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Les racines musulmanes de l’identité européenne


Les racines musulmanes de l’identité européenne
Enluminure de <em>La Chanson de Roland.</em>
Enluminure de La Chanson de Roland
Enluminure de La Chanson de Roland.

Nous vivons des temps obscurs. Un sentiment d’insécurité qui se propage telle une peste nauséabonde sclérose les Européens et les empêche de vivre les promesses de la modernité. Les mêmes qui, naguère, étaient si fiers de s’imaginer phares de l’humanité font profil bas. Sous l’influence de dirigeants qui instrumentalisent cyniquement leurs peurs, les peuples européens se replient piteusement sur une identité à la fois tautologique et fantasmée. L’Europe ne serait rien d’autre qu’elle-même ! Quelle drôle d’idée ! À l’heure des identités floues  et des appropriations ludiques du passé, il y aurait pourtant autre chose à faire que de réaffirmer ce qu’on croit être des évidences. À l’ère du transsexuel, de l’interculturel et du post-national, il est temps d’inventer, après l’alter-monde, les alter-racines.[access capability= »lire_inedits »]

La joyeuse énergie de l’indéterminé

« Je fais ce que je veux avec mes cheveux », disait la dame de la publicité ; faisons ce que nous voulons avec nos racines aussi. Rien ne doit résister à l’appropriation par l’esprit du temps de ce que la frilosité de nos aînés avait placé hors de notre atteinte. Voilà que le passé lui-même est à nous ! Après avoir mondialisé la production et la consommation des biens et de services, après avoir mondialisé les pratiques culturelles, il est plus que temps de franchir un nouveau et ultime cap et de mondialiser enfin nos racines. Exigeons pour cela la réanimation dans le peuple européen d’un esprit ludique et frondeur, un esprit d’enfance qui refuse les limitations sclérosantes, les assignations identitaires, bref qui refuse l’esprit adulte, celui du renoncement triste de ceux, les benêts, qui se contentent idiotement d’être ce qu’ils sont. Il faut se battre avec la joyeuse énergie de l’indéterminé contre cette morne résignation à n’être rien d’autre que soi. Parce que l’Europe aurait presque vingt siècles de christianisme derrière elle, elle serait chrétienne, ou aurait, version soft, des « racines chrétiennes » ! Cette réaffirmation sottement identitaire constitue une scandaleuse discrimination (d’autant plus scandaleuse qu’elle se donne l’apparence de l’évidence) à l’encontre de l’Autre en soi, c’est-à-dire, très prioritairement, du muslim qui sommeille en chacun de nous, et peut-être aussi du rom, mais cela, c’est l’avenir qui le dira.

Aime ton prochain comme toi-même. Et même un peu plus.

Fort heureusement, face aux islamophobes, ces Européens qui, par une peur d’être contaminés par ce qui n’est pas soi, s’interrogent encore sur la possibilité de ne plus être ce qu’ils furent, il y a les islamophiles, ceux qui acceptent joyeusement et simplement de bazarder tout ce fatras identitaire pour se découvrir Autre. Aime ton prochain comme toi-même, et même encore un peu plus. Face à la peur des peureux, l’amour des amoureux. Les ouverts face aux frileux. Le schéma est simple, mais pertinent. Comme dans le Coran, où les mécréants sont le pire de la créature destiné au feu de la géhenne, et les croyants le meilleur destiné au paradis. Back to the basics manichéens d’avant les complications de la théologie catholique. Les ouverts, ce sont notamment ces penseurs courageux qui, sans tabou, se proposent de mettre à jour tout ce que nous autres Européens devons à cette immense civilisation qu’est l’Islam. A mille lieux des dénis identitaires politiquement corrects, des universitaires audacieux exposent sans fard l’immense dette que l’Europe a contractée à l’égard des lumières islamiques.

Souvenons-nous : aux VIIe et VIIIe siècles, alors que l’Europe chrétienne émergeait à peine des invasions barbares, l’Islam harmonieux répandait sa civilisation pacificatrice sur presque tout ce qui restait de la méditerranée romaine. Alors que ce qui deviendra la France, sous l’influence néfaste d’un bien nommé Pépin et de son fils Charles, restait boudeusement à l’écart de ce vaste processus d’ouverture à l’Autre initié par la conquête musulmane, la Sicile, l’Espagne et bien d’autres contrées arriérées de l’antique empire romain passaient d’un cœur léger sous la coupe de la civilisation musulmane où fut rapidement créé le statut des dhimmis, assurant ainsi une remarquable stabilité à un empire multiculturel. Ainsi furent jetées les bases de l’opposition fondatrice que nous connaissons aujourd’hui entre l’obsolète esprit de la nation dont le socle est le rejet de l’Autre, bizarrement incarné en France par d’anciens thuriféraires de la construction européenne, et l’esprit multiculturel de la grande civilisation musulmane dont un des plus fidèles et lumineux avatars est sans doute, justement, la construction européenne actuelle, fondée qu’elle est sur l’amour du prochain tant qu’il ne discrimine pas et l’apologie de la diversité obligatoire. [/access]

Octobre 2010 · N° 28

Article extrait du Magazine Causeur



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Florentin Piffard est modernologue en région parisienne. Il joue le rôle du père dans une famille recomposée, et nourrit aussi un blog pompeusement intitulé "Discours sauvages sur la modernité".

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