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«Les rêves échoués» de Carine Joaquim: cavale portugaise

Le deuxième roman de Carine Joaquim


«Les rêves échoués» de Carine Joaquim: cavale portugaise
L'écrivain Carine Joaquim © PASCAL ITO

Lectures et relectures d’été


Il y a trois personnages, finalement, dans Les Rêves échoués, le deuxième roman de Carine Joaquim édité à la Manufacture de livres: Clarisse, treize ans, bientôt quatorze qui veut se sauver; Tony, vingt ans qui va la sauver un moment et le Portugal d’où vient Tony qui va échouer à les sauver, l’un comme l’autre.

Parce que dans ce roman sur l’adolescence et ses révoltes logiques contre une classe moyenne asphyxiante et névrosée, contre une école qui ne croit plus en elle-même et une région parisienne, non-lieu par excellence (que Carine Joaquim nomme à peine), dans ce roman en colère donc, il s’agit bien de se sauver à tous les sens du terme. De fuir et de ressusciter, par l’amour si possible comme Don Pedro et la Reine morte dans les tombeaux d’Alcobaça que Tony fait visiter à Clarisse pendant leur cavale lusitanienne.  Carine Joaquim a d’ailleurs de bien jolies pages sur le Portugal, qui est aussi son pays d’origine, sur sa fraicheur atlantique, son aptitude à la mélancolie, ses rues blanches et sa relative bonne résistance à la puissance dissolvante du tourisme, sauf peut-être à Lisbonne, devenue hélas l’Ultima Thulé des retraités friqués.

Clarisse ou la révolte

C’est Clarisse qui prend en charge le récit dans Les Rêves échoués. Clarisse et ses parents séparés, Clarisse et sa révolte qui l’amène à se battre, insulter, devenir incontrôlable et mettre le feu à la voiture de sa prof de maths (j’ai eu la même envie en 4ème mais j’étais beaucoup moins courageux que Clarisse), Clarisse qui ne fait même pas partie des suspects habituels médiatiques, les « jeunes-des-cités ».

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Le je de Clarisse sonne juste, le fait que Carine Joaquim continue d’enseigner le Français dans l’Essonne n’y est sans doute pas pour rien mais ça ne suffirait pas si elle n’était pas, de toute évidence, un écrivain. Ce qui plait dans Les Rêves échoués, c’est l’art de Carine Joaquim d’appuyer là où ça fait mal, ce qui est pour moi une définition possible du roman noir.

Là où ça fait mal: les parents et leurs petits égoïsmes sexuels la quarantaine venue, la solitude jamais atteinte sous cette forme-là par une jeunesse paradoxalement hyperconnectée, une école qui fait ce qu’elle peut mais qui est vite dépassée, et là dedans, la libido explosive, désespérée d’une adolescente qui aimerait aimer mais ne trouve rien d’aimable. L’ambiguïté, aussi, d’une relation assumée, égalitaire entre un garçon de vingt ans et une fille de quatorze. Carine Joaquim échappe non sans un certain panache subversif et discret à tous les nouveaux puritanismes pour célébrer cette scandaleuse liberté. Quelque part entre Sesimbra et Obidos, sous les bras étendus du Christ Roi à Lisbonne, Tony et Clarisse deviennent amants. Détournement de mineure, domination masculine, emprise, que sais-je encore, les différents partis de l’ordre mettront les étiquettes qu’ils veulent, Carine Joaquim en véritable écrivain, n’en a pas grand-chose à faire.

Utopie amoureuse

Ce que le lecteur voit, lui, c’est que s’il y a beaucoup de gris dans ce roman, il y a encore plus de lumière, celle d’un Portugal printanier, utopie amoureuse où la règle commune est oubliée, où les plaies de l’enfance cicatrisent (un peu) au soleil du Cap Espichel. Bien sûr, il faudra que tout cela cesse. La fin ouverte du roman de Carine Joaquim rend son histoire encore plus poignante.

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Il faut lire Les Rêves échoués, vite, parce que si certains jugent avec raison une société à l’état de ses prisons ou de ses écoles, on peut aussi la juger à ce qu’on fait des filles de quatorze ans. Ce n’est pas l’affaire de Carine Joaquim de juger, et c’est tant mieux : elle, elle se contente de raconter Clarisse.

Et elle le fait vraiment très bien.

Les rêves échoués de Carine Joaquim (La Manufacture de livres, 240 pages).

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