Dans une de ses chroniques, toujours joliment ciselées, Régis Debray vient de dire ce qu’il fallait sur la proposition de Nicolas Sarkozy d’appeler désormais l’UMP « Les Républicains ». Intitulée « gardons le sourire », elle se termine par ces mots qualifiant la démarche sarkozienne : « Conversion ou pirouette ? Coup de foudre ou coup de pub ? Les deux sont autorisés. Jusqu’à plus ample informé, le candide penchera pour l’option opérette. » Comme d’habitude, Régis Debray fait de la politique.
Un attelage hétéroclite, parfois ridicule et manifestement téléguidé, a choisi à grand son de trompe une autre voie. Celle malheureusement habituelle désormais de l’instrumentalisation de la Justice. Espérant que l’ensemble de la magistrature française ait renoncé aux impératifs d’impartialité et de rigueur juridique. Comme semblent l’avoir fait certains des magistrats en charge des affaires pénales concernant l’ancien Président de la République. Il se trouve que ce n’est pas le cas. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, à qui l’on demandait d’interdire à l’UMP de prendre ce nouveau nom, vient de rendre une ordonnance prévisible et conforme au droit.
Abandonner le terrain du débat politique au profit du débat judiciaire est devenu systématique dans les prétoires. Ce n’est qu’une preuve de faiblesse. Et cela fonctionne en général comme un boomerang. L’UMP vient d’obtenir une importante publicité gratuite pour son congrès et tous les médias ont titré : « La Justice autorise l’UMP à s’appeler Les Républicains. » Ce qui est faux, évidemment. Celle-ci s’est contentée de renvoyer sèchement les demandeurs dans leur but. Elle n’a ni autorisé, ni interdit, elle n’avait pas à le faire.
Voyons rapidement comment se pose le problème. L’article 4 de la Constitution de 1958 consacre le rôle et l’existence des Partis : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie. » Jusqu’à la loi de 1990 sur le financement public, il n’existait aucune règle et la plupart n’avaient pas de personnalité juridique. Après ce texte, la loi de 1901 sur les associations a été utilisée, mais uniquement pour leur donner une personnalité morale et leur permettre ainsi de recevoir des fonds. Ils peuvent s’appeler comme ils l’entendent dès lors bien sûr que leur nom ne viole pas des règles impératives de l’ordre public, en faisant par exemple la promotion de comportements punis par la loi. C’est ainsi que les termes République et Républicains ont été utilisés de toutes les façons possibles dans le nom des partis et de leurs associations satellites.
Dans le fatras de l’assignation en référé, il y avait un argument particulièrement savoureux. Pour les demandeurs, vouloir s’appeler « Les Républicains », c’était du « dénigrement indirect », puisque cela contesterait aux autres formations la qualité de leur républicanisme. Mais dites-moi, affirmer « je suis mieux républicain que vous », c’est le débat politique, ça ! Rappelez-vous, lorsque Valéry Giscard d’Estaing, avant de devenir Président de la République, dirigeait un parti qui s’appelait « Les Républicains indépendants ». Il ne serait venu à l’idée de personne d’y voir la volonté de dire que les autres républicains étaient dépendants. Et de se précipiter alors chez le juge pour demander l’interdiction.
Tous les arguments développés dans la polémique autour du changement de nom de l’UMP étaient des arguments politiques. Légitimes, parfois fondés, mais politiques, voire historiques ou carrément philosophiques. Mais dans le domaine de l’activité des partis, le principe qui s’applique est juridique : c’est celui de la liberté, énoncé par la Constitution. Manifestement, la liberté, enfin celle des autres, est particulièrement pénible à ceux qui se sont lancés dans cette triste pantalonnade. Ils ont simplement demandé au juge d’en priver leur adversaire ! C’est vrai, ça, comment Sarkozy peut-il se prétendre républicain et user d’une liberté constitutionnelle ? Mais il n’a pas le droit !
Tellement plus facile de faire des moulinets et d’essayer de dévoyer la justice plutôt que de mener le combat politique. Parce que le problème est bien là. À une courte majorité, les Français ont démocratiquement signifié, en mai 2012, à Nicolas Sarkozy qu’ils ne voulaient plus de lui. Catastrophe politique pour la gauche, la présidence Hollande rend non seulement probable une terrible défaite en 2017 mais aussi, horreur, le retour du battu tant haï. Alors on essaye tout, et on demande en particulier à la justice de nous en débarrasser. C’est une impasse.
Les demandeurs à cette procédure ? Quelques organisations politiques, dont certaines directement liées au Parti Socialiste. Une impressionnante litanie de personnes physiques, au sein de laquelle on verra apparaître en souriant quelques copains et quelques vieux chevaux de retour. Elles seront fort justement déclarées irrecevables, comme n’ayant pas d’intérêt direct pour agir. Seuls plusieurs membres d’une famille portant le nom de Républicain pouvaient être parties à la procédure. Comment ceux qui ont été à la manœuvre de l’opération ont-ils pu ne pas mesurer le ridicule de cette démarche ? On attend maintenant les procédures des familles Chrétien contre les églises, des familles Citoyen (si, si, il y en a) contre Jean-Pierre Chevènement, et de Ségolène Royal contre Louis de Bourbon, prétendant au trône de France qui se fait appeler Altesse Royale (pour qui se prend-t-il, celui-là ?).
Surprise quant à la procédure choisie. Un « référé d’heure à heure », dites donc ! Procédure rare et justifiée par l’extrême urgence, que seule l’autorisation préalable du juge rend possible. Et pour la lancer une assignation de plus de 350 pages : tract confus et filandreux avec, entre autres, du Louis Aragon dedans… En général le juge des référés, surtout d’heure à heure, étant celui de l’urgence et de l’évidence, les exploits introductifs d’instance sont plus concis. Enfin, lorsque l’on parle d’exploit introductif, c’est celui par lequel on saisit le juge à qui on réserve ses arguments. Cette fois-ci, pas du tout. Le document a triomphalement circulé partout, disponible sur la page web d’un des avocats et repris par toute la presse et les réseaux. À la place du magistrat, j’aurais trouvé cela assez moyen.
Cela a peut-être été le cas, car on sent poindre à la lecture de la décision une lassitude un peu agacée d’être contraint à quelques rappels assez élémentaires. Par exemple, que les demandeurs personnes physiques ou morales sont bien gentils de prétendre représenter à eux seuls l’intérêt général mais qu’il faudrait être un peu sérieux. Qu’invoquer à l’encontre de l’UMP une faute (article 1382 du Code civil) ne peut être fait que devant le juge du fond, ce qu’un étudiant de première année doit savoir. Que le juge des référés est bien le juge de l’évidence et de l’urgence, et que l’on serait bien en peine d’en trouver dans la tartine qui lui a été soumise.
Par conséquent, le juge n’a pas « autorisé » l’UMP à adopter le nom « les Républicains ». Il a simplement dit que la demande d’interdiction telle qu’elle avait été formulée ne tenait pas debout. Le président du MRC a indiqué qu’il ferait appel. Ceux qui ont initié ce premier tour de piste auront probablement d’autres idées. Le chapiteau est dressé et le cirque judiciaire va continuer. Malheureusement.
*Photo : Pascal Fayolle/SIPA/1505221513
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