Championne en dépenses publiques, la France est aussi le pays européen où les services publics fonctionnent le plus mal. En cause, une sur-administration digne des Soviets.
On avait déjà vu d’anciens pays colonisés laisser se déliter les infrastructures et les services publics hérités de leurs colonisateurs repentants. La France offre aujourd’hui le spectacle unique d’une nation qui démantèle avec application ses installations électriques, ses voies ferrées, ses routes départementales, bref tout le patrimoine légué par les générations précédentes. Tout en ayant les dépenses publiques les plus élevées du monde et une dette qui plombe l’avenir de sa progéniture. Sidérant.
Jusqu’à une période récente, notre pays avait la réputation de disposer d’infrastructures performantes, symbolisées par des entreprises publiques telles que la SNCF ou EDF. L’État français avait su planifier pour elles des investissements conséquents – centrales nucléaires, lignes à grande vitesse, entre autres. À cela s’ajoutait une fonction publique compétente en charge des services du même nom – fonctionnaires parfois certes occupés à « emmerder les Français », au grand dam du président Pompidou, lucide, mais dans des proportions rétrospectivement enviables.
Miroir inversé de l’Hexagone et des grandes puissances industrielles occidentales, les pays du tiers-monde disposaient quant à eux d’infrastructures défaillantes ou inexistantes. Les administrations, mal réparties sur le territoire, accueillaient le public dans des locaux insalubres où s’affairaient des bureaucrates inefficaces et souvent corrompus.
À la corruption près (mais ça viendra), ce sombre tableau auquel on aimait compatir devient peu à peu la réalité des services publics que-le-monde-entier-nous-envie. Sur ce dernier point toutefois, le doute s’instille lentement, même si la vive indifférence des foules face à la tiers-mondisation en marche le dispute à l’apathie de dirigeants atones.
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Le programme commun de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1974, quelle que soit leur couleur politique affichée, peut se résumer assez simplement : plus d’Europe, plus de dépenses publiques, plus de dettes. Résultat de cette infaillible potion, on ne sait pas si nous aurons de l’électricité à Noël, on nous annonce une probable diminution de la vitesse des trains, il faut trois mois pour espérer refaire une carte d’identité… Et à Coulommiers, en 2017, des habitants ont lancé une cagnotte en ligne pour financer la réfection du commissariat dont le bâtiment menace ruine. Le délabrement des locaux de la police a d’ailleurs donné lieu à un rapport confidentiel en 2022, et il était gratiné, pas plus toutefois que ceux qui pointent le sous-investissement dans le rail, les prisons ou le réseau électrique.
Mauvaise nouvelle pour les poulets Columériens mal-logés, les effectifs augmentent ! Car après quelques années de vaches maigres, le recrutement de gendarmes et de policiers est reparti à la hausse (97 000 pandores ou condés en 2021 contre 93 000 en 2022). Plus généralement, les moyens alloués à la sécurité en France demeurent comparables à ceux de nos voisins allemands – 1,7 % du PIB des deux côtés du Rhin. Faute d’investissement suffisant, le matériel – locaux, véhicules, informatique – est déplorable, mais avec 3,3 agents pour 100 000 habitants, nous restons dans les normes européennes. Problème, cette hausse des effectifs se traduit sur le terrain, par… une baisse – oui une baisse – du taux de présence des forces de l’ordre. « L’organisation du travail, malgré les réformes récentes, reste inadaptée », constatait en 2021 la Cour des comptes, grand amateur d’euphémismes dès qu’il convient de désigner un bordel sans nom.
Cette inefficacité chronique ne concerne malheureusement pas que les forces de sécurité. Elle s’applique à l’ensemble des services publics. Affligés d’une sous-productivité soviétique, tous disposent pourtant de ressources budgétaires généreuses, voire hollywoodiennes, en regard des pratiques de nos voisins européens.
Tous, sauf la justice française – des tribunaux aux prisons –, véritable parent pauvre du régalien. Un budget de 70 euros par habitant, contre 131 euros en Allemagne, est ainsi alloué à l’autorité judiciaire – Cosette peine Place Vendôme, tandis que les Thénardier festoient à Bercy. Les maux de la justice ressemblent au demeurant à une mauvaise blague. Le champion du monde des impôts et de la dépense publique devrait être doté de prisons Sofitel, desquelles des policiers en Jaguar (aux sièges en cuir Connolly) conduiraient les inculpés vers des tribunaux décorés par Philippe Starck. Las, si l’État français entend nous protéger du Covid, de l’inflation, du froid en hiver, de la chaleur en été, il refuse obstinément de nous protéger tout court. L’argent part donc ailleurs : malgré une hausse récente de plus de 30 % du budget de la Place Vendôme, la France pointe toujours à la 13e place parmi 15 pays européens comparables. Encore ces derniers n’ont-ils pas à subir les conséquences d’un « afflux de personnes en détention » comme l’évoque pudiquement un site web officiel[1] – en clair, d’une insécurité galopante.
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71 678 détenus pour 60 703 places de prison dans des établissements souvent insalubres, à l’image de celui de Fresnes. Cela donne des conditions de détention dignes du Nigeria, une surpopulation de 40 % dans les maisons d’arrêt et des condamnations de notre pays par l’Europe. Des arguments humanistes imparables pour ceux qui affichent leur hostilité à tout investissement dans des structures carcérales. 15 000 places supplémentaires ont néanmoins été programmées en 2021 et 2022, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elles seront effectivement construites. Sarkozy nous a déjà fait le coup.
Contre vents et marées, pourtant, la justice passe et le taux d’élucidation des affaires qui arrivent jusqu’à elle soutient la comparaison avec nos homologues. Seulement, son incompréhensible sous-dotation chronique se traduit par une lenteur de gastéropode. Selon le Sénat, il faut ainsi en moyenne quarante et un mois et demi pour obtenir une décision au pénal. Outre le nombre de magistrats (10,9 pour 100 000 habitants, deux fois moins que la moyenne européenne), l’escargot judiciaire souffre d’un manque de greffiers, autrement dit (ne pouffez pas) de personnel administratif. Une situation vraiment ubuesque au regard de celle de l’hôpital, de l’Éducation nationale, d’un conseil régional ou d’une quelconque communauté de communes qui croulent, eux, sous les inutiles ronds-de-cuir.
On nous vante jusqu’à plus soif le courage des soignants, sans trop s’attarder sur les 11 % d’administratifs et au total les 34 % de « non-soignants » qui traînent la savate dans les hôpitaux – soit 40 % de plus qu’en Allemagne, Espagne ou Italie (un gouffre). On trouverait là pourtant une explication à la honteuse sous-rémunération des infirmières. Les 11,5 % du PIB que nous consacrons à l’hôpital, soit un peu plus que les 11,3 % allemands, nous permettent de salarier du personnel administratif en pagaille, mais – conséquence directe et indicible – pas de payer les infirmières décemment. Nous sommes le seul des grands pays européens où le salaire de celles-ci est inférieur aux rémunérations moyennes tous secteurs confondus. Ajoutez à cela une organisation inefficace (encore), illustrée par les 20 % d’examens inutiles pratiqués en France. Voilà pourquoi, en dépensant toujours plus que les autres, nous obtenons avec constance une baisse de la qualité des services.
Même constat du côté de l’éducation. Nous consacrons 3,4 % de notre PIB à ce poste essentiel, soit 15 % de plus que la moyenne européenne. Avec les brillants résultats que l’on sait – une chute libre dans les palmarès internationaux : en lecture ou en maths, nous sommes passés en vingt ans des 13e et 15e places aux 23e et 25e du classement PISA. Là aussi, lovés dans les plis du gras du mammouth, on dénombre 28 % de personnel « non enseignant » – 293 000 sur 1 162 000 fonctionnaires –, catégorie en hausse de 33 % en dix ans (quand on aime les bureaucrates, la CGT exige toutefois qu’on ne les compte pas). La sous-rémunération chronique de nos professeurs, à l’instar de celle des infirmières, se trouve indexée sur le nombre de manches de lustrine qui roupillent dans les rectorats. On note également qu’en Allemagne les enseignants, mieux payés, assument de nombreuses tâches administratives. Lorsqu’on est plus productif, on gagne plus. Incroyable.
Les corporatismes syndiqués applaudissent évidemment à l’idée d’améliorer les traitements des infirmiers ou des profs. En revanche, c’est comme si vous leur parliez inuit dès qu’il s’agit de s’attaquer aux administratifs. Loin d’imaginer les virer, il conviendrait de les augmenter eux aussi selon FO et consorts. Ils sont uniquement prêts à voir enfler des budgets pourtant amplement suffisants, jamais à faire la moindre concession sur des économies à réallouer aux soignants ou aux enseignants. Une impasse suicidaire que les Français plébiscitent, au demeurant, essentiellement par ignorance des données précises du pachyderme bureaucratique. Si leurs services publics fonctionnent mal, ce n’est pas faute d’argent – d’ailleurs ils n’ont pratiquement rien donné pour le commissariat de Coulommiers, estimant à raison payer suffisamment d’impôts. Non, c’est parce qu’une caste de salopards entend les faire tourner à leur profit, quoi qu’il en coûte. La tiers-mondisation à laquelle on assiste, ces fourbes en sont largement responsables. Ils la déplorent avec des larmes de crocodile pour continuer à tendre une sébile en forme de tonneau des Danaïdes. C’est un peu comme si Marc Dutroux faisait la quête pour améliorer le sort de ses prisonnières.
Cette inefficacité bureaucratique paraît pourtant être devenue l’article premier du contrat social français. Il n’est remis en cause par aucun membre important de la classe politique. Non content de donner toujours plus d’argent à ce qui ne fonctionne pas, on en arrive à démanteler ce qui fonctionnait parfaitement, comme le sort d’EDF et de Fessenheim vient de le démontrer. Complice tantôt actif, tantôt passif de cette faillite, aucun gouvernement n’a su s’attaquer à la soviétisation des services publics en cours. Le discours qui accompagne ce sabordage repose sur des post-vérités qui confèrent aux élucubrations trumpistes un parfum de Lao Tseu : à l’école, le niveau monte ; le système de santé français est le meilleur du monde ; les retraites sont financées ; l’immigration est une chance ; le grand remplacement n’existe pas mais, dixit Macron, il convient qu’il soit équitablement réparti sur le territoire. À côté de ces mensonges éhontés, Bolsonaro, c’est le Dalaï-lama.
Gouvernants et bureaucrates partagent en effet une conviction commune : l’« idéologie diversitaire », chère à Mathieu Bock-Coté. Des indicateurs multiples permettent pourtant de démontrer que les mouvements migratoires enregistrés depuis des décennies pèsent en priorité sur nos services publics. Au choix, pour s’en convaincre, une visite à la CAF, dans un bureau de poste, dans une maternelle de Seine-Saint-Denis et bien sûr aux urgences d’un CHU. Un détour par les tribunaux, un crochet au parloir d’une prison via la ligne 13 du métro ou un témoignage (visage flouté) de policier fera tout aussi bien l’affaire. Difficile pour autant d’avoir des chiffres précis – le Sénat soulignait d’ailleurs le peu d’allant de nos ministères à compiler des statistiques sur le sujet –, tout juste arrive-t-on à savoir que 44 % des immigrés (officiels) se trouvent au chômage ou que les musulmans sont surreprésentés dans les prisons. Ronds-de-cuir et ministres s’acharnent donc à laisser entrer une population qui épuise les moyens des services publics, tout en refusant mordicus des réallocations budgétaires entre opérationnels (médecins, professeurs, etc.) et personnel administratif surnuméraire. Pour parachever la démolition en cours, l’idée que faire venir des pans entiers du tiers-monde, c’est importer également la tiers-mondisation n’a visiblement effleuré personne, sauf des nostalgiques du IIIe Reich.
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Ce surmoi idéologique favorable aux maux qu’on déplore – la déglingue des services publics – relève d’un subtil dosage entre hypocrisie et bêtise crasse. Ce corpus intellectuel débilitant conduit gouvernants et syndicats de la fonction publique à s’accorder sur une politique sacrifiant le long terme. Pour acheter la paix civile, distribution d’allocations en tout genre, recrutement de fonctionnaires inutiles, le tout au prix de dépenses sociales 55 % (vous avez bien lu) supérieures à la moyenne de l’OCDE et d’un sous-investissement chronique (il manque par exemple 30 % à l’enveloppe débloquée pour le réseau ferré français).
Comme dans une longue, très longue, trop longue telenovela, nous sommes désormais confrontés à deux lancinantes questions. Les Français vont-ils continuer longtemps à faire confiance aux cadors qu’ils réélisent depuis quarante ans, tenants du triptyque létal – centralisme bureaucratique, déficits, immigration ? Les tartuffes au pouvoir peuvent-ils changer et sauver les services publics ? Épisode 147 – saison 38.
La France se meurt doucement du double déni qui l’accable. Celui de ses élites, aveugles aux dégâts sur ses infrastructures (et son identité) causés par une immigration incontrôlée et une bureaucratie démente. Celui de son peuple, drogué aux dépenses publiques, inconscient des conséquences du court-termisme qu’il a toujours électoralement plébiscité – et que Marine Le Pen, elle aussi, entend prolonger, voire étendre. Un beau tandem de vainqueurs qui devrait, enfin, obtenir ce qu’il mérite : le chaos ou la mise sous tutelle du FMI.
[1]. « Système pénitentiaire français : s’inspirer des expériences étrangères », vie-publique.fr, 2 août 2022.