Un salaud au « Gland Journal »
MERCREDI 30 OCTOBRE, 19h30.
Ad augusta per angusta ! En ma qualité de signataire de la « Putition », j’ai pour la première fois les honneurs du « Grand Journal ».
Par bonheur, grâce à mon statut de chroniqueur télé à Valeurs actuelles, je connais un peu le principe de l’émission. Avant de badiner avec des artistes en promo, en première partie on cause sociétal avec des invités reçus, selon les cas, en tant que témoins ou suspects. Moi je suis prévenu, dans les deux sens du terme : on m’attend avec un flinguot.
Sur le plateau, l’ambiance est plus détendue depuis qu’on y a remplacé, en tant que maître des cérémonies, le mandarin Denisot par l’éternel potache de Caunes, avec ses bonnes blagues, ses pots de peinture et ses salades sur la tête.
Mais à part lui, le petit tribunal du « Grand Journal » m’examine d’emblée d’un oeil sévère. L’affaire semble grave, et je sens que je vais prendre pour mes 342 co-inculpés (Bedos n’a pas encore calanché).
Ici, si on t’invite en tant que « méchant », ce n’est pas pour te donner la parole : c’est pour te harceler, si possible jusqu’à l’hallali.[access capability= »lire_inedits »] En face de toi, trois procureurs de papier qui se sont habilement réparti les rôles. Chacun son angle d’attaque, et dès que tu commences à répondre au premier, tous les autres te tombent dessus.
Objectif : te faire perdre les pédales ou mieux, péter un fusible. Résultat : c’est déjà fini avant que tu aies pu aligner deux phrases. Le public retiendra que t’es chiant et que, décidément, ta cause est indéfendable. Ces intervieweurs-là ne respectent même pas les règles de l’Inquisition[1. Fixées dès le xiiie siècle par le dominicain Bernard Gui, dans son excellent Manuel de l’Inquisiteur (Les Belles Lettres, 2006 pour la dernière édition).]. Peu de gens le savent, mais les droits de la défense y étaient si bien garantis que même notre justice civile s’en est inspirée par la suite.
Rien de tel avec nos nouveaux inquisiteurs défroqués : s’ils te passent à la « question » c’est pour mieux t’empêcher de répondre, mon enfant. La seule façon de s’en tirer, dans ces circonstances, c’est de « s’en foutre un peu », comme le recommandait mon regretté prof de philo. Assez, en tout cas, pour interrompre les interrupteurs à coups de reparties imprévues, brouillant ainsi leur plan de bataille. « Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? » Qu’il s’en foutût ! Plus facile à dire qu’à faire, certes, surtout quand on fréquente rarement ce genre d’arène ; par chance, ce jour-là, je suis en forme ! Le matin même est tombée la décision d’expulsion qui nous pendait au nez. Non pas depuis vingt-sept ans que je cache la SARL Jalons dans mon piano, comme de vains médias pensent. Plutôt depuis neuf mois que Delanoë a décidé d’offrir la tête de Barjot sur un plateau au bon peuple du Marais.
Bref, j’ai passé la journée à répondre aux questions pointues d’une trentaine de journalistes, sur un jugement qu’ils n’avaient visiblement pas lu. En bonne déontologie, ils s’étaient contentés d’une dépêche AFP et de la force de leurs préjugés.
Alors ce soir-là, ce n’est pas trois ou quatre chroniqueurs de plus, même réunis en juridiction d’exception, qui vont m’angoisser. D’autant que le sujet est quand même plus marrant : les salauds et les putes !
Je reviens quand vous voulez !
MERCREDI 30 OCTOBRE, 21 heures.
Tout s’est passé au mieux, finalement ! De retour chez moi, je visionne l’enregistrement : il est conforme à mes souvenirs, encore frais il est vrai. D’emblée, Aphatie m’interpelle sur l’« esclavage sexuel », comme si ça avait un rapport avec la choucroute.
Et tandis que je réponds, il ne cesse d’ajouter des questions subsidiaires… Mais pas question de céder : c’est dès le début qu’il faut marquer son territoire, sinon t’es mort !
Alors je parle au-dessus de Jean-Michel, dans une aimable cacophonie, jusqu’à ce qu’il renonce le premier, et pour cause : je n’ai rien à perdre et lui, à la longue, il finit par avoir l’air con. Victoire, donc ! J’ai pu résumer nos positions hardies en matière de sexe tarifé : la liberté pour tous, putes et clients, mais aussi une répression efficace du trafic d’êtres humains.
Ouf ! Dans le temps qui m’est imparti, si je n’avais pas balancé au moins ça, c’était même pas la peine de faire le déplacement.
Maintenant, on va pouvoir plaisanter… Ça tombe bien, une certaine Hélène Jouan croit pouvoir ironiser : « Ah bon, vous voulez protéger les prostituées ? On n’avait pas compris ça du tout dans votre Manifeste… » – Vous êtes allée jusqu’à la page 2 ? L’exercice m’amuse, plus qu’elle apparemment. Mais c’est déjà au tour d’Augustin Trapenard, l’intello de service, de sortir son petit réquisitoire. Pour lui, le « vrai problème » de ce Manifeste, ce n’est pas son contenu (sic). C’est la référence blasphématoire aux « 343 salopes » de jadis, qui « elles, avaient pris des risques ». Allons donc ! T’imagines Pompidou prenant celui d’embastiller d’un coup Beauvoir, Deneuve, Sagan, Duras et les autres ? En tout cas, poursuit l’homme de lettres, chez nous autres les salauds « y’ a aucun courage » : on n’ose même pas dire si on va aux putes !
– « Est-ce que vous êtes client ? », enchaîne de Caunes, non sans à-propos.
– J’économise !
Cerise sur le gâteau, même la miss Météo locale, impertinente par contrat, s’y met. Ses services lui ont préparé à mon intention un bon gag, dont malheureusement personne n’entendra la chute : – « Je constate quand même, Basile, que si vous avez manifesté contre le “ mariage pour tous” »… – Excuse-moi de te demander pardon, mais pendant que Barjot défilait avec ses glands, moi j’ai fait une manif qui revendiquait « le mariage pour personne » ! La pauvre, c’était pas dans ses fiches… Et puis, comment aurait-elle pu deviner ? Un mari bien dressé, ça suit sa femme, non ?
D’ailleurs, pour prouver que je n’en veux pas à Dora, je vais vous le dire, son bon gag que j’ai un peu salopé sur le moment : « Vous étiez contre le mariage pour tous, mais vous êtes pour les putes pour chacun ! » Y’a pas à dire : le sens de la formule, c’est inné.
Bref, un fameux souvenir que cette invitation ! Non seulement j’ai survécu aux redoutables lions du cirque Canal, mais en plus je me suis bien amusé. Alors, chers amis du « Gland Journal », maintenant que vous m’avez dépucelé, n’hésitez surtout pas : je reviens glander chez vous, avec vous, quand vous voulez.
Gallienne, homophobe !
MERCREDI 20 NOVEMBRE.
Le film de Guillaume Gallienne divise non pas le public mais la critique, ce qui est somme toute moins grave. Surtout que nos cinéphiles mécontents ne jugent que sur des bases idéologiques, et devinez lesquelles ? Un arrière-goût réac qui décidément ne passe pas.
Comme l’explique Télérama, qui fait sa grimace traditionnelle, « il n’y a pas si longtemps, étaient courageux ceux et celles qui osaient faire leur coming out. L’audacieux, aujourd’hui, est celui qui s’affirme hétéro, au risque de contrarier maman… »
L’ironie se fait plus lourde encore dans Le Monde : « Guillaume Gallienne ose le coming out héterosexuel », titre le journal avant de fulminer une bulle dans son jargon postmoderne : « Un tel renversement renvoie l’acte d’émancipation dont il est la parodie (la revendication d’une homosexualité) dans les confins du politiquement correct. »
Holà les gros cerveaux, on se calme ! Guillaume n’a pas fait un film à thèse : c’est sa propre histoire. Il n’allait quand même pas faire semblant d’être gay juste pour vous égayer. Si ?
Basile reporter
NUIT DU MERCREDI 20 AU JEUDI 21 NOVEMBRE.
L’arrestation du « tireur fou » ? J’y étais ! La conférence de presse de Manuel Valls ? Itou ! C’est bien simple : cette nuit-là, faute d’oser réveiller Élisabeth, je me suis autoproclamé envoyé spécial de Causeur sur le terrain, c’est-à-dire devant les chaînes info, zapette en main.
Comme toujours sur ce genre de coup, BFM-TV fut la meilleure et la plus Duracell : à peine un break de deux heures entre 4 et 6, et hop ! c’était reparti. À tel point que le spécialiste police-justice maison n’a pas dormi, je peux en témoigner ; et s’il a eu droit à son Big Mac, c’était pendant la pub !
Le pauvre homme aura tenu l’antenne en permanence de 19 heures à 4 heures du matin, et dès 6 heures, après une petite sieste et une bonne douche, rebelote ! Ce n’est que vers midi qu’il sera finalement libéré pour bonne conduite, et remplacé par sa bras-droite.
Métier de chien, vous dis-je ! Je sais, je l’ai fait pour vous ! La différence, certes, c’est que personne ne me l’avait demandé. Mais si vous le prenez comme ça, vous n’êtes pas non plus obligé de me lire.
Bon allez, on ne va pas se fâcher pour ça ; je suis juste un peu sur les nerfs, après cette nuit blanche…
Sachez seulement, vous les hypersomniaques, que pendant vingt-quatre heures BFM-TV n’aura parlé que de l’« affaire » – à part un peu la neige le jeudi.
19 heures : interpellation d’un « suspect sérieux » à Bois-Colombes, au sous-sol du parking « Les Aubépines »[2. Pour un pro du journalisme police-justice, tous les détaux comptent.]. Sérieux peut-être, le suspect, mais infoutu de parler : à ce qu’il paraît, il aurait consommé sans modération un cocktail Xanax- Imovane pas vraiment énergisant.
Qu’à cela ne tienne ! Son ADN parlera pour lui…
Le problème, c’est qu’il faut compter quatre bonnes heures pour l’analyse ; et pendant ce temps-là, nos chaînes info vont devoir meubler avec pas grand-chose, puis broder sur les meubles.
Enfin, sur le coup de 23 heures, des « sources proches de l’enquête » nous apprennent que le bonhomme serait un certain Abdelhakim Dekhar (déjà connu des services de police, et des fans de Faites entrer l’accusé, pour son implication dans l’affaire Rey-Maupin). Mais le vrai scoop tombera vers 1 heure du matin : le ministre de l’Intérieur soi-même va s’adresser à la presse, là tout de suite !
Quelle urgence ? À cette heure-là, un communiqué de presse ou une brève déclaration du DGPN n’auraient- il pas suffi ? Et la conférence de presse solennelle ne pouvait-elle pas attendre jusqu’au matin ?
Mais je fais l’âne pour avoir du son ! En intervenant à chaud, Valls montre à ses compatriotes (aux couche-tard comme à la France-qui- se-lève-tôt) que lui, au moins, ils peuvent compter sur lui à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ! Si c’est pas une qualité d’homme d’État, ça…
En fait, il va quand même nous faire attendre encore une heure dans le froid, mais bon, ça valait le coup. Après nous avoir confirmé que « l’individu [avait] été confondu par son ADN », le ministre se lance dans un inventaire exhaustif des services de police ayant contribué de près ou de loin à ce « formidable résultat » : l’arrestation d’un gars comateux sur dénonciation de son logeur.
Croyez-moi ou pas, cette litanie de remerciements tous azimuts dure cinq bonnes minutes. On se croirait aux César ! Après quoi notre lauréat consentira à répondre à quelques questions de journalistes. La plus intéressante à mon goût portait sur la possibilité, pour un ancien criminel, de disparaître ainsi pendant quinze ans sans laisser de traces ; et la réponse du ministre me laisse coi : « Probablement il était parti à l’étranger, c’est pour ça qu’il n’était pas sur nos fichiers. »
Question à tous nos ministres de l’Intérieur depuis quinze ans : suffit-il donc de quitter la France pour être rayé des fichiers de la Crim’ ? Ou est-ce juste le mec de BFM, fatigué, qui ne m’a pas tout bien expliqué ? Certes, le relevé national d’empreintes génétiques ne date que de 1998. Mais on avait déjà identifié plusieurs délinquants avant l’invention de l’ADN, non ?[3. Notamment grâce à ce bon vieux Bertillon (pas le glacier, l’empreinteur digital).]
Du crime fasciste au fait divers psychiatrique
JEUDI 21 NOVEMBRE , 15 heures.
Après une petite sieste et une bonne douche (comme les collègues), c’est l’heure du bilan.
Le plus heuristique, dans ce bousin, n’est-ce pas la façon dont tout a changé dès que l’identité du suspect fut révélée ? Jusqu’à hier soir, le portrait-robot du « tireur fou » en avait fait fantasmer plus d’un ; et même certains tout haut, comme l’inégalable Caroline Fourest[4. Sur France Culture, mardi 19 novembre, 7 h 18. Un collector !]. Imaginez un peu ! Un individu « de type européen », avec tenue de chasse et fusil à canon scié…
Avec un peu de chance, on tenait là notre Breivik à nous – justifiant un appel à la mobilisation générale de « défense républicaine ».
L’idéal bien sûr, pour le succès d’une telle opération, eût été que l’infortuné assistant-photographe décède des suites de ses blessures, et que le terroriste d’extrême droite putatif tire encore un peu dans le tas.
Mais bon, on fait avec ce qu’on a. Même sans ces petits plus, la conférence de presse nocturne de Valls aurait déjà eu une autre gueule s’il avait pu y fustiger solennellement la montée du fascisme – sans oublier de pointer le vrai responsable de ce tragique « ascenseur pour les fachos » : le flirt indigne entre droite républicaine et FN, coin-coin. Le problème, c’est que le « tireur fou » l’avait fait avant lui ! Dans une lettre laissée pour justifier ses actes, il dénonçait déjà le « complot fasciste », les médias complices, le capitalisme, etc.
Du coup, le ministre n’avait plus rien à dire, et ça s’est vu. À un petit détail, que seul un pro du journalisme police-justice peut discerner aussitôt, sans me vanter : dans son allocution, à aucun moment, le ministre n’a soufflé mot des motivations politiques affichées par l’individu. « Inexploitables », comme on dit chez les flics.
Dommage ! Encore une belle « occasion manquée », dont la gauche en général, et le gouvernement en particulier, auraient eu pourtant bien besoin, dans les circonstances difficiles qu’ils font traverser au pays.
Résurrection d’un python
MARDI 1er JUILLET 2014, LONDRES, 20 heures.
Ce soir-là, les Monty Python remonteront enfin sur scène, après une absence de trente ans quand même. Leur futur spectacle, présenté par John Cleese, semble prometteur :
« Un peu de comédie, de la musique et du sexe antique » (sic). 357 ans à eux cinq, se vantent-ils : décidément, ces gens-là ne grandiront jamais, et c’est tant mieux. Plutôt mourir que grandir, si l’on veut mourir grand ![/access]
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