Alors que le film « Les SEGPA » avait déjà suscité une controverse en 2022, c’est le comportement de certains spectateurs de sa suite, « Les SEGPA au ski », qui pose aujourd’hui question.
Suite à une web-série lancée sur YouTube en 2016, un premier long-métrage des frères Boughéraba (intitulé sobrement « Les SEGPA ») était déjà sorti en 2022, mettant en scène les aventures censées être comiques d’une bande de copains scolarisés en SEGPA. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les acronymes de l’Éducation nationale, les SEGPA sont les Sections d’Enseignement Général et Professionnel Adapté, et elles accueillent des élèves en grandes difficultés, dans des classes spécifiques, au collège.
Nouveau phénomène comique ou stigmatisation ?
En 2022, l’enseignant en SEGPA Rachid Zerrouki déplorait ainsi la stigmatisation de ses élèves assimilés, selon lui, à des « abrutis » par le premier film[1]. Il craignait en outre que certains parents, échaudés par cette caricature, ne renoncent à orienter leur enfant en échec scolaire dans une structure d’enseignement pourtant adaptée à leurs difficultés.
A lire aussi: Maria Pacome: sur un fil…
Effectivement, un esprit chagrin aurait pu trouver confirmation des pires stéréotypes racistes dans « Les SEGPA », qui ridiculisait des personnages issus de l’immigration maghrébine et subsaharienne en les décrivant comme des cancres et des attardés, encore scolarisés au collège à l’approche de la trentaine ! Issus également de l’immigration, les réalisateurs ont toutefois bénéficié d’un totem d’immunité. On imagine cependant le tollé si le film avait été l’œuvre d’un cinéaste d’origine européenne : « un film zemmourien ! », «la discrimination s’affiche sur grand écran !», « le retour des théories eugéniques nazies !» auraient peut-être titré les médias progressistes.
Éloge de la mixité ou d’une mixité?
Depuis le 27 décembre 2023, c’est le second volet, « Les SEGPA au ski », qui est projeté sur nos écrans, toujours réalisé par Ali et Hakim Boughéraba. On y retrouve la même dizaine d’acteurs rigolos (nous n’irons pas jusqu’à parler de dix génies artistiques), pour incarner les héros qui, cette fois, partent donc au ski.
Il n’est pas question ici de faire une critique du film, cependant, on peut lui reprocher des concessions peut-être trop appuyées au politiquement correct woke. Ainsi, les joyeux cancres vacanciers se trouvent confrontés à des (méchants) identitaires de souche, dont on se demande ce qu’ils viennent faire dans l’intrigue, une intrigue qui développe par ailleurs une romance entre Claire, jeune femme d’origine européenne (interprétée par Emma Smet, la fille de David Hallyday et du mannequin Estelle Lefébure) et Ichem, jeune homme d’origine maghrébine (interprété par Ichem Boughéraba, frère des réalisateurs). On peut interpréter cette sous-intrigue comme un éloge de la mixité. Mais pourquoi ladite mixité ne serait-elle promue que dans un seul sens ? Pourquoi seulement Claire et Ichem et, pourquoi pas, par exemple, Fatima et Jérôme, ou bien Fatima et Mamadou, ou encore Fatima et David ? Cela pourrait-il froisser un certain public masculin, patriarcal et peu ouvert à l’altérité ? Quand elle est sélective, comme l’antiracisme hémiplégique, la mixité n’est pas un combat crédible. On y croira donc totalement, quand dans le troisième volet de la franchise, intitulé « Les SEGPA à l’église » ou « Les SEGPA à la synagogue », on suivra la romance d’un couple mixte constitué d’une jeune fille d’origine arabo-musulmane associée à un jeune homme d’origine française et de culture chrétienne, ou bien à un Africain noir, ou encore à un garçon Juif…
« Les SEGPA au ski», héritiers des « Sous-doués » et des « Bronzés » ?
Dans « Les SEGPA au ski », les héros préparent le baccalauréat (comme dans « Les Sous-doués » de Claude Zidi) et ils partent en vacances à la montagne (comme dans « Les Bronzés font du ski » de Patrice Leconte) : les citations et les références sont assumées et on ne peut que se réjouir quand des réalisateurs issus de la diversité revendiquent une filiation avec des œuvres devenues des classiques du film comique hexagonal. En effet, s’approprier la culture du pays d’accueil pour la perpétuer et la renouveler est le meilleur moyen de s’intégrer pour les immigrés et leurs descendants. Les frères Boughéraba ont d’ailleurs rendu un bel hommage à la troupe du Splendid, la citant comme source d’inspiration et la qualifiant de « patrimoine » français[2].
A lire aussi: Patrice Leconte : cadreur supérieur
On pouvait donc légitimement s’attendre à un sympathique film d’humour potache et à une ambiance détendue dans les salles pour ce qui semblait s’annoncer comme un divertissement à regarder en famille.
Le vrai spectacle est dans la salle !
Or, les séances ont donné lieu à ce que les médias qualifient pudiquement de « débordements » ou « d’incivilités ». Liste non exhaustive : hurlements, jets de pop-corn et de boisson, intrusion sans ticket d’entrée (sans doute des supporters anglais, dirait Darmanin) à Blagnac ; insultes et bagarre à Saint Etienne ; altercations, insultes et vol à Montpellier ; crachats et dégradations à Mont-de-Marsan[3]. Les vidéos prises par ceux-là mêmes qui se livraient au chahut (pourquoi ne pas s’exhiber quand l’impunité est garantie?), puis diffusées et massivement regardées sur les réseaux sociaux, ont engendré une émulation négative qui a propagé le phénomène. En conséquence, des séances ont été suspendues, les forces de l’ordre ont dû intervenir à plusieurs reprises pour faire évacuer les salles, et le film a parfois été déprogrammé, une déprogrammation causée, donc, par… les propres fans dudit film !
Après l’interruption de la séance, on imagine les spectateurs des « SEGPA au ski », sans doute amateurs de fast-food, ravager un McDonald’s et le contraindre à la fermeture, rentrant ensuite à leur domicile le ventre aussi vide que le cerveau…
Les acteurs du film recadrent leurs spectateurs
Ichem Boughéraba, héros du film, remet les choses en perspective dans une intervention où il pointe du doigt les parents démissionnaires qui n’apprennent pas les bonnes manières à leur progéniture[4].
Je nuancerais toutefois le point de vue de Ichem Boughéraba en évoquant plutôt l’idée d’une éducation à géométrie variable, variable selon le contexte et le lieu : ainsi, il n’est pas certain que les parents d’un « jeune », qui le laissent impunément se livrer à des violences dans un cinéma, à l’école ou dans la rue, l’autorisent également à se déchaîner au domicile familial ou à l’intérieur, par exemple, d’un édifice consacré. De même, là où les médias sont tétanisés à l’idée d’esquisser une sociologie des trublions qui perturbent les séances, un autre acteur du film, Hamza Bensahnoune, s’adresse sans détours « à la population issue de l’immigration » et, tout particulièrement, « aux enfants de cette population » qu’il désigne clairement comme responsables. Diable, ce ne seraient pas les célèbres Kevin et Mattéo les coupables ! En attendant les réactions indignées des élus LFI à cette analyse, le citoyen soucieux de s’informer regardera les vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux pour vérifier si l’analyse de M. Bensahnoune est exacte ou erronée.
A lire aussi, Pierre Jourde: Le savoir qu’on achève
Dans leurs interventions respectives, les deux acteurs dressent donc le même constat : l’attitude des jeunes qui sèment le désordre dans les salles de cinéma relève d’un défaut d’éducation qui doit être corrigé, au besoin avec une bonne gifle. Ils brisent ensemble un tabou de la société française : celui de la sanction pour les délinquants juvéniles. Je les laisse bien entendu responsables de leurs propos et de la solution qu’ils proposent, mais il est probable qu’avec Messieurs Boughéraba et Bensahnoune aux postes de Ministre de l’Intérieur et de Ministre de la Culture, le problème du chahut et des dégradations dans les salles de cinéma serait réglé dans la journée.
Les cons, ça ose tout…
« Il y a des cons qui gâchent tout » conclut Hamza Bensahnoune, paraphrasant ainsi la fameuse réplique écrite par Audiard et prononcée par Lino Ventura dans « Les tontons flingueurs » de Georges Lautner : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ! ». On ne peut qu’acquiescer à cette réflexion : il faut indiscutablement être stupide pour générer un chahut et des violences qui aboutissent à l’interruption d’une séance de cinéma qu’on a préalablement payée ! Cela relève du même comportement que celui des émeutiers de l’été dernier qui vandalisaient les écoles, les médiathèques et les équipements urbains de leurs propres quartiers.
Bien sûr, on ne souhaite pas au film des « SEGPA au ski » de se planter (de bâton), dusse-t-il nous faire regretter « Les Bronzés font du ski » ; mais, peut-être faut-il envisager que, finalement, ce film attire les spectateurs qu’il mérite. Quant aux « Sous-doués », cela fait bien longtemps qu’ils ont quitté l’écran. Ils sont désormais dans la salle.
[1] « Les Segpa » : pourquoi le prochain film co-produit par Cyril Hanouna fait bondir un enseignant de Marseille (francetvinfo.fr)
[2] Les Segpa 2, une suite inspirée des Bronzés font du ski ? – AlloCiné (allocine.fr)
[3] ”C’était l’anarchie”, “la police a débarqué”… Pourquoi plusieurs débordements ont eu lieu dans des cinémas lors de la sortie du film “Les Segpa au ski” ? – ladepeche.fr
Montpellier : des incidents pendant la projection d’un film, les CRS interviennent (actu.fr)
[4] « Il y a des cons qui gâchent tout » : la colère d’un acteur des « Segpa » après des débordements dans les cinémas (francetvinfo.fr)
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !