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Les saints et les morts

Le billet de Dominique Labarrière


Les saints et les morts
Image d'illustration.

Demain nous entrerons dans les froides ténèbres / Adieu vive clarté de nos étés trop courts…


À la source, nous avons indéniablement la peur primitive et universelle de l’homme à l’entrée de la saison froide et sombre. La peur que le printemps lumineux et fertile ne succède pas à l’hiver obscur et stérile. D’innombrables rites de conjuration de ces peurs ont émergé au sein de toutes les communautés humaines connues, dont, pour la civilisation celte, le Samain, préfiguration vraisemblable du si réjouissant et si mercantile Halloween.

Samain ouvre le calendrier des manifestations rituelles inscrites sur « la roue du temps » dans l’année celtique, celle-ci se divisant en deux grandes périodes, le temps sombre et le temps clair. Ainsi, Samain est célébré chaque année autour de ce qui est pour nous le 1er novembre, le moment où l’on bascule de fait dans la saison sombre. Dans la celte Bretagne, novembre se dit Miz-Du, littéralement « le mois noir ». Ainsi, on passe de la lumière à l’obscurité, ce que Baudelaire, en héritier inspiré de ces évidences ancestrales, exprimait en deux alexandrins célèbres : « Demain nous entrerons dans les froides ténèbres / Adieu vive clarté de nos étés trop courts. »

La célébration de Samain s’étend sur sept jours, trois jours avant le 1er novembre et trois jours après. C’est l’occasion de banquets, de festivités populaires, mais aussi de rencontres utiles. Tradition au long cours, puisque jusqu’au début du XXème siècle, c’était au 1er novembre, à la Toussaint, que les tâcherons agricoles s’assemblaient à la sortie de l’office religieux pour trouver à se faire employer pour l’année à venir. Autre trace de ce lointain passé : une des étymologies possibles de Samain est « l’été de la fin », c’est-à-dire l’été à ses derniers feux. Comme ceux que nous avons de nos jours avec « l’été de la Saint-Martin », brève embellie elle aussi en novembre.

Par ailleurs, il n’est pas exclu que les banquets et les réjouissances du Samain aient été à la source du sabbat des sorcières. Conjurer l’angoisse des mauvais jours qui viennent par la licence, la liberté effrénée, la transgression, est la marque de tous les rituels de lumière et de fertilité, de ténèbres et de stérilité. La nuit de Walpurgis des civilisations septentrionales qui se déroule, elle, à la charnière d’avril et mai, peut apparaître comme une transposition de Samain, sanctifiant cette fois le retour de la lumière. Pour l’égyptologue et ethnologue britannique Margaret Murray, le sabbat des sorcières n’est autre que la survivance de ce paganisme des temps anciens, refoulé dans l’interdit et la clandestinité à l’avènement du christianisme.

Etrangement, la semaine de célébration du Samain est hors calendrier. Elle ne s’inscrit ni dans l’année qui s’en va ni dans celle qui vient. Elle est une parenthèse, un temps suspendu, comme si on avait voulu la soustraire à l’ordonnancement ordinaire de l’année et la doter d’une dimension autre, ouverte sur le merveilleux. Or, c’est bien ce qui se passe. Samain est le temps du surnaturel, du spirituel, de la communion avec les prodiges, le moment où le Cerf sacré – dont les bois tombent et repoussent, symboles de la renaissance perpétuelle – sort des Enfers pour sa « Chasse sauvage ». Communion, surtout, avec l’au-delà, le monde des morts. On les célèbre, on les honore de présents, de nourriture, d’où la tradition, entre autres, de la citrouille. Ces rites, ces mythes sont si intensément inscrits dans ce que Jung appelle « l’inconscient archaïque » que ce lien avec la mort à ces dates précises a perduré avec le christianisme – Toussaint et Jour des Morts – et perdure jusqu’en en nos temps de déchristianisation, ou, si on préfère, de déspiritualisation. Raison de plus, donc, pour, ces jours-ci et ne serait-ce qu’un instant, s’imprégner de l’esprit intemporel et magique de Samain.

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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