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Les statistiques, une chance pour la France ?


Les statistiques, une chance pour la France ?

insee immigration guilluy

En 2008, 3,7 millions d’étrangers et 5,3 millions d’immigrés ont été recensés en France, selon une étude publiée le 10 octobre par l’Insee. Ce rapport fait ressortir qu’environ 6,7 millions de personnes sont issues d’une famille dont au moins un des parents est immigré[1. Suivant la nomenclature statistique officielle, est dit « immigré » « une personne née étrangère dans un pays étranger, résidant en France » et « descendant d’immigré » « une personne née et résidant en France, ayant au moins un parent immigré ».]. Ce vaste ouvrage socio-démographique  souligne en outre que les descendants d’immigrés se trouvent dans une « situation intermédiaire » : ils vivent mieux que leurs parents mais moins bien que les Français de souche et souffriraient fréquemment de discriminations.

Il y a maintes façons d’apprécier ces chiffres. Un premier constat s’impose : qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en afflige, l’immigration massive existe.[access capability= »lire_inedits »] La gauche morale, représentée par le sociologue Michel Wieviorka, chante les louanges d’une immigration heureuse dans le meilleur des mondes globalisés possible. Sa sensibilité lacrymale lui fera verser quelques larmes sur les inévitables discriminations à l’embauche ou au logement dont sont victimes les enfants d’immigrés, figures idéales du martyr prolétarisé, à l’image de la Marianne colorée symbole de la Fête de l’Huma. À droite, on versera des larmes de crocodile sur les « petits Blancs » qui se font chiper leur pain au chocolat par des racailles enturbannées et on déplorera l’échec de la sacro-sainte « intégration » devant des foules de militants UMP aussi attachés à la maîtrise de l’immigration qu’à l’ouverture des frontières.

Hypocrisie, j’écris ton nom ! La gauche post-socialiste a beau jeu de célébrer d’un même élan « diversité » et « métissage » − deux concepts antithétiques, puisque, comme l’a démontré Pierre-André Taguieff, le métissage généralisé engendre l’uniformité − en se constituant un beau réservoir de voix dans les banlieues. La droite post-nationale, si elle tranche apparemment avec l’aveuglement irénique des degauche, se bornera à dénoncer les manifestations les plus superficielles de l’immigration : affaires de voile, islamisation, développement des commerces halal, sans s’attaquer à ses causes structurelles : une mondialisation sans frontières. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont eu beau promettre de diviser le nombre d’arrivants par deux pendant la dernière campagne présidentielle, cela ne mangeait pas de pain. Mis à part notre excellent confrère Tefy Andriamanana, qui a osé écrire que, sous le quinquennat Sarkozy, le solde migratoire était de 75% supérieur à celui des années Jospin ?

De nos jours, les flux migratoires sont majoritairement d’origine familiale et ne se limitent donc pas à la dynamique centripète capitaliste de l’« armée de réserve » : révolu le temps où Bouygues vantait les mérites du travailleur maghrébin bon marché, corvéable et taillable à merci, afin de contourner les revendications sociales des ouvriers français. Aujourd’hui, ce sont les vils employeurs des sans-papiers et autres travailleurs au black, français ou immigrés, qui font « suer le burnous », phénomène dont les statistiques officielles n’ont cure.

Revenons à nos moutons. Puisque la majorité des  recensés provient d’une « immigration d’auto-engendrement », ainsi que le relève Michèle Tribalat dans un essai fort bien informé[3. Les Yeux grands fermés : l’immigration en France, Paris, Denoël, mars 2010.], l’immigration est désormais synonyme d’implantation quasi définitive. Y compris lorsque les « mariages mixtes » s’avèrent être la plupart du temps des unions endogames entre un conjoint naturalisé ou fils d’immigré et sa promise arrachée à sa terre natale (voir page xxx). Et qui dit implantation dit insertion économique. C’est là où le bât blesse, dixit l’Insee. Les fils d’immigrés subiraient d’insupportables discriminations, bien davantage que leurs parents qui se sont pourtant saignés aux quatre veines pour élever leur progéniture dans les meilleures conditions possibles et lui offrir un avenir plus radieux.

La discrimination, mythe ou réalité ? Contrairement à ce qu’objectait Thomas Legrand à notre chère Élisabeth Lévy sur le plateau de Philippe Labro[2. « Langues de bois s’abstenir », présenté par Philippe Labro sur D8, émission du 10/10/2012.], les discriminations sont aussi bien partagées que le racisme − contre lequel nul n’est immunisé, fût-il juif, Noir ou borgne, voire les trois à la fois comme feu Sammy Davis Jr. ! Grâce à Christophe Guilluy, on sait désormais qu’un habitant de Verdun bénéficie d’un tissu associatif − et du réseau d’aides diverses qui va avec − cent fois inférieur à celui d’un banlieusard lambda. N’est-ce pas discriminant ? Comme l’a presque chanté Dominique Grange, « on expulse (Kevin) » mais « Mohamed (ne) se dresse » pas ! Les nouveaux partisans, francs-tireurs de la guerre ethnique encouragée par l’idéologie diversitaire, doivent dorénavant montrer patte blanche devant les instances étatiques qui confondent « pauvreté » avec « banlieues ». Une injustice ne rattrapant pas l’autre, le deux poids-deux mesures officiel n’excuse en rien les discriminations anti- (fils d’) immigrés, il en relativise le poids. En République laïque, chacun sa croix : Marianne veille sur tous !

Un dernier élément devrait semer le trouble dans la classe politique : 97% des descendants d’immigrés se sentent français, mais déplorent néanmoins le regard peu amène des desouche, accusés de leur renvoyer leur altérité en pleine face. Qu’en déduire : que le racisme se combat à la racine, qu’il faut (ré)éduquer les masses, leur inculquer de sains principes dès le plus jeune âge, les sensibiliser aux heures-les-plus sombres, etc, etc. ? Sortons de cette vulgate. Au risque de paraître désespérément pessimiste, sinon carrément catastrophiste, nous pensons que le « cauchemar immigré » n’a pas de solution. L’expression n’est pas de Jean-Marie Le Pen, mais du debordien Mezioud Ouldamer, auteur d’un remarquable livre éponyme[4. Le Cauchemar immigré dans la décomposition de la France, Lebovici, 1986.]. Entre autres thèses fatalistes, il y soutient que l’immigré n’est pas plus « une chance pour la France » que la cause de son déclin. L’immigration massive achève de décomposer une France déjà vérolée par les bulldozers de l’industrialisation et de l’urbanisation, la globalisation gommant de surcroît toutes les aspérités communautaires non convertibles en marchandises. Et la France sclérosée achève de détruire les derniers reliquats d’une culture arabe, africaine ou asiatique réduite à l’état de folklore pour citoyens-du-monde en mal d’exotisme, voire de réservoir identitaire pour apprentis djihadistes prêchant l’United Colors of Islam. L’inversion des flux migratoires, ce vieux fantasme de l’extrême droite, n’est pas plus de ce monde que le paradis multi-ethnique et métissé vendu par les pubards d’Euro RSCG, du Medef ou du Front de Gauche. Tant économique et social qu’identitaire, le malaise contemporain dépasse de loin l’« insécurité culturelle » si brillamment théorisée par Christophe Guilluy. Mais ne comptez pas sur l’Insee pour vous l’avouer…[/access]

*Photo : Eric Parker (marché de Barbès, Paris).

Novembre 2012 . N°53

Article extrait du Magazine Causeur



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