins trop s’engager, fut d’ailleurs assez symptomatique du genre en retournant sa veste en quelques jours à peine…

Les deux autres grands perdants sont la Russie et l’Iran. Ces deux grandes puissances ont été humiliées en Syrie par l’offensive expresse des ennemis d’Assad. Le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte n’y a pas été par quatre chemins : « La Russie et l’Iran étaient les principaux soutiens du régime Assad et ils partagent la responsabilité des crimes commis à l’encontre du peuple syrien » La Russie apparait comme la grande perdante. Son accès aux mers chaudes est directement menacé et ce n’est peut-être qu’une question de jours avant que la Turquie ne bloque le Bosphore et les Dardanelles à la marine de Poutine. Une perte sèche qui n’affectera pas seulement le prestige de Moscou mais aussi ses capacités de projection vers l’Afrique que ses mercenaires occupent.

L’idéologue Douguine ne s’y est pas trompé, multipliant des tweets furieux : « Il existe de nombreux liens entre la Russie et la Turquie. Son comportement est clairement en faveur d’Israël et des mondialistes. C’est triste. La Russie n’est pas aussi faible que l’Occident veut le faire croire. Je pense que c’était une erreur de calcul de la part d’Erdogan. » Cet homme, souvent présenté à tort comme un grand intellectuel russe, étonne par sa naïveté. N’a-t-il jamais étudié la Guerre de Crimée qui fut déclenchée pour les mêmes raisons et perdu par la Russie ? Nous y avons d’ailleurs participé aux côtés des Anglais, les rues et boulevards Sebastopol et Malakoff en étant le souvenir… Autre chose, ne s’est-il jamais demandé pourquoi la Turquie avait été intégrée à l’OTAN ? Au-delà de la question grecque, la Turquie a toujours servi de gardien des portes de la Méditerranée face à l’URSS et désormais à la Fédération de Russie.

S’il est évident que la Russie essaiera de négocier la conservation de ses bases militaires et maritimes, notamment celles de Tartous et de Hmeimim, rien ne dit que ses génuflexions opportunistes devant le nouveau régime en gestation seront suffisantes. Tartous est incontournable pour la marine russe qui en a besoin pour naviguer en Méditerranée sans devoir se ravitailler dans les ports de la mer Noire. Elle peut accueillir jusqu’à quatre bâtiments de taille moyenne, et près de 2 000 militaires seraient stationnés sur place. La base aérienne de Hmeimim compte toujours une quinzaine d’avions, des gros porteurs qui permettent le ravitaillement des sociétés militaires privées postsoviétiques au Mali, en Centrafrique ou au Burkina.

Notons par ailleurs que Donald Trump a pris la parole sur le sujet, au lendemain de sa visite à Notre-Dame et à Paris, où il a rencontré pour la première fois Volodymyr Zelynksy. Il s’est adressé à la Russie sur un ton très dur : « Assad est parti. Il a fui. Son protecteur, la Russie, la Russie, la Russie, n’était plus intéressé. Il n’y avait d’ailleurs aucune raison pour que la Russie se trouve là. » Nous serons d’accord sur ce point mais aussi sur l’idée qu’Obama, en dealant l’accord sur le nucléaire iranien, a prolongé l’existence du dictateur et donc de la terrible guerre civile qui a propagé le monstre takfiro-djihadiste de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda.

L’autre grand perdant est évidemment l’Iran. Géant régional amoindri, subissant revers sur revers depuis le 7-Octobre. Le régime des mollahs, menacé par des oppositions internes de sa société civile, voit tous ses partenaires se faire taper dessus. Le Hamas et le Hezbollah sont plus diminués que jamais par les opérations israéliennes.

Les gagnants – peut-être provisoires…  

Evidemment l’opposition syrienne et singulièrement l’HTS de Joulani qui tenait le réduit d’Iblid. Pour le moment, ce groupe islamiste réussit à naviguer correctement devant les caméras. On sent le travail de lissage des communicants qataris… La méfiance est néanmoins plus que de rigueur face à un groupe qui, bien que n’appartenant plus à Al-Qaïda, reste animé par une idéologie guère tendre une fois qu’elle détient les clés du pouvoir. Il semble vouloir dans un premier temps récupérer une partie des cadres techniques de l’ancien régime afin d’assurer une « transition pacifique et inclusive » telle que demandée par la Turquie et Israël. Abou Mohammed al-Joulani a même rencontré l’ancien Premier ministre assadien Mohamed al-Jalali.

C’est Mohammad al-Bachir qui a annoncé ce mardi avoir été nommé « Premier ministre du gouvernement de transition ».  Originaire d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie, Mohammad al-Bachir né en 1983 est un ingénieur de formation qui a obtenu son diplôme en génie électrique à l’Université d’Alep en 2007 et aurait travaillé pour la Syrian Gas Company. Une tâche qu’il assumera théoriquement jusqu’au premier mars. Il faut bien comprendre que l’ONU considérait encore il y a quelques jours l’HTS comme une organisation terroriste, ainsi que l’a confirmé Geir Pedersen, le nouvel envoyé spécial de l’organisation. S’il a voulu se montrer positif, à l’image des dirigeants européens et américains, le scepticisme reste largement de mise pour le diplomate :

« Comme vous le savez, la résolution 2254 du Conseil de sécurité considère HTS comme une organisation terroriste. Mais nous devons regarder les faits. Et les faits, c’est que HTS – et les autres groupes armés – ont envoyé des messages positifs aux Syriens. Et très sincèrement, nous l’avons aussi constaté sur le terrain. Si la transition est vraiment inclusive et intègre toutes les communautés, alors il y a une vraie possibilité de voir une nouvelle Syrie. Et dans ce cas, je pense que la communauté internationale pourra réévaluer si HTS est une organisation terroriste ou pas (…) et envisager la levée des sanctions ».

Des carottes qui pourraient s’avérer insuffisantes. Mais les grandes puissances ont appris de leurs erreurs. Les gagnants israéliens et turcs n’ont aucun intérêt à voir s’établir un califat hostile ou ne répondant pas aux standards élémentaires du droit humanitaire à leurs frontières. Les autres acteurs syriens, qu’ils soient soutenus par la Turquie, Kurdes, ou de l’opposition démocratique, non plus. C’est d’ailleurs en partie pour cela que Tsahal a tiré quelques salves préventives, sans oublier de réoccuper le Golan, qui est un territoire syrien depuis 1974. Si cela en reste là, ce peut être bénéfique. Mais Israël n’a pas non plus intérêt, ni nous encore moins, à aller plus loin dans un premier temps. La même question se pose pour la Turquie qui fort de son nouveau statut doit néanmoins composer et rester prudente, d’autant plus que les Américains ont les Kurdes pour alliés. L’armée américaine a d’ailleurs bombardé 75 points d’intérêt des reliquats de l’Etat islamique…

Dernier pays potentiellement gagnant de la nouvelle donne : le Liban. On l’oublie, les Assad étant à tort présentés comme des « protecteurs » sans faille des chrétiens de la région, mais ce sont eux qui ont tué Bachir Gemayel. Sans cet encombrant voisin et débarrassé d’une grande partie de la branche armée du Hezbollah, le Liban pourrait enfin se reconstruire. La France y veillera.

Un dernier mot en conclusion sur deux gains annexes importants. La Russie est entrée aussi en Syrie pour bloquer la construction du gazoduc qatari à destination de l’Europe. La partie reliant Homs à la Turquie n’a jamais été achevée. Total est partie prenante. Nous pourrons enfin le faire, ce qui va réduire encore la dépendance au gaz russe et aura une incidence positive sur les tarifs. Enfin, le départ d’Assad a permis aux pays européens et à la Turquie d’annoncer le rapatriement des réfugiés syriens qui avaient fui le régime mais aussi l’arrêt du traitement des nouveaux dossiers. La France a annoncé qu’elle suivrait l’Allemagne et l’Autriche. Les leçons de 2015 ont été apprises.



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Gabriel Robin est journaliste rédacteur en chef des pages société de L'Incorrect et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019). Il a été collaborateur politique

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